Par ce récit, coécrit avec l’écrivaine Laurence Debray, celui qui régna sur l’Espagne de 1975 à 2014 cherche, selon ses propres mots, à « expliquer et défendre » les choix qui jalonnèrent son règne, et à empêcher que d’autres « volent son histoire ». Mais cette confession tardive, à la croisée de l’aveu et de la justification, risque fort de ranimer les blessures d’un passé encore incandescent et de placer son fils, le roi Felipe VI, dans une position pour le moins inconfortable.
L’ouvrage paraît comme une tentative de rachat moral, mais il intervient après des années de silence lourd, ponctuées de scandales financiers, de soupçons de corruption et d’affaires sentimentales qui ont entaché l’image de la monarchie espagnole.
A 87 ans, Juan Carlos réside toujours dans son exil doré, sur l’île privée de Nurai, aux Émirats arabes unis, sous la bienveillance protectrice de son ami, le président Mohammed Ben Zayed Al Nahyane. Ce séjour, qu’il imaginait provisoire « de quelques semaines tout au plus », écrit-il, s’est mué en un exil durable, presque existentiel, à mesure que l’opinion espagnole s’est détournée de lui.
Pour comprendre cette chute, il faut revenir sur les dernières années d’un règne qui avait pourtant commencé sous les auspices de la réconciliation nationale. Héritier désigné du général Franco, Juan Carlos Ier avait su, après la mort du dictateur, incarner la transition démocratique et réconcilier une Espagne encore déchirée par la mémoire de sa guerre civile.
Son rôle décisif lors du coup d’État militaire du 23 février 1981 lorsqu’il s’opposa publiquement aux putschistes et défendit la Constitution, avait fait de lui le garant de la démocratie renaissante. Pendant des décennies, il incarna une monarchie moderne, populaire et respectée.
Mais cette aura bâtie sur la modération et la loyauté au peuple espagnol s’effondra sous le poids d’affaires aussi retentissantes que compromettantes. En 2012, sa participation à un luxueux safari au Botswana, en pleine crise économique, révéla une déconnexion croissante d’avec les souffrances de ses concitoyens.
L’épisode, aggravé par la révélation de sa liaison avec Corinna Larsen, marqua le début d’une spirale de discrédit. Les enquêtes ouvertes par la justice espagnole et suisse sur des flux financiers occultes, des dons d’origine douteuse et des commissions perçues lors de contrats internationaux achevèrent de ternir son image.
Affaibli par les scandales et soucieux de préserver l’institution monarchique, Juan Carlos Ier abdiqua en juin 2014 au profit de son fils Felipe VI, dans un geste présenté comme un acte de responsabilité. Cependant, le spectre de son passé n’a cessé de hanter la couronne.
En 2020, alors que les révélations sur son patrimoine caché à l’étranger se multipliaient, l’ancien roi choisit de quitter l’Espagne, invoquant le désir d’épargner à son fils la honte d’un procès médiatique permanent.
Dans Réconciliation, l’ancien souverain reconnaît ses « faiblesses », ses « erreurs de jugement par amitié et par amour », et admet avoir accepté « des présents qui peuvent sembler déplacés à certains ». Des confessions lucides, certes, mais qui peinent à masquer la distance qu’il maintient avec la pleine reconnaissance de sa responsabilité morale. Il se décrit comme un roi « jamais maître de son destin », comme un homme emporté par les circonstances et trahi par ses propres excès.
Ce témoignage tardif, oscillant entre mélancolie et justification, dévoile un monarque en quête de sens et de pardon, mais aussi un homme prisonnier de ses contradictions.
En prétendant « raconter sa vérité », Juan Carlos Ier espère sans doute retrouver la bienveillance d’un peuple qui l’a jadis adulé. Pourtant, son retour symbolique sur la scène publique, même à travers l’écrit, ne saurait se faire sans raviver les blessures d’une monarchie ébranlée, condamnée à poursuivre sa mue sous le poids d’un héritage aussi glorieux que sulfureux.
Ainsi, à la faveur de ces Mémoires, le roi déchu ne cherche pas seulement à réhabiliter sa mémoire ; il tente d’obtenir ce que le pouvoir ne lui a jamais accordé : la paix intérieure.
Mais dans une Espagne lucide et désenchantée, la réconciliation qu’il invoque pourrait bien demeurer, pour longtemps encore, une illusion inachevée.














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