La guerre qui ensanglante les Kivus a radicalement bouleversé la donne politique depuis la prise de contrôle de Goma et Bukavu, et bientôt d’Uvira, par l’AFC/M23. Bien que des négociations de paix se tiennent actuellement à Washington et Doha, rien ne garantit que ces territoires sous administration rebelle puissent accueillir des élections.
Rappelons qu’en 2023, certaines régions du Nord-Kivu n’avaient déjà pas pu participer au scrutin. Pour 2028, le scénario constitutionnel prévoit normalement des élections sans la participation de Félix Tshisekedi, mais de nombreux observateurs soupçonnent l’actuel président de nourrir des ambitions de maintien au-delà de son dernier mandat.
Deux stratégies apparaissent ainsi à l’horizon : un glissement du calendrier électoral ou une révision constitutionnelle. La première option, inspirée de l’exemple de Joseph Kabila en 2016, offrirait au président quelques mois supplémentaires au pouvoir, au prix d’un dialogue national devant s’assurer d’une opposition et d’une société civile « malléables » et « coopératives ».
Or, après des années de persécutions ciblées, il est fort douteux que ces acteurs puissent être facilement amadoués. L’échec récent des négociations visant l’entrée de Martin Fayulu au gouvernement laisse des cicatrices encore vives, malgré l’opportunisme d’Adolphe Muzito.
La seconde hypothèse, la révision constitutionnelle pour autoriser un troisième mandat, suppose, elle, que le président puisse compter sur la mansuétude des deux chambres législatives et donc sur un contrôle total de sa majorité parlementaire.
Exclure pour mieux gouverner : un pari risqué
Pour consolider sa position, Félix Tshisekedi a choisi la voie de la fermeté. La première étape de sa stratégie consiste à écarter la galaxie kabiliste de tout futur dialogue national, transformant ainsi toute concertation en un monologue potentiellement dénué de crédibilité.
La voie vers une révision constitutionnelle a été facilitée par l’écartement de Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale et allié politique au lourd passif d’ambitions présidentielles.
La motion de défiance déposée contre lui en septembre l’a contraint à démissionner avant le vote, épargnant ainsi une seconde humiliation après sa détention dans le cadre du procès des « 100 jours » en 2021. Son successeur, Aimé Boji, disposant de l’aval présidentiel et de l’assentiment de l’Union sacrée, a désormais ouvert la voie à une possible réforme constitutionnelle.
Nombreux sont ceux qui persistent à remettre en cause la légitimité de Félix Tshisekedi, rappelant avec une froide lucidité les séquelles indélébiles du « deal » de 2018 et le désordre électoral de décembre 2023.
Chaque pas en avant ressemble à un saut d’obstacles sur un terrain miné, où le moindre faux mouvement pourrait transformer la conquête du pouvoir en dérisoire pantomime. Le président, malgré sa posture assurée, semble parfois courir après un calendrier qui le précède de plusieurs coups d’avance, tandis que la confiance populaire s’érode à mesure que la réalité du quotidien reprend ses droits.
Il n’est d’ailleurs pas de sécurité véritable dans les seuls couloirs du pouvoir. L’opposition ne se cantonne pas aux amphithéâtres des partis politiques : la CENCO et les Églises protestantes, implantées jusque dans le moindre village, incarnent un contre-pouvoir tangible, vigilant et résolument inamovible.
Dans ce théâtre de tension, les arrestations en cascade de généraux et de hauts gradés apparaissent moins comme des mesures d’apaisement que comme des tentatives maladroites de masquer une autorité vacillante. Ainsi, tandis que Tshisekedi manœuvre dans un labyrinthe politique de plus en plus étroit, le pays lui rappelle, avec insistance et ironie, que le pouvoir se conquiert certes par la stratégie, mais se conserve rarement par la peur ou la coercition seule.
L’implantation croissante et de plus en plus crédible de l’AFC/M23 sur de vastes portions de l’Est congolais constitue un défi stratégique majeur pour le pouvoir central. Ce n’est plus une simple rébellion dispersée, mais une force structurée et résolue, capable de remodeler les rapports de force sur le terrain.
La perspective imminente de la prise d’Uvira, ville stratégique et pivot commercial de la région, souligne l’urgence de la situation : un tel événement ne se limiterait pas à un simple revers militaire, il réévaluerait à lui seul l’ensemble de la dynamique sécuritaire dans les Kivus.
Chaque avancée rebelle met en lumière les limites criantes du contrôle gouvernemental et illustre l’incapacité de Kinshasa à imposer son autorité dans l’Est.
Plus encore, la prise éventuelle d’Uvira constituerait un échec diplomatique retentissant, rendant caduque l’alliance stratégique conclue avec le Burundi. Ce qui devait être un partenariat régional solide se verrait invalidé par la réalité militaire du terrain, démontrant que la projection du pouvoir central et la crédibilité des engagements internationaux reposent sur des bases aussi fragiles que précaires.
L’inégalité manifeste entre les forces gouvernementales et celles de l’AFC/M23 ne fait que souligner l’étendue des défis qui attendent le président : non seulement maintenir son autorité, mais également préserver des alliances régionales qu’un seul revers peut anéantir. Dans ce contexte, l’ombre de l’échec plane avec insistance sur Kinshasa, rappelant que la puissance nominale d’un État ne suffit jamais à masquer la vulnérabilité stratégique.
Si Kinshasa tarde à honorer ses engagements dans les processus de Doha et Washington, le dialogue inclusif interne pourrait se révéler un défi quasiment insoluble.
Le facteur temps, quant à lui, joue clairement contre le président, dont plusieurs cartes stratégiques lui échappent encore.














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