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Comment devient-on génocidaire

Redigé par Tite Gatabazi
Le 8 août 2022 à 11:56

C’est une interrogation de Damien Vandermeersch, ancien juge d’instruction Belge dont il a tiré un livre qui vient d’être réédité.

Il a été juge d’instruction dans les dossiers de génocide contre les tutsis jugés par la cour d’assises à Bruxelles.

Dans ce cadre, il a rencontré les rescapés, les témoins, les accusés de génocide.

Il a effectué plusieurs commissions rogatoires au Rwanda. Et il est Professeur à l’université de Louvain et université Saint Louis de Bruxelles.

Venu au Rwanda en 1995 pour enquêter sur les mécanismes et les logiques qui mènent au génocide, il a voulu mettre des mots sur ce qui s’était passé. Dire l’indicible pour juger ce qui dépasse l’entendement.

L’amplitude du crime de génocide est sans commune mesure avec les crimes auxquels il était confronté dans l’exercice de ses fonctions.

"L’indicible est un terme qui se lit, mais s’éprouve rarement" écrit-il.

"Le barbare est celui qui ne s’oppose pas à la barbarie » disait l’immense Claude Levi Strauss. Car au cœur de la tempête, résister, ce n’est pas seulement écouter sa conscience, faire preuve de courage.

C’est aussi aller à contre-courant de certaines traditions, comme l’obéissance aveugle a l’autorité.

L’auteur l’a souligné à maintes reprises, il a fait preuve de résistance pour mener sa tâche jusqu’au bout. Les politiques, tout comme sa hiérarchie et même les amis avaient tentés de le dissuader d’abandonner. Il avait tenu bon.

Au terme de la procédure judiciaire, une question quasi existentielle le taraude : « qu’est ce qui amène un citoyen ordinaire à vouloir exterminer son semblable ? »

C’est cette question qui le pousse à prendre la plume et partager son expérience.

Dans un langage vivant, imagé et accessible, il nous invite à découvrir les mille et une pièces d’un puzzle qui, une fois assemblés, expliquent pourquoi tant de Rwandais ont basculés.

Et nous lance par la même occasion le défi : « sommes-nous vraiment à l’abri de pareil cataclysme ».

Face à une telle désolation, le Rwanda post génocide a travaillé ardemment à la paix et la sécurité. Réfléchi longuement, méthodiquement à comment éviter d’en arriver à une situation innommable.

Albert Rudatsimburwa me confiait un jour qu’au Rwanda c’était « tolérance zéro en cas de violence entre individus, quel que soit le motif ».

Et la jeune et audacieuse journaliste Léana invite ceux qui sont dépourvus d’empathie de se connecter aux autres.

Car le manque d’empathie est l’incapacité à se représenter les intentions et les ressentis d’autrui. Ce qui est un facteur de risque important de recourir à des conduites violentes.

Le Rwanda post génocide a compris qu’il fallait agir sur le leitmotiv de la violence.
Selon l’auteur du livre, mettre en évidence les mécanismes qui mènent au génocide constitue la meilleure prévention.

Ces mécanismes se construisent contre l’autre et finalement poursuivent l’anéantissement de l’autre jusqu’à un point qui parait inimaginable mais que les génocidaires ont réussi à atteindre.

C’est avant de basculer dans la tourmente qu’on doit se poser la question du mécanisme. Savoir qu’on a des repères ou non.

Pour l’ancien juge d’instruction, il est insuffisant de proclamer « plus jamais ça ». Mais il faut se donner les outils pour pouvoir décoder et voir comment on arrive à commettre l’irréparable.

Car le discours extrémiste est toujours polarisateur. C’est à ce niveau qu’il faut interroger le mécanisme de déshumanisation et trouver des pistes de construction d’alternatives.

A la question bascule - t- on du statut de citoyen ordinaire et sans histoire à génocidaire parce qu’on obéit, l’auteur estime qu’on ne bascule pas. Cela se passe plutôt à coup de petites doses.

On croit faire des concessions parce qu’on est imprégné du contexte et le pouvoir qui fait pression pour indiquer la voie à suivre.

C’est en ce moment qu’on se rend compte, que faute de repères et de convictions solides, aller à contre-courant des idées dominantes est parfois très compliqué.

L’autorité arrive a biaisé le jugement.

La politologue et philosophe Anna Arendt écrivait : « celui qui choisit le moindre mal, oubli qu’il choisit le mal ».

Pour ce faire, il y a besoin d’un esprit critique. Savoir analyser les choses pas uniquement à partir de son point de vue mais par l’échange et le dialogue.

S’informer et débattre, c’est comme cela qu’on voit ce qu’il y a derrière le slogan.
Nous pouvons forger notre propre discernement pour rester des citoyens ordinaires et éviter de verser dans le fanatisme et la soumission.


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