Quand l’ex- président rwandais, Juvénal Habyarimana, décollait de la Tanzanie, le 6 avril 1994, il faisait déjà nuit. Du fait de l’heure tardive et de l’insécurité qui règnait dans son pays, son équipage français a tenté de le convaincre d’attendre le lendemain pour repartir. En vain. L’ancien dictateur est pressé de quitter le sommet de Dar es-Salaam où, sous la pression, il a dû promettre d’appliquer enfin l’accord de paix prévoyant le partage du pouvoir avec le FPR. Il doit aussi ramener chez-lui son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, également présent à la réunion.
A 20 heures 21’, le Falcon annonce son approche à la tour de contrôle de l’aéroport de Kigali. Il apparaît tout phare allumé dans le ciel d’encre lorsqu’une balle traçante file à sa rencontre, décrit une courbe, puis redescend. Une seconde flamme orange part du sol et, cette fois, atteint sa cible. A 20 heures 25’, l’avion explose en vol et s’écrase près de la résidence présidentielle. Le corps déchiqueté de Juvénal Habyarimana sera retrouvé dans ses propres jardins, ainsi que les dépouilles des trois Français membres d’équipage, Jacky Héraud, Jean-Pierre Minaberry et Jean-Michel Perrine.
Une thèse mise à mal
D’où le missile est-il parti ? La question peut paraître anecdotique, voire dépassée, dix-huit ans après les faits. Elle est pourtant l’une des clés de l’attentat qui a coûté la vie de l’Ancien dictateur et donné le signal du génocide qui a emporté plus d’un million de personnes à majorité composées des Tutsis. Pour le juge Jean-Louis Bruguière, qui a le premier instruit l’affaire, sans jamais se rendre sur place, la roquette a été tirée par le FPR depuis Masaka, une colline boisée, située à quelques 4 km de l’aéroport. Le but ? Déclencher un processus de guerre pour faire tomber le régime.
Contrairement à leur prédécesseur, les deux magistrats qui ont repris depuis quatre ans l’instruction, Nathalie Poux et Marc Trévidic, sont partis du terrain et non de déclarations recueillies pour l’essentiel auprès d’opposants en exil à Paul Kagame. Sept experts ont été dépêchés sur place : trois spécialistes en aéronautique, deux géomètres, un balisticien et un acousticien. Leur rapport qui sera remis cet après-midi aux parties fragilise un peu plus les conclusions du juge Bruguière déjà mises à mal par la rétractation de plusieurs témoins.
Selon nos informations, ils ont pu établir que l’avion qui volait alors à très basse altitude a été touché sur son flanc gauche à proximité du lieu du crash, soit à plus de trois kilomètres de la « ferme » de Masaka, point de départ présumé du missile. Cela supposerait alors que le tireur a accroché le Falcon alors qu’il arrivait dans sa direction, puis l’a laissé passer et l’a abattu par derrière. Les experts ont également étudié deux témoignages anciens, passés à l’époque inaperçus.
Deux témoignages clés
Le premier émane du dr Pasuch Massimo, un médecin militaire belge membre de la MINUAR, la mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda, qui résidait dans un camp des Forces armées rwandaises (FAR) à Kanombe, près de la piste d’atterrissage. L’homme a été auditionné par l’auditorat militaire de Bruxelles quelques mois après l’attentat. Le 6 avril au soir, il se trouvait dans son living quand il a « entendu un bruit de souffle », puis a aperçu « un éclairage filant orange" et enfin "une boule de feu qui s’écrasait sur la parcelle du Président ».
Le second témoin est un Français, Grégoire de Saint-Quentin, lieutenant-colonel des troupes de marines. Assistant militaire auprès des FAR, il logeait lui aussi à l’intérieur du camp de Kanombe, dans la dernière ligne de maisons. « Vers 20 h 30’, j’ai entendu le départ des coups, puis l’explosion, raconte-t-il sur PV à Jean-Louis Bruguière, le 8 juin 2000. Puis, j’ai vu une boule de feu dans le ciel ». Cet homme devenu depuis général a été auditionné une nouvelle fois par le juge Trévidic, le 7 décembre dernier. Il a confirmé avoir « entendu deux départs de coups » qu’il situe à 500 ou 1000 mètres de sa villa. Et d’ajouter : « C’était suffisamment proche pour que je crois qu’on attaquait le camp ».
L’expert en acoustique a étudié avec précision la configuration du lieu, la température, les conditions climatiques, afin de connaître les modalités de propagation du bruit, ce soir-là. Il apparaît hautement improbable que les deux militaires aient pu percevoir le souffle de missiles tirés à 3km, 750m de là, au lieu dit de la ferme de Masaka. Et surtout, la vitesse de la lumière étant cent fois plus rapide que celle du son, les deux hommes auraient dû voir l’avion exploser avant d’entendre les roquettes.
Conclusion : les tireurs se trouvaient à proximité, voire à l’intérieur, du camp de Kanombe, tenu par des officiers rwandais pour la plupart hostiles au règlement de paix qui imposait la fusion des rebelles et de l’armée régulière. Cette autre piste n’a jamais véritablement été explorée par le juge Brugière : celle d’un coup d’Etat perpétré par des génocidaires déterminés à empêcher l’application du traité d’Arusha et à en finir une bonne fois pour toute avec les Tutsis.
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