La déclaration de principe entre la RDC et le Rwanda à l’épreuve de l’Histoire

Redigé par Tite Gatabazi
Le 26 avril 2025 à 01:09

Longtemps emmurées dans un antagonisme aussi tenace que tragiquement enraciné, les relations entre la République démocratique du Congo et le Rwanda semblent aujourd’hui se prêter à une réévaluation stratégique d’envergure.

Sous l’égide d’acteurs internationaux majeurs, et dans le sillage de dynamiques géoéconomiques plus vastes, les deux nations semblent prêtes à dépasser les logiques de suspicion réciproque, de griefs historiques non soldés et d’accusations mutuelles, pour entrevoir les linéaments d’un partenariat fondé sur l’interdépendance économique et la stabilité régionale.

Ainsi, au sein des cendres encore tièdes d’un contentieux pluridéccennal, s’esquissent les prémices encore timides, certes d’une reconfiguration diplomatique dont l’ambition serait de substituer à la confrontation chronique une logique de coopération structurelle.

Il s’agirait, à terme, de transcender le passé conflictuel pour ouvrir la voie à une architecture régionale fondée sur le dialogue, le co-développement et une gouvernance concertée des ressources.

C’est à Washington, haut lieu de la diplomatie stratégique et des équilibres globaux, que la République démocratique du Congo et la République du Rwanda ont, dans une démarche aussi inattendue que solennelle, entériné une Déclaration de principe visant à ouvrir un nouveau chapitre de leur relation bilatérale, jusqu’alors dominée par la défiance, les accusations croisées et les ingérences mutuelles.

S’inscrivant dans une conjoncture géopolitique fragile, ce texte conjoint entend poser les jalons d’une coopération économique ambitieuse, portée par l’entremise des États-Unis, à la fois garant, facilitateur et investisseur.

De la conflictualité à la convergence stratégique : une hypothèse encore incertaine
Le contexte de cette initiative n’est pas anodin. À l’Est de la RDC, les tensions demeurent aiguës, alimentées par la persistance de groupes armés, la circulation illicite des ressources naturelles et l’enracinement de logiques de guerre économique.

C’est donc dans une région historiquement marquée par l’asymétrie des relations et les effets délétères d’une économie politique du conflit que Kinshasa et Kigali tentent aujourd’hui une mue stratégique : celle d’un rapprochement fondé non sur la réconciliation mémorielle, encore largement en souffrance, mais sur l’interdépendance économique, envisagée comme levier de pacification durable.

Une coopération sectorielle comme levier de désescalade

Les termes de la Déclaration conjointe mettent l’accent sur plusieurs domaines jugés stratégiques : le développement énergétique, notamment via des projets hydroélectriques susceptibles de réduire la vulnérabilité énergétique des deux États.

La cogestion environnementale, à travers une coordination accrue dans la gestion des parcs nationaux, espaces frontaliers souvent convoités par des groupes armés et riches en biodiversité La traçabilité minière, enjeu central dans cette région où les minerais dits « de conflit » alimentent les économies informelles, les réseaux de corruption et les financements armés.

Les signataires s’engagent, en lien étroit avec des partenaires américains, à établir des chaînes de valeur responsables, transparentes et conformes aux standards internationaux en matière d’éthique des approvisionnements.

Le pari d’une intégration économique régionale encadrée

Au-delà de la simple coopération bilatérale, cette initiative s’inscrit dans une ambition plus vaste d’intégration économique sous-régionale. L’adossement à des structures multilatérales comme la CIRGL, le COMESA et la CAE révèle une volonté d’inscrire cette entente dans un cadre normatif plus large, susceptible d’en garantir la pérennité et la légitimité. Il s’agit, en creux, de réduire les logiques de compétition prédatrice entre États par l’instauration d’un espace économique cohérent, sécurisé, et juridiquement balisé.

Le rôle structurant de l’administration américaine

L’implication directe des États-Unis dans ce processus n’est pas anodine. Elle traduit, d’une part, la volonté de Washington de sécuriser ses intérêts dans la région, en particulier l’accès aux minerais stratégiques (coltan, cobalt, lithium) indispensables à l’industrie technologique ; et d’autre part, son ambition de restaurer un leadership diplomatique dans un espace africain où les influences chinoise, turque et russe deviennent de plus en plus prégnantes.

En se posant comme garant du cadre de dialogue, et en mobilisant des capitaux publics et privés, les États-Unis entendent conditionner leur soutien à des engagements vérifiables en matière de transparence, de bonne gouvernance et de coopération sécuritaire.

Vers un accord de paix structurant ?

La Déclaration de principe prévoit également l’élaboration d’un projet d’accord de paix, dont une première mouture devrait être finalisée sous peu. En cas de blocage, une réunion ministérielle est déjà prévue à Washington, preuve que les parties entendent doter ce processus d’un mécanisme de suivi diplomatique. Cette volonté de formaliser un cadre contraignant s’inscrit dans une logique de diplomatie préventive, mais elle appelle également à la vigilance : nombre d’accords de paix, dans cette région, ont échoué faute de mécanismes de mise en œuvre efficaces, ou du fait de la dissonance entre les agendas des élites dirigeantes et les attentes des populations.

Une architecture fragile, entre volontarisme politique et réalités de terrain

Cette Déclaration de principe est, en soi, un geste fort. Elle vient rompre avec une rhétorique de confrontation longtemps dominante et proposer une architecture nouvelle, fondée sur l’idée que la stabilité passe par la coopération économique. Mais elle demeure une architecture fragile, exposée aux vents contraires d’intérêts divergents, de fractures mémorielles non résolues, et d’un enracinement profond des économies de guerre.

Le véritable défi résidera dans la capacité des deux Etats à traduire les engagements solennels en actes tangibles : réformer les appareils sécuritaires, démanteler les réseaux mafieux, instaurer des mécanismes de contrôle partagés, mais surtout, restaurer la confiance que l’histoire contemporaine a trop longtemps dressés l’un contre l’autre.

Ainsi, la Déclaration de principe de Washington pourrait constituer l’amorce d’un tournant stratégique pour l’Afrique des Grands Lacs à la condition que les principes énoncés trouvent leur incarnation concrète dans des politiques cohérentes, des mécanismes robustes, et une volonté politique sincère de rompre avec la logique de prédation.

C’est à ce prix seulement que le verbe diplomatique cessera d’être une incantation pour devenir une force transformatrice et que cette région, longtemps meurtrie, pourra entrevoir les promesses d’une paix durable.

Après des années de tensions profondes, les relations entre la RDC et le Rwanda semblent entrer dans une phase de réévaluation stratégique

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