La déroute de Goma et la responsabilité des hauts gradés

Redigé par Tite Gatabazi
Le 8 décembre 2025 à 01:03

La déroute de Goma constitue l’un de ces moments charnières où l’effondrement militaire révèle moins la puissance de l’adversaire que la déliquescence interne d’un commandement privé de lucidité et de cohésion.

Au-delà de la seule dimension opérationnelle, cet épisode met crûment en lumière une opacité institutionnelle savamment entretenue, qui entrave l’émergence d’une vérité pourtant indispensable à la restauration de la confiance nationale.

Les mécanismes de décision, enchevêtrés de contradictions et de renoncements, témoignent d’une responsabilité égarée, dissoute dans les méandres d’une chaîne hiérarchique rétive à l’examen de ses propres errements.

Ainsi s’explique que la justice militaire, bien qu’appelée à dire le droit dans toute sa rigueur, n’ait pu qu’effleurer les causes profondes de l’abandon de Goma, laissant subsister davantage d’ombres que de certitudes.

Et c’est finalement un tableau implacable qui se dessine : celui d’une faillite du commandement qui, loin d’apparaître comme un accident isolé, se révèle être le symptôme d’un système stratégique miné par ses silences, ses hésitations et ses fragilités structurelles.

La chute de Goma, cette métropole nerveuse du Nord-Kivu, demeure enveloppée d’un voile d’énigmes que ni les rapports officiels ni les attendus judiciaires n’ont su dissiper. La prise fulgurante de la ville par les forces de l’AFC/M23, en janvier 2025, n’a livré à ce jour qu’une part infime de ses secrets, laissant les observateurs militaires, les analystes régionaux et les chancelleries médusés devant l’opacité d’une déroute annoncée comme inexplicable.

Comment expliquer qu’une coalition forte de plus de quarante mille hommes, FARDC, éléments FDLR, contingents de la SADC, unités burundaises, milices wazalendo et mercenaires, solidement dotée d’équipements modernes et réputée prête à l’assaut, ait pu s’effondrer en quelques heures, sans résistance concertée, face à une offensive pourtant prévisible ?

La question demeure pendante, faute d’une investigation rigoureuse : que s’est-il réellement passé à Goma ? La juridiction militaire, loin de disséquer la chaîne de décisions et les responsabilités opérationnelles, s’est contentée d’effleurer la surface, laissant l’opinion publique dans un état d’incrédulité mêlée d’indignation.

Un verdict lourd de symbole mais pauvre en vérité

Le jugement récemment rendu par la Haute Cour Militaire a néanmoins inscrit un jalon retentissant dans l’histoire tumultueuse de la défense congolaise. Quatre hauts gradés, les généraux Dany Yangba Tene et Papy Lupembe Mobenzo, ainsi que les commissaires divisionnaires Eddy Léonard Mukuna Ntumba et Jean Romuald Ekuka Lipopo, ce dernier ancien gouverneur militaire du Nord-Kivu ont été déclarés coupables d’avoir failli à leur devoir le plus sacré : tenir Goma, pivot stratégique des opérations, et empêcher sa chute entre les mains des rebelles.

Les charges retenues, lâcheté caractérisée devant l’ennemi, violation flagrante des consignes militaires, mise en péril de matériels stratégiques et abandon de position décrivent un effondrement de la discipline et un affaissement du commandement qui, en d’autres circonstances historiques, auraient valu des sanctions exemplaires.

Il faut rappeler qu’un cinquième prévenu, le général-major Alengbia Nzetetessya, n’a pas pu répondre de ses actes, son décès ayant éteint l’action publique à son égard.

Mais derrière ce verdict, présenté comme un acte de fermeté, affleure une dissonance profonde entre la gravité de la faute et la modestie des peines prononcées.

Des peines allégées : entre clémence institutionnelle et embarras stratégique
Alors que le parquet général réclamait des sanctions allant de vingt ans de servitude pénale à la perpétuité, preuve que l’État-major reconnaît en privé l’ampleur du désastre, la Haute Cour s’est résolue à des peines étonnamment indulgentes.

Jean Romuald Ekuka Lipopo a été condamné à trente-six mois d’emprisonnement, Eddy Léonard Mukuna Ntumba à vingt-quatre mois, tandis que les généraux Dany Yangba Tene et Papy Lupembe Mobenzo n’écopent que de douze mois chacun.

A cela s’ajoute une amende collective dérisoire au regard des pertes humaines, matérielles et stratégiques : 2,8 millions de francs congolais.

Cette clémence interroge. Elle révèle les tensions latentes entre, d’une part, l’exigence de rigueur militaire face à un revers d’une telle magnitude, et, d’autre part, la nécessité ou l’intérêt de ménager une hiérarchie embarrassée par ses propres tergiversations.

Les accusés ont plaidé avoir agi sur instruction directe du chef d’état-major général, évoquant un « repli stratégique » ordonné vers le Sud-Kivu. La Cour, sans invalider cette ligne de défense, a semblé l’intégrer implicitement, suggérant que les décisions prises sur le terrain n’étaient que l’exécution de consignes supérieures, difficiles à contester dans l’urgence.

Une justice militaire qui sanctionne, mais n’éclaire rien

En réalité, le procès, loin d’incarner la transparence et la vérité attendues, a mis en lumière les limites structurelles de la justice militaire congolaise lorsqu’elle doit instruire des dossiers impliquant le sommet du commandement.

La sentence, pourtant lourde de symbolique, ne dissipe ni les zones d’ombre de l’opération ni l’incohérence d’un dispositif militaire pléthorique humilié par une débandade subite. Elle laisse irrésolue la question fondamentale : comment un ensemble d’unités multinationales, mieux équipées que jamais, a-t-il pu abandonner Goma sans véritable combat ?

Ce verdict partiel, à la fois sévère dans ses mots et timoré dans ses effets, apparaît comme un compromis fragile entre la nécessité d’afficher une réaction judiciaire et l’impossibilité politique de remonter trop haut dans la chaîne des responsabilités. Il illustre, une fois encore, la difficulté chronique des institutions militaires à produire une vérité opérationnelle complète et à imposer une responsabilité pleine et entière lorsque les enjeux touchent à la fois à la stratégie nationale, à la crédibilité du commandement et à la survie politique des acteurs en place.

La déroute de Goma n’est pas seulement un revers militaire : elle est le symptôme d’un malaise plus profond, où se mêlent défaillances de commandement, décisions contradictoires, opacité stratégique et justice hésitante.

Le verdict rendu, loin de clore le débat, ne fait que souligner l’ampleur du mystère.

Tant que les questions essentielles resteront en suspens, qui a ordonné quoi, à quel moment, sur quelle base opérationnelle, et pourquoi la défense de Goma a été abandonnée, ce chapitre demeurera ouvert, appelant une enquête plus courageuse, une transparence plus rigoureuse et une responsabilité moins sélective.

La déroute de Goma révèle moins la force de l’ennemi que l’effondrement interne d’un commandement démuni de lucidité et de cohésion

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