Motus et bouches cousues

Redigé par Tite Gatabazi
Le 12 février 2025 à 07:02

Le silence qui entoure les tragédies répétées en Ituri, tout comme dans d’autres régions comme Kabare, Kavumu, Minembwe et Beni, contraste fortement avec la vivacité des débats et l’attention médiatique suscités par d’autres conflits, notamment ceux liés au M23.

Le gouvernement congolais porte le poids d’une réputation ternie par des accusations récurrentes de corruption, de détournement des fonds publics et de pratiques tribales qui gangrènent son fonctionnement.

Ces travers, souvent évoqués par les observateurs nationaux et internationaux, alimentent un climat de méfiance et de déception généralisée envers les autorités. Dans ce contexte, l’inaction face à la violence qui déchire l’Ituri semble être le symptôme d’une défaillance systémique à la tête de l’État.

Alors que les populations congolaises souffrent quotidiennement des massacres et des exactions commises par des groupes armés, le gouvernement, semble démuni et incapable de mobiliser les ressources nécessaires pour endiguer cette crise. L’absence de volonté politique, couplée à une gestion inefficace des moyens militaires et humains, crée une situation où l’ordre n’est pas rétabli, et où la sécurité des citoyens demeure une promesse non tenue.

Ce constat est d’autant plus préoccupant que les rivalités internes entre les différentes factions politiques qui composent l’élite congolaise semblent exacerber cette situation d’inertie. Ces querelles de pouvoir, alimentées par des intérêts personnels et partisans, entravent la prise de décision au niveau de l’État et rendent toute action concrète contre les violences en Ituri quasi impossible.

L’absence d’unité nationale, en particulier dans des moments de crise, fragilise encore davantage la réponse à la violence et l’insécurité. L’Ituri, loin d’être une priorité pour ces élites déchirées, semble reléguée au second plan, voire ignorée, dans les stratégies politiques à court terme.

Cette déconnexion entre les préoccupations des populations et les priorités gouvernementales, alimentée par des conflits internes, accentue la faillite de l’État à répondre aux attentes légitimes de ses citoyens et à restaurer la paix et la stabilité dans cette région meurtrie.

Cette indifférence apparente peut être attribuée à une série de facteurs, tant géopolitiques qu’internes, qui façonnent la perception de ces drames au niveau national et international.

Manque de couverture médiatique

Les atrocités en Ituri, bien que d’une ampleur tragique incontestable, échappent souvent à la lumière des projecteurs médiatiques. En comparaison, les conflits impliquant le M23, en raison de ses liens supposés avec le Rwanda, prennent une place prépondérante dans le discours international.

Les médias, souvent à la recherche de récits simples et compréhensibles, tendent à privilégier les conflits présentant des dimensions géopolitiques évidentes. L’Ituri, avec ses racines ethniques et locales complexes, est moins susceptible d’attirer une couverture médiatique qui pourrait être perçue comme difficile à expliquer et, de ce fait, moins attrayante pour un large public.

Isolation géopolitique de l’Ituri

La région de l’Ituri, éloignée des frontières rwandaises et burundaises, n’attire pas l’attention géopolitique que suscitent d’autres zones du pays, notamment le Nord et le Sud-Kivu. Dans un contexte où les conflits proches des frontières sont souvent perçus comme ayant des répercussions régionales immédiates, l’Ituri reste une zone d’ombre. L’absence de l’implication d’acteurs extérieurs majeurs, qui pourraient influencer les relations internationales, contribue à minimiser l’intérêt stratégique porté à la région. Les dynamiques locales de l’Ituri, aussi tragiques soient-elles, ne semblent pas avoir l’impact immédiat et direct sur les grandes puissances internationales, ce qui en fait un sujet secondaire dans le cadre des discussions géopolitiques.

Le mutisme international

L’attitude des acteurs internationaux, qu’il s’agisse des Nations Unies, des États-Unis ou de l’Union Européenne, face aux massacres en Ituri est un autre facteur explicatif de ce silence. Les interventions internationales, lorsqu’elles existent, se concentrent souvent sur des zones où les enjeux géopolitiques sont plus évidents et plus immédiats.

L’Ituri, isolée et en proie à des luttes internes, n’est pas perçue comme un lieu stratégique où l’intervention extérieure pourrait avoir un effet immédiat. Ce manque d’attention se traduit par une absence de pression réelle sur le gouvernement congolais pour résoudre cette crise, laissant les populations locales sans soutien suffisant.

Fixation sur le M23

Le M23, avec ses liens supposés avec le Rwanda, occupe une place centrale dans les débats internationaux concernant l’Est de la RDC. Ce groupe armé, perçu comme une menace géopolitique à l’échelle régionale, bénéficie d’une attention disproportionnée par rapport à d’autres formes de violence, plus locales et peut-être moins compréhensibles dans un contexte géopolitique plus large.

La focalisation excessive sur un acteur particulier, tel que le M23, a l’effet pervers de détourner l’attention des autres crises tout aussi dévastatrices, notamment celles qui ravagent l’Ituri. Cette concentration sur un seul facteur de la violence en République Démocratique du Congo occulte la réalité complexe et multiforme des conflits régionaux.

Lorsque les récits de violence ne sont pas associés à des intérêts stratégiques tangibles ou à des enjeux internationaux évidents, ils ont tendance à être relégués dans l’ombre, négligés par les grands acteurs de la communauté internationale. Ainsi, les massacres réguliers qui déchirent l’Ituri, bien que d’une ampleur tragique, risquent de rester dans l’anonymat, dans l’indifférence générale, faute de prise en compte par les grands décideurs mondiaux qui privilégient des causes aux répercussions géopolitiques plus visibles.

Cette dynamique crée un paradoxe : tandis que certaines crises, bien qu’éloignées des projecteurs médiatiques et des stratégies diplomatiques globales, sont d’une urgence criante, elles sont néanmoins écartées de l’agenda international. La non-association de la violence en Ituri à des enjeux géopolitiques majeurs contribue à son invisibilité.

Les États et organisations internationales, absorbés par des conflits aux ramifications plus directement liées à leurs intérêts stratégiques, ferment souvent les yeux sur la souffrance des populations congolaises, en particulier celles des régions comme l’Ituri, où la violence ethnique et les massacres se poursuivent sans une réponse adaptée. Ce manque de visibilité mondiale pour des crises aussi graves nourrit un cercle vicieux d’inaction et d’oubli.

Ainsi, le silence qui entoure les tragédies en Ituri, Beni, Kabare, Kavumu, Katana est le fruit de dynamiques géopolitiques, médiatiques et internes complexes.

En l’absence de récits simples et d’enjeux géopolitiques directs, et avec un manque d’engagement aussi bien local qu’international, cette crise se voit reléguée au second plan des préoccupations mondiales.

La communauté internationale semble se concentrer davantage sur des conflits dont les implications sont perçues comme plus immédiates et tangibles, laissant les populations de l’Ituri dans un oubli cruel et prolongé.

Le silence entourant les tragédies en Ituri, Kabare, Kavumu, Minembwe et Beni contraste avec l'attention médiatique portée aux conflits du M23.

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