Il s’agit là non d’un simple exposé historique, mais d’un témoignage engagé, qui invite à penser les crises congolaises, burundaises, rwandaises et ougandaises non comme des accidents isolés, mais comme les manifestations systémiques d’un désordre hérité de la dislocation coloniale, amplifié par des errements idéologiques et des complicités extérieures.
Les impensés de la souveraineté postcoloniale
Au cœur du propos du Président Museveni se trouve une critique sévère de la gestion postindépendance des États africains, minée par trois dérives conjuguées : le repli identitaire, le mépris des dynamiques populaires, et la dépendance aux appuis extérieurs. Ces tares, selon lui, ont empêché l’émergence d’un ordre politique fondé sur la souveraineté populaire et la solidarité régionale.
Le cas de la République démocratique du Congo (RDC) est emblématique : depuis l’assassinat de Patrice Lumumba, la nation congolaise n’a cessé d’être livrée à des logiques centrifuges, où les seigneuries ethniques, les ambitions prédatrices et les interférences étrangères ont substitué à l’État un théâtre d’ombres.
La persistance de cette instabilité n’est pas le fruit du hasard, mais le symptôme d’un déni de la volonté populaire. Comme le souligne Museveni, aucun des régimes successifs de Kinshasa ne s’est donné la peine de véritablement « écouter » son peuple. La gouvernance y fut souvent confisquée au bénéfice de clientèles armées, soutenues par des puissances extérieures davantage soucieuses de maintenir des zones d’influence que de promouvoir l’émancipation des peuples.
La régionalisation des conflits : entre solidarités exilées et contagions identitaires
L’un des apports majeurs de cette intervention réside dans la mise en lumière des connexions transfrontalières entre les conflits. Le discours déconstruit la fiction des crises nationales en révélant leurs interférences profondes. L’exil des tutsi du Rwanda à la suite des pogroms de 1959, l’implosion de l’UPRONA au Burundi après l’assassinat de Louis Rwagasore, ou encore l’hébergement par Mobutu des forces génocidaires hutu à Goma après 1994, participent d’une même grammaire du désordre, dans laquelle les frontières héritées de la colonisation sont traversées par des appartenances historiques, des mouvements insurrectionnels et des logiques de revanche.
Ces porosités régionales ont produit un système conflictuel intégré, où les guerres locales deviennent des nœuds d’un maillage plus vaste : la chute de Mobutu, dans cette lecture, n’est pas seulement le fruit de son incurie, mais aussi la conséquence du refoulement par Kigali et Kampala des milices hutu installées en RDC. L’ethnicisation des régimes, la persistance d’armées d’exil, et l’absence d’un pacte régional de non-agression ont transformé les Grands Lacs en un espace stratégique de confrontation permanente.
L’échec du paradigme identitaire et la promesse d’une renaissance économique
Le discours du président ougandais invite à dépasser les illusions identitaires qui ont trop souvent fondé les politiques de pouvoir sur le continent. En dénonçant l’instrumentalisation des appartenances ethniques ou religieuses, Museveni plaide pour une révolution intellectuelle : celle qui consisterait à substituer à l’obsession des origines un horizon de coopération fondé sur les intérêts partagés, notamment à travers le développement économique régional.
C’est là que réside, selon lui, la clef de la stabilité durable. Le commerce, l’intégration des marchés, la libre circulation des biens et des personnes, deviennent les fondements d’une nouvelle géopolitique africaine, affranchie du legs empoisonné des fragmentations coloniales. À cette condition seulement, les nations de la région pourront échapper à la malédiction de la violence cyclique.
La question de la souveraineté régionale face aux interférences extérieures
Enfin, le discours se conclut sur une mise en garde contre la surdétermination des conflits africains par des puissances extra-africaines. Le soutien inconsidéré accordé par des forces étrangères à des régimes défaillants ou à des factions rebelles n’a eu pour effet que d’anesthésier les processus d’autonomisation politique.
Museveni identifie ici un mécanisme pernicieux : les acteurs locaux, persuadés que leur salut réside dans la fidélité à des protecteurs lointains, négligent leurs obligations envers leurs peuples et leurs voisins immédiats.
Cette aliénation stratégique, en favorisant l’impunité, perpétue la logique du chaos. En revanche, la réappropriation régionale des processus de paix à travers des mécanismes tels que celui ici réuni constitue une promesse : celle d’une régulation politique endogène, adossée à la connaissance intime des dynamiques locales et à une volonté politique partagée.
Le discours du président Museveni se lit comme une exhortation à la maturité politique des élites africaines, mais aussi comme une tentative de réécriture du récit régional selon une logique de responsabilité historique. En rejetant les paradigmes de la fragmentation ethnique et de la dépendance extérieure, il propose un contre-projet : celui d’une Afrique des peuples, des solidarités transversales et des économies intégrées. Ce n’est qu’en assumant pleinement cette ambition que les nations de la région des Grands Lacs pourront conjurer les spectres du passé et se projeter dans un avenir de paix partagée.

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