La RDC entre loyautés brisées et alliances opportunistes

Redigé par Tite Gatabazi
Le 10 juin 2025 à 05:32

Ils avaient jadis incarné l’espoir d’une transition pacifique, inaugurant la première alternance politique prétendument « civilisée » de l’histoire de la République Démocratique du Congo.

L’accord de « gouvernance partagée », scellé dans une atmosphère de conciliation feinte, avait été salué comme un compromis historique. Félix Tshisekedi ne tarissait alors pas d’éloges à l’endroit de son prédécesseur Joseph Kabila. Mais cette idylle institutionnelle n’a pas résisté à l’épreuve du temps. La trahison, d’abord rampante, s’est mue en hostilité déclarée, et les persécutions administratives et judiciaires qui en ont découlé ont irrémédiablement disloqué l’alliance.

L’heure n’est plus à la cohabitation ; elle est au duel. Tandis que les diatribes contre Tshisekedi envahissent la presse proche de Kabila, ce dernier a promis de mettre un terme à la « dictature ».

Sa présence remarquée à Goma, aux côtés des rebelles de l’AFC/ M23, acte un positionnement clair : le président honoraire opte pour l’opposition frontale. Derrière une rhétorique pacificatrice, il prétend vouloir « ramener la paix » se dessine une stratégie de reconquête politique. Kabila entend se repositionner au cœur du jeu intérieur en promouvant un dialogue inter-congolais, dans le sillage des appels lancés par les Églises catholique (CENCO) et protestante (ECC).

À l’heure actuelle, AFC/M23 semble tenir les rênes du théâtre congolais, imposant sa suprématie militaire dans l’Est du pays. Toutefois, cette domination demeure éminemment précaire, tant le champ politique de la République démocratique du Congo s’apparente à un échiquier instable, où les alliances se tissent et se délient au gré d’intérêts fluctuants, et où les transhumances politiques, parfaitement rôdées, relèvent d’un art consommé de la recomposition permanente.

Dans ce contexte mouvant, la proximité manifeste de l’ancien président Joseph Kabila avec l’AFC/M23, au moment même où les pourparlers de Doha sont suspendus, constitue un élément de reconfiguration majeur, redistribuant les cartes de la scène politique nationale et régionale.

En s’établissant à Goma, au cœur du dispositif d’influence de l’AFC/M23, Kabila ne se contente pas d’observer : il imprime sa marque, infléchit les rapports de force et entend manifestement « jouer sa partition », en intervenant sur le devenir des équilibres nationaux.

Cette manœuvre, à la croisée du calcul politique et de la démonstration de puissance, vise à contraindre Kinshasa à reconnaître l’incontournable réalité militaire imposée par l’AFC/M23, tout en œuvrant à l’émergence d’un nouveau pôle d’identité politique pour ce mouvement, encore en quête de légitimité dans l’arène nationale.

Du côté du pouvoir, il y a une telle fébrilité qui trahit un désarroi profond, où les maladresses se multiplient à mesure que l’incertitude s’épaissit, nourrissant une inquiétude aiguë dans les cercles du pouvoir comme dans l’opinion éclairée.

Les réactions ne se sont pas fait attendre : levée de l’immunité parlementaire de Kabila, suspension de son parti (PPRD), convocations judiciaires des cadres, arrestation d’officiers supérieurs soupçonnés de collusion, musèlement médiatique des activités de l’ancien président. Autant de signaux d’une tentative de neutralisation politique.

Paria dans la capitale, Kabila oblige cependant l’opposition à se repositionner. Si nombre de figures dénoncent l’acharnement du pouvoir, d’autres y voient l’opportunité d’un recentrage stratégique.

Depuis sa cuisante défaite électorale de 2018, Martin Fayulu apparaît politiquement délesté et financièrement affaibli, peinant à retrouver l’écho populaire qui fut jadis le sien. Relégué aux marges du débat national, il s’agite en vain, enchaînant des initiatives sans portée, véritables coups d’épée dans l’eau, qui trahissent davantage une forme d’errance politique qu’une vision structurée de l’avenir. Longtemps pourfendeur inflexible du régime de Félix Tshisekedi, qu’il vilipendait pour sa corruption systémique et son illégitimité présumée, Fayulu s’abandonne aujourd’hui à des invocations creuses à la « trahison de la patrie » et aux « jugements de l’Histoire », sans l’ombre d’une analyse rigoureuse ni la moindre réflexion stratégique.

Dans un revirement empreint d’opportunisme, à la fois feint et manifestement intéressé, il est allé jusqu’à solliciter une audience auprès du chef de l’État, qu’il obtint, non sans provoquer un tollé parmi ses partisans les plus fidèles. À l’issue de cette entrevue, il déclara sans détour : « Nous n’avons pas trente-six solutions, nous devons créer un camp de la patrie » formule creuse et éminemment suspecte, que beaucoup interprètent comme un ultime subterfuge pour se repositionner au sein d’un échiquier politique vacillant.

Ce geste, perçu par une large frange de l’opinion comme une abdication morale, une reddition intéressée aux sirènes du pouvoir, achève de le décrédibiliser, consacrant sa mue d’opposant intransigeant en figure résiduelle d’un patriotisme vidé de sa substance.

Moïse Katumbi, pour sa part, semble pris de court par le retour fracassant de Joseph Kabila sur le devant de la scène politique congolaise. Après avoir apporté son appui à Félix Tshisekedi lors du scrutin de 2018, puis s’être progressivement éloigné de ce dernier pour incarner une opposition plus vigoureuse, l’ancien gouverneur du Katanga donne, depuis les élections de décembre 2023, les signes d’une désorientation manifeste.

Ni lui, ni son parti n’ont su imprimer leur marque dans un paysage politique désormais reconfiguré. Dans une tentative de recomposition régionale, il s’était rapproché de Kabila dans le cadre d’une alliance katangaise conjoncturelle, dictée par des impératifs tactiques plus que par une réelle convergence idéologique.

Cependant, l’affichage ostentatoire de l’ancien président aux côtés de l’AFC/M23, formation armée au cœur des tensions géopolitiques actuelles, place Katumbi dans une impasse stratégique dont il semble incapable de s’extraire. Il lui est en effet difficile de se rallier au désormais fameux « camp de la patrie », promu par ses anciens adversaires, après avoir subi les persécutions du régime de Tshisekedi, lesquelles le contraignirent à l’exil. Sa neutralité affichée, prétendument prudente, ne saurait masquer longtemps la réalité d’une marginalisation politique grandissante, symptomatique d’un homme en perte de cap, dont les options se rétrécissent à mesure que le jeu se durcit.

Un autre acteur-clé, Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale, joue également les équilibristes. Officiellement allié de Tshisekedi, il nourrit pourtant des ambitions présidentielles pour 2028. Son jeu consiste à préserver ses alliances tout en ménageant ses options. Conscient que le chef de l’État ne pourra briguer un troisième mandat sans révision constitutionnelle, Kamerhe s’emploie à ne fâcher aucun des camps. Mais cette posture médiane sera difficile à maintenir sur le long terme. L’histoire politique congolaise ne pardonne pas aux tièdes.

En toile de fond, les initiatives diplomatiques de Doha et de Washington suscitent des espoirs ténus. Elles pourraient redistribuer les cartes et précipiter un nouveau cycle politique. Mais les tensions s’exacerbent. Jean-Pierre Bemba, toujours marqué par ses dix années de détention à La Haye, accuse ouvertement les Églises d’être financièrement inféodées à Katumbi et Kabila.

Sur les ondes de Top Congo, il fulmine : « Je vous le confirme : Kabila, Katumbi et certains acteurs de la CENCO sont les instigateurs d’une tentative de déstabilisation de l’État et d’atteinte à la sûreté, visant à éliminer le Chef de l’État. »

Ses propos, bien que tranchants, peinent à mobiliser l’opinion. L’heure est à la recomposition, aux calculs froids, aux alliances mouvantes. La République Démocratique du Congo entre dans une phase de turbulences où se rejoue, sous le masque de la paix, une guerre d’influence sans merci.

L’accord de « gouvernance partagée », qui avait été signé par Tshisekedi et Kabila dans une atmosphère de conciliation feinte, n’a pas été de longue durée

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