La recette parisienne du pâté d’alouette
C’est ce que l’on appelle l’équilibre : donner la parole à toutes les parties, laisser chacun libre de donner son opinion, sans interférer…Quelle formule magnifique, mise en œuvre par le magazine « le Un » dans sa dernière édition….
Lorsque fut annoncée la préparation d’un numéro spécial, consacré au Rwanda, comment aurais je pu refuser de rédiger une tribune à côté d’Hubert Védrine, qui fut secrétaire général de l’Elysée en 1994 ? Depuis lors le brillant diplomate n’a cessé de défendre l’action de la France au Rwanda. Pour ma part, témoin oculaire d’une réalité beaucoup plus glauque, il me paraît, aujourd’hui comme hier, important de rappeler comment un grand pays démocratique se retrouva aux côtés d’un régime qui préparait le génocide et qui le mit en œuvre dans les premières minutes qui suivirent l’attentat contre l’avion du président Habyarimana le 6 avril 1994.
Pour ce qui concerne l’article, le diable gisait dans un détail, mal expliqué ou mal compris au moment de la commande du texte : le format demandé. Comment imaginer que le deux modestes colonnes qui m’étaient proposées, tenant sur 3500 signes, allaient représenter la seule opinion divergente face aux quatre longues colonnes dans lesquelles Hubert Vedrine justifiait, une fois encore l’action de la France.
Pierre Péan de son côté, sur une double page ironiquement appelée la « manipulation »- exemple parfait d’accusation en miroir- exposait une « enquête » consistant à remonter une fois de plus le cours du processus judiciaire et à discréditer un juge d’instruction qui, comme Marc Trevidic, s’était donné la peine de se rendre au Rwanda, d’écouter de nombreux témoins et de prendre des mesures balistiques destinées à déterminer d’où avaient pu partir les tirs de missiles qui abattirent l’avion présidentiel.
Sans surprise, aux yeux de Péan, le spécialiste qui sait tout du Rwanda sans avoir eu besoin d’y aller, la seule instruction valable demeure celle du juge Jean-Louis Bruguière, qui lui non plus ne posa pas un orteil sur le terrain. Instruction qui, par la suite, fut contredite par de nombreux témoignages et par les revirements de plusieurs interlocuteurs…
C’est que le roulement de tambours, surprenant au milieu d’une actualité qui offre tant d’autres sujets, annonce peut-être un autre scoop en train de mijoter dans le chaudron de la désinformation : le témoignage du général Kayumba Nyamwasa. Aujourd’hui réfugié en Afrique du Sud, celui qui fut naguère le patron du DMI rwandais (les services de renseignements) se prépare à venir témoigner contre Paul Kagame dont en 1994 il était le plus proche lieutenant sur le terrain.
Peut-on se prévaloir de sa propre turpitude ? Kayumba se prépare vraisemblablement à le faire devant les juges français, auxquels il expliquera que c’est Paul Kagame, alors chef militaire du Front patriotique rwandais, qui donna l’ordre d’abattre l’avion présidentiel.
Kayumba fut un élément de poids au sein du Front patriotique rwandais : ayant grandi en Ouganda comme Kagame, d’ascendance royale comme lui, il dirigea les services de renseignement puis fut, après de premiers désaccords, il fut désigné comme ambassadeur à Londres et en Inde. Après la rupture définitive, il passa à l’opposition et fut l’objet de deux tentatives d’assassinat alors qu’il était réfugié en Afrique du Sud.
Comment Kayumba, qui en 1994 dirigeait la branche armée du FPR, pouvait il ne pas être associé à l’action qu’il dénonce aujourd’hui, -l’attentat contre l’avion du président Habyarimana- dont, pas plus que Kagame, il ne pouvait ignorer les probables conséquences, c’est-à-dire le début du massacre systématique des Tutsis du Rwanda ?
Le témoignage que Kayumba sera appelé à livrer prochainement sera sans doute dicté par son opposition à Kagame mais aussi par le désir de vengeance : non seulement il échappa lui-même à la mort mais Patrick Karegeya, un autre haut responsable du FPR lui aussi en exil en Afrique du Sud, fut assassiné dans son hôtel malgré la protection dont il jouissait.
Sa déposition alimentera une nouvelle fois la polémique et représentera un niveau rideau de fumée destiné à masquer une vérité accablante qui, au fil des enquêtes, tend à se préciser davantage chaque année : celle de la responsabilité française dans le dernier génocide du siècle dernier.
Mais pour l’instant, le détail qui nous frappe dans la démarche du magazine « le Un », ce n’est pas la résurrection d’une polémique vieille déjà de deux décennies, c’est l’étonnant calcul qui met sur le même pied de longs articles qui font plus de trois pages au total et un modeste billet. Comme si « 1 plus 0,001 faisaient deux ». Si c’est cela l’objectivité, l’équidistance à la française, elle a le goût amer du pâté d’alouette…
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