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Vers la fin de la controverse franco rwandaise sur l’attentat du 6 avril 1994

Redigé par Jean-Baptiste Rucibigango
Le 15 février 2014 à 01:20

Jean-Baptiste Rucibigango l’auteur de ce texte est Député PSR au Parlement rwandais
Au lendemain d’attentat contre le Falcon 50 transportant, de Dar Es Salaam à Kigali, dans la fatidique soirée du 6 avril 1994, les ex-présidents rwandais et burundais, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, leurs compagnons ainsi que l’équipage français, il existait une multitude de versions sur la responsabilité de ce crime détonateur du génocide contre les Tutsi , qui s’évanouissent actuellement, progressivement, (...)

Jean-Baptiste Rucibigango l’auteur de ce texte est Député PSR au Parlement rwandais

Au lendemain d’attentat contre le Falcon 50 transportant, de Dar Es Salaam à Kigali, dans la fatidique soirée du 6 avril 1994, les ex-présidents rwandais et burundais, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, leurs compagnons ainsi que l’équipage français, il existait une multitude de versions sur la responsabilité de ce crime détonateur du génocide contre les Tutsi , qui s’évanouissent actuellement, progressivement, au fil et à mesure que des résultats des investigations plus sérieuses voient le jour.

Le type d’avion Falcon 50 des usines Dassault.

Avec l’aide de Michel Sitbon chercheur, directeur des Editions Esprit Frappeur à Paris, auteur de Rwanda 6 avril 1994- Un attentat français, un ouvrage paru en 2012, qui nous a paru particulièrement documenté, nous allons passer en revue la plupart des hypothèses avancées sur ce crash ; en décrire brièvement les péripéties et, enfin, cerner la plus plausible.

Qui donc avait pu commettre cet attentat ? Dans les heures qui ont suivi la nouvelle d’assassinat des deux chefs d’Etat, à Kigali, les radicaux hutu proclamaient à qui voulait les entendre que c’était « un coup des Belges ». La Belgique était spécialement mal vue par la tendance Hutu Power du fait de son engagement dans les troupes de l’ONU d’assistance au Rwanda, la MINUAR- l’ancien colonisateur assurant l’essentiel de ce contingent. La présence de ses troupes était considérée comme un vrai problème par ceux qui projetaient le génocide. Elles seraient au mieux des témoins gênants, au pire un obstacle pour les massacres massifs envisagés. Michel Sitbon, op.cit. , p.27.

Rétrospectivement, cette accusation, lancée immédiatement après la chute de l’avion de Habyarimana, apparaît comme un simple élément de la propagande antibelge déjà engagée depuis quelque temps. Il s’agissait de faire monter la pression contre les troupes belges afin de rendre la situation suffisamment intenable pour que Bruxelles soit contraint de décider leur retrait. Le lendemain, le 7 avril 1994, en massacrant les 10 Casques Bleus belges, les hommes de la Garde Présidentielle (GP), sous la houlette du colonel Théoneste Bagosora, finiront par obtenir effectivement ce retrait quasi indispensable au déploiement du programme génocidaire : Sa mise en œuvre allait pouvoir s’exécuter à huit-clos.

Les Belges étaient surtout les seuls suspects, hormis le Hutu Power et ses alliés français, qu’on puisse présenter à l’opinion locale avec un minimum de vraisemblance, car tout le monde ou presque savait alors ` que le FPR n’avait d’aucune façon les moyens d’un tel acte sur un terrain totalement contrôlé par ses adversaires. Les hommes de la MINUAR, par contre, circulaient assez librement, en particulier dans le secteur de l’aéroport international de Kanombe où ils étaient basés et par lequel ils recevaient leur ravitaillement. Des soldats belges auraient fait « le coup » pour le compte du FPR : d’un point de vue pratique, c’était la seule solution pour imputer l’attentat à l’adversaire. Mais cette hypothèse supposait d’abord une forte complicité entre la Belgique et le FPR. Or, rien n’atteste d’une telle chose dont on ne trouve pas l’ombre d’un indice dans aucun recoin du dossier, écrit Sitbon, op.cit. , p.28. Mais dans l’esprit paranoïaque des propagandistes du génocide, comme la Belgique s’était engagée dans la MINUAR dans l’espoir de l’empêcher, elle était « objectivement » complice des « Tutsi » vite assimilés, dans l’entendement des extrémistes hutu, globalement, au FPR. En fait, Bagosora était obligé de dénoncer les Belges pour déchaîner la foule contre eux et affaiblir la MINUAR. Ainsi le génocide pouvait commencer…

Ce qu’on a appelé « l’hypothèse belge » n’est, de fait, plus évoquée sérieusement par personne aujourd’hui. Que reste-t-il comme possibilités ? Qui aurait pu commettre un tel attentat ? Ce qu’on sait, c’est que l’avion fut abattu d’un tir de deux missiles consécutifs, une opération relativement sophistiquée pour laquelle il fallait quelques compétences. Le coup « doublé », expliquent les experts militaires, est indispensable lorsqu’il s’agit d’abattre un avion en plein vol muni de dispositifs de protection. Selon Dassault, le fournisseur de l’avion, cette « option » permettant d’esquiver un tir « simple » aurait été omise sur le modèle livré à l’ex-président Habyarimana. Les experts n’y voient pas de contradiction : « Le premier missile peut être évité, mais le deuxième, s’il est envoyé presque simultanément, atteint sa cible quasi immarquablement. Cette technique du « double tir » plus ou moins simultané permet de conclure qu’en tout cas cet attentat n’ait pu être l’œuvre que des « professionnels » très familiarisés avec ce type d’avion. » Op.cit.

Même « une hypothèse américaine » aurait été envisagée

D’après les diverses thèse en présence, seul le FPR avec l’aide des USA, ou le Hutu Power, avec l’aide de la France, auraient eu les moyens d’une telle opération. Les missiles employés d’origine soviétique, étaient entre les mains des belligérants des deux camps, leur transmis par les deux commanditaires (USA et France), qui les auraient récupérés à l’occasion de la guerre du Golfe Persique sur les stocks de l’armée irakienne défaite. Or, ceux-ci sont entre les mains de l’armée française depuis le premier jour de l’attentat. Avec des numéros de série de fabrication partiellement effacés-ont expliqué les autorités militaires françaises aux députés de leur pays de la Mission Quilès, vers 1998, après 4 ans d’un silence pour le moins étonnant. L’effacement partiel des numéros laisserait la place au doute et à l’absence de preuve formelle.

S’agissant précisément de « l’hypothèse américaines », c’est Bernard Debré qui a fait, le premier, quelques déclarations fracassantes dans les médias. Puis, Alain Juppé, Edouard Balladur et François Léotard ont repris la même thèse devant la Mission parlementaire. « Des hommes du FPR auraient été entraînés aux USA, à Phoenix, en Arizona, a expliqué, en particulier, François Léotard, ministre de la Défense à l’époque des faits, c’est-à-dire lorsqu’il aurait fallu procéder à une enquête sérieuse ». Op.cit., p.46.

On ne peut que s’étonner de la légèreté avec laquelle une accusation pareille était contre une super- puissance mondiale, principale alliée de la France, proférée par des hommes politiques aussi importants- dont deux anciens premiers ministres, bien qu’il s’agissait évidemment d’un leurre.
Ce n’est pas, en tous cas, ce qu’écrit le professeur Filip Reyntjens de l’université d’Anvers, chercheur pourtant généralement hostile au FPR. Selon ses informations, les missiles seraient d’origine française- et il en donne, lui, les numéros complets dans son ouvrage « Rwanda : trois jours qui ont fait basculer l’histoire ». Cahiers africains, no 16, l’Harmattan, 1995. Reyntjens précise qu’il tient cette information de diverses sources concordantes : les services secrets belges, les services anglais, et des milieux d’extrémistes hutu en exil, dont il est si proche. Cette information aurait été, en outre, recoupée par une enquête effectuée par le journaliste De Saint-Exupéry du Figaro-Magazine. « C’est beaucoup », conclut provisoirement l’analyste et l’éditeur Michel Sitbon. Op.cit., p.31.

On comprend mieux, aujourd’hui, que l’ensemble de cette opération, présentant de pseudos missiles avec de pseudos numéros de série de fabrication, effacés ou pas, des tubes de lancement de missiles même pas tirés, intacts, un mois après les faits, vers le lieu dit « la Ferme de Masaka », pourrait bien avoir été un simple leurre, pour brouiller le dossier. Depuis des années, le juge Jean-Louis Bruguière, Pierre Péan, Stephen Smith, Charles Onana et d’autres braillards négationnistes du génocide contre les Tutsi seraient parvenus néanmoins à faire assez de fumée pour que les indices sérieux pointant vers une responsabilité française soient provisoirement écartés des débats. Et ceci au bénéfice d’une polémique centrée sur l’accusation absurde contre le FPR, qu’ils renvoient en miroir (accuser l’autrui des crimes de soi-même, NDA), inlassablement depuis bientôt dix-neuf ans, même après avoir subi plus de démentis qu’il n’est possible d’en concevoir.

Le juge Bruguière aura été chargé d’ « instruire » cette théorie, et ne se sera pas gêné pour faire feu de tous bois, artifices rhétoriques, témoignages dictés par le juge au greffier, que le témoin « acheté » n’avait plus qu’à signer, et autres manifestes entorses qu’on peut qualifier, sans exagération, d’escroquerie ou de forfaiture. Op.cit., pp.6-47.

Ainsi, en particulier, le faux-brûlot, L’Histoire Secrète du Rwanda, attribué à un certain Abdul Ruzibiza, de près de 500 pages, en réalité pensé, rédigé et édité par la crème des intellectuels français, Claudine Vidal et André Guichaoua, qu’ils considèrent eux-mêmes comme un exploit, mais, en réalité qui n’était qu’un témoignage abradabrant sans tête ni queue, semblable au scénario du romancier défunt Gérard de Villiers, auteur d’une très romanesque aventure de SAS à Kigali présentant une hypothèse selon laquelle l’attentat aurait été commis par une subtile alliance FPR-Hutu Power ; mais peut-être n’a-t-on tout compris, commente Sitbon, en note infrapaginale ! Mais, comme on le sait, les romans bâtis sur le modèle des SAS n’ont aucune valeur, ni littéraire, ni scientifique et, à plus forte raison, argumentaire.


L’avènement du juge Trévidic

Atteint par l’âge de la retraite et la sénilité intellectuelle, Jean-Louis Bruguière aura dû céder son dossier, non encore conclu, au juge Trévidic, lequel a été obligé de reprendre l’instruction à zéro tant celle-ci n’était ni faite ni à faire. Après quelques années d’un travail nettement plus rigoureux, Trévidic aura pu non seulement vérifier l’inconsistance des « témoignages » rassemblés par son prédécesseur, mais aussi mettre en œuvre une véritable enquête, sur le terrain,

Le lieu du crash d’après l’enquête effectuée par le juge Trévidic.
au Rwanda même et dans la sous-région des Grands Lacs (Burundi notamment), qui a permis d’établir que l’hypothèse soutenue par Bruguière est contredite factuellement : les missiles sont partis du camp militaire de Kanombe, proche de l’aéroport international du même nom, où les troupes d’élite des ex-FAR étaient entraînées par l’armée française, et où résidaient les coopérants militaires français encore présents au Rwanda à l’heure du déclenchement du génocide, en avril 1994-plusieurs mois après le retrait « officiel » des troupes françaises intervenu en décembre 1993. Op.cit., pp. 7-8.

L’ « hypothèse forte »

C’est dans ces termes que Michel Sitbon (op.cit, p. 25) qualifie l’hypothèse française. En quoi cette dernière consiste-t-elle ?

Vers la mi-juin 1994, alors que l’ampleur du génocide contre les Tutsi avait presque fait oublier l’événement qui en avait été le détonateur, un témoignage écrit parvint de Kigali à Colette Braeckman, la célèbre reporter du journal « Le Soir » de Bruxelles. Etonnant dans sons contenu, le témoignage paraissait bouleversant dans sa forme.

Il s’agissait d’une lettre manuscrite qui avait été déposée au bureau de la reporter par un porteur anonyme. Une écriture étrange, déformée par les lettres majuscules mais lisibles, assurait : « L’avion du président Habyarimana a été abattu par deux militaires français du DAMI (Département d’Assistance Militaire à l’Instruction, NDA) au service de la CDR dans le but de déclencher le carnage […]. Depuis 1991, avec la complicité de DAMI, nous avons fait porter le chapeau aux Belges qui sont trop cons pour s’en rendre compte ! Je ne donnerai pas les noms des Rwandais mais l’un des Français s’appelle, je crois, Etienne et est jeune. Le message se concluait de manière dramatique : « Moi, j’ai le bras droit arraché et je vais sans doute mourir faute de soins. C’est pour deux amis belges que j’ai décidé de dire la vérité. Adieu ».

Après plusieurs jours de confrontations, toutes les informations disponibles se rejoignent en un seul faisceau : il s’agissait, plus que vraisemblablement, d’un document authentique. Car, entre-temps, Colette Braeckman, avait procédé à d’autres recoupements […].
Elle avait le sentiment, avoue-t-elle, d’avoir identifié l’auteur de la missive car près de son domicile présumé avaient vécu deux couples de médecins belges qui lui avaient effectivement parfois rendu service. Colette Breackman révèle ensuite qu’elle s’était souvent rendue chez ces médecins et qu’elle se souvient avec précision de ces petites maisons du bout de la rue qui abritaient des groupes de miliciens de la CDR, note Colette Braeckman.
La lettre fut soumise, durant plusieurs jours, à des spécialistes de l’Afrique, et de ce type de montages, experts judiciaires, graphologues. Il fut établi que le texte avait été écrit de la main gauche, que l’auteur devait être Rwandais d’origine car il employait encore, à propos de la garde présidentielle, l’ancienne appellation de « garde nationale ».

Des témoignages établirent par la suite qu’un « Etienne » se trouvait effectivement au Rwanda à ce moment. Cet « Etienne » était en réalité le nom de code d’un instructeur de tir français qui avait travaillé au Rwanda, P.E.,en réalité, spécialiste de tir mortier et portant le grade de sergent, qui faisait partie du DAMI, qui avait quitté Kigali avec l’Opération Noroît en décembre 1993. Il était discrètement revenu au Rwanda en mars 1994 et depuis l’été, il se trouvait au Burundi. Ces informations proviennent de sources privées, l’armée française n’ayant pas l’habitude de communiquer les noms et affectations de ses militaires qu’ils soient ou non en service. Colette Braeckman, « Rwanda : Histoire d’un génocide ». PP. 118-192.

Dès juin 1994, les éléments rapportés par Colette Braeckman suffisaient pour tirer toutes les conséquences.

Des soldats français se seraient chargés directement de la pulvérisation de l’avion d’Habyarimana, la France officielle n’avait pas seulement « accompagné » l’exécution du génocide contre les Tutsi, mais bien plutôt assuré sa « direction opérationnelle » -et, dans un tel cas, on en savait assez sur le régime présidentiel français pour comprendre que seul François Mitterrand était en position de prendre de telles décisions.

D’emblée le mystère s’éclaircissait. On voyait bien que l’attentat avait servi de feu à l’exécution du génocide planifié, mais il semblait difficilement concevable que le Hutu Power, patronné par le clan d’Agathe Kanziga, la veuve du président défunt, qui avait toujours couvé ce parti sous son aile présidentielle, soit directement impliqué dans l’attentat. Lorsqu’on craignait que survienne le génocide annoncé, on imaginait d’ordinaire que le maître d’œuvre d’un tel programme serait Juvénal Habyarimana lui-même. Michel Sitbon, op.cit., p.26. On supposait ces hypothèses contradictoires jusqu’à une date assez récente. Avant que la vérité soit dévoilée maintenant.

L’identification presque complète d’un des deux tireurs sur la cible

Plus de dix-neuf ans plus tard, vérification faite, il est possible de reconstituer que « Etienne » était le pseudonyme d’un soldat s’appelant Pascal Estreveda, spécialisé en balistique (tirs de mortiers mais aussi des missiles, NDA), séjournant alors entre le Rwanda et le Burundi voisin. Outre son prénom chrétien et son nom de famille à présent nominalement désignés, on sait, aujourd’hui, qu’il portait le grade de sergent, qu’il était instructeur de tirs, qu’il avait fait partie de l’Opération Noroît d’octobre 1990 à décembre 1993, qu’il était discrètement revenu à Kigali en mars 1994 et, depuis l’été 1994, il se retrouvait au Burundi. Les compétences d’ « Etienne » en qualité de tireur étaient notoires au sein de DAMI (voir supra). En d’autres termes, il est probable qu’il savait comment exécuter correctement le tir sophistiqué qui abattit l’avion d’ex-président Habyarimana. Op.cit., p.39.

On avait compris jusque-là qu’en application des accords d’Arusha, et des décisions de l’ONU qui avaient présidé à la création de la MINUAR, le contingent militaire français avait quitté définitivement le Rwanda en décembre 1993, laissant la place aux hommes du général Roméo Dallaire. C’était seulement en partie vrai. Il restait, en fait, sur le territoire rwandais, une vingtaine d’assistants militaires français des « AMT » (Assistance Militaire Technique)- ainsi que c’est aujourd’hui reconnu sans être pour autant expliqué. En plus de quoi, il faudrait compter également des « DAMI » (voir supra), dont la mission n’était pas officielle, puisque officiellement il n’y avait là donc que les 25 coopérants militaires, attaché de défense à l’ambassade de France compris.

Selon les témoignages faisant état de la présence ultérieure de ces soldats d’élite à Kigali, des « électrons libres » en quelque sorte, dès le mois de février,- à l’époque où se prépare fiévreusement l’attentat, - lorsqu’on les interrogeait sur leur présence au Rwanda après que le gouvernement français eut décidé de retrait de ses forces, ils disaient être là en vacances, à titre privé.

Le capitaine Paul Barril aurait recruté le sergent Pascal Estreveda dans la coopération militaire française au Burundi, pour un « hit contract » contre J.Habyarimana.

La raison de la présence ultérieure à Bujumbura du soldat Pascal Estreveda alias « Etienne » en mai 1994, en même temps d’ailleurs que la fameux Paul Barril, qui était également présent « sur une colline du Rwanda » au moment d’attentat, comme il l’explique gracieusement dans son livre de mémoires, Guerres secrètes de l’Elysée, semble être liée à la déstabilisation et à l’insécurité qui règnent au Burundi, dans la foulée d’assassinat du président Melchior Ndadaye, au profit duquel les « actions de sécurité rapprochées » étaient, pourtant, censées être assurées par Paul Barril. Ndadaye était mort en 1993, moins d’un an auparavant. Op.cit., pp. 37-39. Le putsch militaire sanglant au Burundi provoqua des troubles inattendus visant les Tutsi au Rwanda.

Pour revenir à la piste française dans l’attentat contre le Falcon 50 d’Habyarimana, on dispose d’une autre source précieuse. Il s’agit de l’historien Gérard Prunier envoyé par le ministère de la Défense français au Rwanda pour négocier avec Paul Kagame, alors vice-président du FPR, pendant l’Opération Turquoise. Son rapport particulièrement documenté, probablement consécutif à son retour de mission à Musha, Kigali rural, au QG de Kagame, en juin 1994, révèle que le capitaine Barril « connaissait les personnes capables de recruter des mercenaires blancs expérimentés pour un " Hit Contract " sur le président Habyarimana ». Ce sont là les termes propres de Prunier, cités, mot à mot. Mais, jusqu’à ce jour, l’énigme Paul Barril n’a fourni le moindre alibi à cette accusation de la plus extrême gravité. Voir Rwanda : le génocide, op.cit. Dans la Franҫafrique d’hier et peut-être d’aujourd’hui, il est évident qu’il fait partie des hommes qui agissent pour le compte d’un Etat, avec un statut particulier qui ne trompe personne mais qui permet-relativement-de dégager la responsabilité directe de celui –ci (Etat, NDA) quant à leurs actes. Voir notamment Patrick Saint-Exupéry, L’inavouable, p.256.

La suppression systématique des témoins gênants et le massacre des victimes collatérales

Il resterait à expliquer, enfin, pourquoi la première réaction des paras du camp de Kanombe, commandés par le colonel Protais Mpiranya, aujourd’hui exilé au Zimbabwe, fut de procéder, le soir même de l’attentat, à l’élimination systématique des 3000 inoffensifs paysans de la proximité du camp, dont une écrasante majorité de Hutu, si ce n’est dans l’intention de camoufler les faits et de supprimer à tout prix les témoins gênants. Si cela dépendait de ces paras exclusivement hutu extrémistes, ceux-ci auraient sélectivement massacré la seule population tutsi comme on leur avait appris à le faire si méthodiquement au cours des simulations de génocide au Mutara (oct.1990), Kibilira, Bugesera et Kibuye entre 1991 et 1992.
Rappelons aussi que c’est après l’attentat que dans les locaux de l’ambassadeur de France, en présence de l’ambassadeur Marlaud, s’est constitué le gouvernement intérimaire génocidaire, sous l’impulsion d’architecte du génocide contre les Tutsi, le colonel Théoneste Bagosora. A noter également la probable présence du lieutenant-colonel Maurin, reconnu comme « chef d’état-major de fait » des ex-FAR, dont on sait qu’il avait installé son QG à l’ambassade dès ce soir du 6 avril 1994 alors que le chef de l’Etat venait d’être abattu dans les conditions que l’on sait et que, le lendemain, Agathe Uwilingiyimana, premier ministre était à son tour lâchement assassiné ainsi que les 10 Casques Bleus belges de sa garde personnelle.

En accueillant les responsables de ces meurtres dans sa résidence et en les plaçant sous sa protection, l’ambassadeur de France montrait qu’il apportait sa bénédiction à leur coup d’Etat. Or, l’assassinat du premier ministre était bien le deuxième acte d’une prise de pouvoir par les génocidaires dont le premier acte avait été l’attentat contre l’avion du président. Suit le massacre sélectif des membres influents du gouvernement et du président de la cour Suprême, Joseph Kavaruganda, pour créer le vide constitutionnel. A ce niveau, la stratégie génocidaire atteint un point de non-retour, une phase irréversible et prit un cours inexorable.

Parmi les victimes collatérales, il faut ajouter, enfin la mort violente de François De Grossouvre, conseiller spécial de François Mitterand, dans son bureau de l’Elysée, le 7 avril 1994, le lendemain des tirs de missiles qui ont abattu l’avion d’ex- président Juvénal Habyarimana au dessus de Kigali, ouvrant la voie au génocide contre les Tutsi. Ce jour-là, une balle de 357 magnum a mis brutalement fin à la vie du fidèle conseiller dans le silence feutré de l’Elysée. « Sans témoin, sans lettre d’adieu, sans un mot pour ses proches, sans même un geste, ni le moindre signe de dépression mentale… ». Op.cit., p. 151.

François De Grossouvre, l’une des victimes collatérales d’attentat du 6 avril 1994.

En réalité, selon une recherche approfondie effectuée par Michel Sitbon et le chercheur afro-français Mehdi Ba, le matin du 7 avril 1994, à l’Elysée, François De Grossouvre apprenant la nouvelle de l’attentat, aurait déclaré : « Les cons, ils n’auraient pas fait ҫa ! ».Op.cit., p. 144. Il en savait assez, lui, pour décrypter instantanément l’information. Il savait bien que les services secrets français étaient les maîtres du terrain à Kigali. Il savait aussi probablement que le projet génocidaire allait se matérialiser, inévitablement. Il comprit que « les cons » avaient tué Habyarimana pour mettre en œuvre leur folle stratégie criminelle. Dès lors, concluent-ils les deux chercheurs, ses heures étaient comptées. « C’est peut-être pourquoi il est resté dans son bureau de l’Elysée, dans l’espoir qu’on n’ose pas l’assassiner là ». Ibidem, p.151.

Pour sa part, Paul Barril, qui est pourtant le principal suspect dans l’attentat contre le Falcon 50, écrit ceci : « […] le simple bon sens commande de s’interroger sur la proximité de ces deux événements, les morts violentes de François De Grossouvre et du président Habyarimana. » Op.cit., p. 145. C’est concluant.
L’extrême absurdité d’hypothèse FPR
« […] et si le FPR avait organisé cet attentat ? » S’interroge Michel Sitbon, op.cit., p.43. La première objection à cette hypothèse est d’ordre politique : Habyarimana avait signé à Arusha un accord prévoyant la mise en place d’un gouvernement d’union nationale incluant le FPR. Pour tous les observateurs de la politique rwandaise, il s’agissait d’une considérable victoire pour ce parti. On comprend mal pourquoi ce même parti aurait choisi de liquider l’homme avec lequel il venait de conclure un accord lui donnant satisfaction-au risque de réduire cet accord à néant. A cet argument, on répond qu’il y aurait eu au FPR des « extrémistes » qui souhaitaient conquérir le pouvoir sans partage, et pour lesquels cet accord aurait été insuffisant. Il est facile d’objecter que cette hypothèse ne correspond pas du tout à ce qu’on sait du FPR : il s’agit d’un parti et d’une armée extrêmement disciplinés. Par ailleurs, ce scénario implique que ces « extrémistes » auraient parié sur le génocide des Tutsi, dont tout le monde savait qu’une déstabilisation de l’Etat rwandais lui aurait donné le feu vert. Ibidem, pp. 43-44.

Conclusion : une étape décisive de réclamer des réparations pour le Rwanda
Ce qui apparaît au bout de cette enquête, c’est la responsabilité totale de la France, de son armée, de ses services secrets et de son gouvernement- à commencer par la présidence. Or, depuis dix-neuf ans bientôt, du rapport de la Mission d’information parlementaire, en 1988, aux plus récentes déclarations de Sarkozy ou de son précédent ministre des A.E. Bernard Kouchner, la France veut bien tout au plus « reconnaître quelques erreurs d’appréciation. »

C’est trop peu et trop injuste à la fois compte tenu d’ampleur et d’étendue du génocide. Et des responsabilités irréfutables françaises. Et pendant qu’on discute, pas plus que les véritables responsabilités n’ont commencé à être examinées, personne n’a encore versé de réparations aux victimes du génocide contre les Tutsi… Op.cit., p.9. L’avènement de François Hollande, depuis deux ans, a même marqué un recul par rapport à la déclaration de Sarkozy.
Or, les patrons de l’armée française et les politiques qui dirigent cette armée, ce sont les élus du peuple français, de droite et de gauche, pour lesquels les citoyens français se sont déplacés au bureau de vote avec ferveur, les budgets des « Operations spéciales » proviennent des taxes et impôts que les contribuables français paient régulièrement tous les jours-et c’est autant d’argent retiré à leurs écoles et à leurs hôpitaux. Or, cet argent aura servi, au Rwanda, à financer un des plus horribles crimes de l’Histoire Universelle : l’extermination systématique d’un peuple qui avait le mauvais goût de ne pas être compris par l’Elysée. Op.cit., p.9.
Michel Sitbon rappelle au passage, op.cit., p.16, qu’il n’est exagéré d’user de superlatifs pour qualifier le génocide de 1994 contre les Tutsi, de « crime le plus horrible ». Ceci pas seulement en raison du caractère particulièrement odieux des moyens employés pour cette énorme tuerie. On a forcé des mères à tuer leurs enfants- et réciproquement. Des maris ont tué leur femme-des femmes leur mari. Au total, le génocide a fait plus d’un million de victimes pendant 100 jours- un temps record sans précédent dans l’histoire.
Il n’y a pas eu de chambre à gaz au Rwanda, comme dans le génocide juif. Le Zyklon-b s’appelait la manipulation de la masse hutu. Et les armes, des machettes, des gourdins. Or, tous les ingrédients de cette manipulation sophistiquée étaient, semble-t-il, d’inspiration française, des universités et des grandes écoles militaires françaises, y compris des gourdins cloutés, « Nta mpongano y’umwanzi », dont on trouve les modèles dans les musées en France.


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