Après des tractations dignes d’une partie d’échecs de haut niveau et des échanges enflammés, les membres de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre ont finalement « produit » la liste des dix membres d’une équipe multidisciplinaire qui sera chargée, d’ici la rentrée d’octobre prochain, de préparer les grandes lignes de réflexion de la commission d’enquête parlementaire qui, durant une année au moins, examinera toutes les facettes de la colonisation belge au Congo et de la tutelle au Rwanda et au Burundi.
La difficulté de constituer cette première équipe chargée de baliser un terrain miné illustre l’ampleur de la tâche qui attend les parlementaires. En effet, la liste des personnalités choisies frappe par sa diversité : les historiens considérés comme des spécialistes de la monarchie, Pierre Luc Plasman ou Valérie Rosoux côtoieront les professeurs Elikia M’Bokolo, qui enseigne à Paris et Kinshasa l’histoire « large » de l’Afrique, Guy Van Temsche, qui a beaucoup travaillé sur l’angle économique de la colonisation, Amandine Lauro (ULB) spécialiste de l‘histoire coloniale et Zana Etambala (KUL). Martine Schotsman, spécialiste des commissions Vérité et Réconciliation a également été retenue, dans le même esprit que Mgr Nahimana, un évêque du Burundi, présenté par la N-VA et qui présida la Commission Vérité dans son pays.
Société civile
La philosophie de la commission parlementaire étant d’entendre les voix, ou en tout cas les porte-parole des victimes, la politologue Nadia Nsayi, qui travaille aujourd’hui au Musée d’Anvers fut retenue, de même qu’Olivia Umurerwa Rutazibwa, qui enseigne la politique à l’Université de Portsmouth et se fit connaître en Belgique par ses vues très pointues sur la coopération au développement (un terme qui sera soumis à l’analyse…). Pressenties, les deux expertes ont jusqu’à présent décliné la proposition.
Dès le début, des associations s’exprimant au nom de la diaspora, comme « Bamko » ou « Change », avaient exigé de figurer dans le premier groupe d’experts, au titre de la société civile et pour les Ecolo/Groen, leur légitimité était au moins égale à celle des experts proposés par le MRAC - Musée royal de l’Afrique centrale - de Tervuren. Quatre représentantes des associations d’ Afro-descendants, (Bamko, Plateforme des femmes de la diaspora, Mamas For Africa et Collectif Mémoire coloniale) seront contactées au coup par coup dès le début des travaux. Ces militantes devraient contribuer au travail de déconstruction des préjugés discriminatoires considérés, jusqu’aujourd’hui, comme l’une des conséquences de l’idéologie raciste qui sous-tendit la colonisation.
Aucune voix du terrain
Si la liste des experts représente un « panaché » de la société belge, y compris la diaspora d’origine africaine et qu’elle tient compte de l’arithmétique électorale, elle souffre cependant d’une carence évidente : aucune voix ne vient directement d’Afrique ! En effet, les quelques Africains retenus ont étudié en Europe ou y résident tandis que des historiens comme Isidore Ndaywel ou Sabakinu n’ont pas été retenus à ce stade. Et cela alors qu’ils se trouvent en prise directe avec la réalité congolaise et plus précisément avec les conséquences psychologiques, politiques et économiques de la colonisation, parmi lesquelles le pillage persistant des ressources naturelles et l’absence d’industries de transformation. Alors qu’au Rwanda d’importantes recherches ont été menées après 1994 sur les prémices du génocide découlant de la politique belge de l’époque, aucune voix du terrain n’a été conviée en ce moment.
Quand, après la rentrée d’octobre, les parlementaires reprendront la main, ils corrigeront peut-être ces manques. Mais il est probable aussi que les rapports de force apparus au sein des travaux préparatoires seront plus tendus que jamais : le simple choix des experts académiques a déjà été l’occasion de violentes passes d’armes entre un bloc où se retrouvaient côte à côte le Vlaams Belang et la N-VA, unis dans leur critique de la monarchie et de la bourgeoisie francophone, et parfois rejoints par le MR lorsqu’il s’agissait d’atténuer ou d’occulter la responsabilité des entreprises belges au Congo.
Dans le « camp » d’en face se sont retrouvés les socialistes, le PTB, et surtout Ecolo/Groen, qui assurera la présidence de la commission. Pour l’un des quatre rapporteurs, Nabil Boukili (PTB) « il sera essentiel, au-delà de la brutalité des individus, de ne pas éluder la question du transfert de richesses dont ont bénéficié, en Belgique, des entreprises, des “grandes familles” qui tiennent toujours le haut du pavé. Il faudra aussi étudier en profondeur le fondement du rapport racial, afin de mettre à nu les racines du racisme persistant d’aujourd’hui et de déconstruire ce dernier."
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