Le Burundi, en particulier, se trouve au cœur de ce drame lent, où les eaux jadis nourricières du deuxième plus grand lac africain par la superficie et le volume, se muent en flots ravageurs. La nature, longtemps blessée, semble avoir rompu le pacte silencieux qui la liait aux hommes. Le Tanganyika déborde littéralement et symboliquement de la négligence, de l’insouciance et de l’arrogance des politiques humaines.
Depuis plusieurs années, la montée inexorable des eaux du lac, persistante, bouleverse l’ordre naturel et social du littoral burundais. Le réchauffement climatique, certes, est l’un des catalyseurs majeurs de cette tragédie. Mais il serait d’une coupable naïveté d’en faire le seul responsable. Ce que l’on observe sur les rivages du Tanganyika relève moins de la fatalité que de l’imprudence systémique.
A force de constructions hasardeuses, d’urbanisme anarchique et de grignotage illégal des berges, les autorités comme les particuliers ont creusé leur propre tombe aquatique. Des lotissements entiers ont surgi là où jadis les eaux coulaient librement, entravant les voies naturelles d’écoulement, provoquant un déséquilibre hydrologique dont les conséquences sont désormais irréversibles.
À Gatumba, cette ancienne bourgade jadis synonyme de villégiature et de prospérité lacustre, ne subsistent aujourd’hui que des vestiges élégiaques, traces fanées d’un passé englouti. Les maisons s’effondrent, les rues se transforment en marécages et la vie semble suspendue, dans une attente morne et résignée des prochaines crues.
L’eau, implacable, grignote le territoire comme pour le rappeler à l’ordre. À chaque saison des pluies, les mêmes scènes se répètent : familles déplacées, terres agricoles submergées, réseaux routiers rompus, écoles désertées.
Les faits sont accablants : depuis quelques années, des intempéries d’une rare intensité ont contraint des milliers de citoyens à fuir leurs habitations pour trouver refuge dans des sites de fortune, eux-mêmes engloutis quelques mois plus tard. Il ne s’agit plus d’urgences ponctuelles, mais bien d’une transformation durable du territoire, d’une crise chronique qui appelle des réponses structurelles et stratégiques.
Or, face à cette réalité alarmante, le silence ou l’approximation des autorités tient lieu de politique. Pire encore, certaines initiatives officielles ont contribué à aggraver la situation : assainissements mal conçus, permis de construire octroyés dans des zones inondables, voire accaparement illégal des rives par des figures influentes du pouvoir. L’État, qui devrait être le garant du bien commun et le rempart contre les périls collectifs, s’érige trop souvent en complice passif, voire actif, de la dégradation en cours.
Et ce mal ne s’arrête pas aux frontières. En face, la ville d’Uvira, en République démocratique du Congo, subit les assauts du même fléau. Là aussi, les eaux du Tanganyika débordent avec une fureur croissante, là aussi l’urbanisation sauvage a scellé le destin de quartiers entiers. Le lac, partagé entre peuples et nations, exige une solidarité interétatique à la hauteur de la menace qu’il incarne désormais.
Il ne suffit plus de constater, ni de se lamenter. Le temps est venu d’un sursaut responsable. Il faut, en urgence, adopter une planification rigoureuse de l’occupation du sol, restaurer les écosystèmes riverains, réhabiliter les zones tampons naturelles et instaurer un moratoire strict sur toute nouvelle construction dans les zones à risque.
Les eaux doivent retrouver leurs droits, car il n’y aura pas de paix humaine sans respect de l’ordre naturel.
Ceci se veut donc autant un cri d’alerte qu’un appel à la lucidité politique. Le lac Tanganyika, miroir fragile de notre avenir, nous regarde. Et dans ses reflets agités, c’est notre propre image que nous voyons se dissoudre. Puissent les gouvernants comprendre que l’on ne gouverne pas contre la nature. Car lorsqu’elle se rebelle, elle n’offre ni dialogue ni répit seulement la sentence muette d’un monde que l’on n’a pas su respecter.

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