Pour un observateur non averti, c’est une scène paisible et splendide—l’un des joyaux naturels les plus pittoresques du Rwanda, et une source de nourriture, de transport et de subsistance pour des milliers de personnes. Mais sous la surface du lac se cache une menace silencieuse et invisible que les scientifiques décrivent comme susceptible de transformer ce havre de tranquillité en théâtre d’une destruction catastrophique.
Le lac Kivu, partagé entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, renferme d’énormes volumes de méthane et de dioxyde de carbone emprisonnés dans ses profondeurs. Ces gaz, accumulés au fil des siècles, reposent sous pression au fond du lac, formant une véritable bombe à retardement géologique qui, si elle venait à être déclenchée, pourrait libérer un nuage toxique capable d’asphyxier des villes entières.

Plus de deux millions de personnes vivent dans le bassin du lac, notamment dans les villes de Goma et Rubavu, ce qui rend les enjeux difficilement imaginables. Et contrairement à la catastrophe du lac Nyos survenue en 1986 au Cameroun — qui avait causé la mort de 1 700 personnes dans une zone rurale reculée — une éruption du lac Kivu pourrait frapper des centres urbains densément peuplés, entraînant potentiellement le déplacement ou la mort de millions de personnes.
À cela s’ajoute la position du lac dans une zone volcanique active — avec le mont Nyiragongo qui domine les environs —, ce qui rend les risques encore plus pressants. L’éruption du Nyiragongo en 2021, qui a provoqué des secousses meurtrières et fissuré des bâtiments à Goma, a rappelé brutalement à quel point cette menace reste proche.
Transformer le risque en ressource
Le Rwanda, pleinement conscient du danger potentiel, n’a pas attendu qu’un désastre se produise. Au contraire, le gouvernement a adopté une approche audacieuse et tournée vers l’avenir pour faire face à la menace, en transformant le péril du lac Kivu en une source d’énergie propre et durable.
Au cœur de cette stratégie se trouve l’extraction du gaz méthane contenu dans les profondeurs du lac. En 2008, le Rwanda a lancé un premier projet pilote : ’la centrale Kibuye Power Plant 1’. Fort de cette expérience, le gouvernement s’est associé à des investisseurs internationaux pour lancer le ’KivuWatt’, une centrale de production d’électricité à grande échelle exploitée par l’entreprise américaine ’ContourGlobal’, entrée en service en 2015.
Plus récemment, le projet ’Shema Power Lake Kivu’ (SPLK) a été inauguré en 2024. Avec une capacité installée de 56 mégawatts, il s’impose comme l’un des projets énergétiques les plus majeurs du Rwanda, apportant une contribution significative au réseau électrique national.

Le processus consiste à pomper l’eau riche en méthane depuis les profondeurs du lac, à en extraire le gaz, puis à réinjecter l’eau restante — débarrassée du méthane — dans le lac à une profondeur contrôlée. Cette réinjection est soigneusement gérée afin de ne pas perturber la stratification naturelle du lac, une structure essentielle au confinement des gaz.
Pour garantir la sécurité de cette opération délicate, le gouvernement a mis en place le ’Lake Kivu Monitoring Programme’ (LKMP), désormais placé sous l’autorité de l’Office rwandais de gestion de l’environnement (Rwanda Environment Management Authority, REMA). Ce programme surveille en permanence les concentrations de gaz, les gradients de température et toute activité sismique susceptible d’affecter la stabilité du lac.
En plus de ce suivi, le Rwanda a collaboré avec des scientifiques internationaux pour élaborer un ensemble de prescriptions de gestion — des lignes directrices techniques définissant les méthodes d’extraction sûres, les niveaux de réinjection autorisés et les limites environnementales. Ces prescriptions, obligatoires pour tous les opérateurs, visent à concilier la production d’énergie avec la sécurité écologique.
Coopération régionale
Conscients que le lac Kivu est une ressource partagée, le Rwanda et la République démocratique du Congo ont signé un Acte de validation en 2020, engageant les deux pays à respecter des normes de sécurité communes et à assurer une supervision conjointe, accord qui a été facilité avec l’appui d’experts internationaux et de bailleurs de fonds.
Cette coordination transfrontalière garantit que les activités menées de part et d’autre du lac, qu’il s’agisse d’extraction ou d’infrastructures, ne compromettent pas la stabilité globale de l’écosystème.
Bien que les risques subsistent, l’approche proactive du Rwanda en a fait un modèle de gestion responsable des ressources naturelles. Le pays ne se contente pas de prévenir une catastrophe : il exploite également l’énergie du lac pour impulser une transformation socio-économique durable.
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