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Mort à 92 ans d’Albert Uderzo, toute la Gaule en deuil

Redigé par Le Figaro
Le 26 mars 2020 à 01:49

Le dessinateur d’Astérix s’est éteint la nuit de lundi à mardi 24 mars 2020. Celui qui rêvait dès son plus jeune âge de devenir clown rejoint son complice de toujours, René Goscinny, au paradis des irréductibles créateurs.

Par Aurélia Vertaldi

C’était un géant au monstrueux talent qui a contribué à porter la bande dessinée sur les fonts baptismaux. Le dessinateur d’Astérix, Albert Uderzo, s’est éteint dans la nuit du lundi 23 au mardi 24 mars. Il avait 92 ans.

Avec son complice René Goscinny, son « frère » comme il le disait lui-même, il a su créer, avec la saga parodique Astérix un esprit. Mieux, une philosophie à partir de valeurs fortes : résistance, liberté, solidarité, démocratie, découverte de l’autre…

Mais rien de bien sérieux dans tout cela. Le tandem avait fait de l’humour son laboratoire et sa devise. « On fait très sérieusement quelque chose qui ne semble pas sérieux », confiait, en 1975, Albert Uderzo dans l’émission « Personnages de la vie ». « Nous sommes les besogneux de la futilité », surenchérissait alors René Goscinny à ses côtés. Les deux compères étaient alors au faîte de leur gloire, acquise par la force de leur talent et de leur opiniâtreté.

L’humour et le dessin, Albert Uderzo les avait chevillés au corps. Celui qui rêvait dès l’âge de sept ans de devenir clown, est né le 25 avril 1927 de parents italiens, à Fismes que quelques kilomètres séparent de Reims, la ville du sacre des rois de France. Une naissance dans un lieu chargé d’histoire qui sonne aujourd’hui comme une prémonition.

Le nouveau-né, qui sera naturalisé sept ans plus tard est déjà un phénomène. Il présente douze doigts, six à chaque main, et se fait opérer un mois après avoir vu le jour. Deux ans après, la famille s’installe dans la banlieue parisienne, à Clichy-sous-Bois. Son père ouvrier menuisier travaille dur et sa mère fait des ménages, et le dessinateur y passera les meilleures années de sa vie.

Dès la maternelle, Albert Uderzo se distingue par son talent de dessinateur. Un jour sa maîtresse demande à la classe d’illustrer la fable de la Fontaine, Le Loup, la Chèvre et le Chevreau. Impressionnée par l’illustration du petit Albert, elle court la montrer à son mari, le directeur de l’école, qui offre au talentueux élève une boîte de crayons de couleur pour le récompenser. Pas peu fier, il rentre et décide de faire un dessin pour sa maman. « Et c’est ainsi que l’on découvre que je suis daltonien », confiera-t-il dans son autobiographie, Uderzo se raconte.

Premiers personnages
Dans sa banlieue, l’enfant se nourrit alors, comme tant d’autres, des bandes dessinées de Mickey qui paraissent tous les jours dans Le Petit Parisien et plus tard dans l’hebdomadaire Le Journal de Mickey. Il s’abreuve des aventures des héros de Walt Disney, de Charlie Chaplin, Buster Keaton ou de Laurel et Hardy et découvre le cirque. L’enfant n’aura de cesse de chercher à faire rire les copains, improvisant des spectacles où grimaces et pitreries variées allaient bon train. Le rire du public le rend heureux. C’est décidé, il deviendra clown.

Le comique est inné chez lui tout comme le dessin. Uderzo ne l’a jamais appris, il dessinait c’est tout. Pendant les années de guerre, dans le modeste appartement familial de la rue de Montreuil à Paris, il imaginera pendant les vacances scolaires ses premiers personnages, Stupido, Pitonet et Punch.

Son grand frère Bruno, admire le coup de crayon. Ensemble, ils décident d’aller se présenter à la Société parisienne d’édition qui publie, entre autres des journaux pour la jeunesse. Il est embauché pour deux mois, il y restera un an. Finie l’école. Il y apprendra son métier et surtout y publiera son premier dessin, une parodie de la fable Le corbeau et le Renard. Il rencontrera notamment le grand Edmond Calvo, auteur de La bête est morte !, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale transposée dans un univers animalier. Le premier à mentionner la Shoah dans la bande dessinée.

Pendant la guerre, le jeune Albert part avec Bruno se réfugier en Bretagne pour échapper à la faim. Un séjour heureux malgré les évènements. Le désir de situer le village d’Astérix en Armorique vient de ce souvenir agréable.

Cependant, Albert Uderzo n’aura pas toujours eu des expériences heureuses. Lorsqu’en 1945, âgé de 18 ans, il se tourne vers le dessin animé, sa fascination pour le monde enchanté de Disney toujours aussi vivace, l’aventure s’avère décevante. Malgré cela, le patron du studio qui avait une activité parallèle, l’édition, demande à Uderzo d’illustrer Flamberge, une histoire de mousquetaires scénarisée par un certain Em-Ré-Vil, que le dessinateur ne rencontrera jamais. Ainsi vit le jour la première bande dessinée d’Albert Uderzo.

Création des Studios Idefix
La même année, une annonce dans France Soir mentionne un concours de BD organisé par les Éditions Du Chêne. Le prix ? La publication pour le vainqueur de son album. Albert Uderzo le remportera avec le malin Clopinard, un ancien grognard de Napoléon, qui a perdu un œil, est pourvu d’une jambe de bois à ressort, qui se drogue à la poudre à canon. Un scénario déjanté qui aura l’heur de plaire au jury. Et de faire gagner une somme rondelette au jeune lauréat, seize pages payées chacune … 5000 francs. Une fortune.

Mais son métier de dessinateur a véritablement commencé avec le journal illustré pour jeunes, OK. Sous une signature, américanisée, Al Uderzo il crée le personnage à la musculature sur développée d’Arys Buck accompagné…. d‘un petit guerrier avec un casque ailé, Cascagnasse. Les prémices d’un célèbre tandem ? Naîtront ensuite le fils d’Arys Buck, le prince Rollin qui laissera lui-même la place à son fils Belloy l’invulnérable, « chevalier sans armure gonflé à l’hélium » comme le qualifiera lui-même Uderzo.

Ce départ heureux s’interrompt pour cause d’obligation militaire, et à son retour, en 1948, Ok ne paraît plus. Le jeune dessinateur débutant, carton sous le bras, vit alors une période de vaches maigres. Las, il tente l’aventure de la grande presse. Il devient reporter dessinateur pour France Dimanche, et doté de sa carte de presse, met en images la rubrique des « chiens écrasés ». Parallèlement, il cherche à renouer avec sa première passion, la bande dessinée.

La Belgique offre des opportunités au dessinateur français, qui travaillera quelques jours à Bruxelles pour une agence de presse, assez pour rencontrer Jean-Michel Charlier avec qui il va faire renaître Belloy. L’agence belge a des bureaux à Paris, Albert Uderzo démissionne de France Dimanche.

En 1951, un jeune homme maigre, cheveux frisés, fraîchement arrivé des États-Unis intègre l’agence, il s’appelle René Goscinny et doit récupérer les planches du retardataire Albert Uderzo. Une amitié profonde s’installe entre les deux hommes. Avant leur succès planétaire, le tandem réalisera les aventures du corsaire Jehan Pistolet ou du reporter Luc Junior.

Et surtout, nos deux complices accoucheront du gros bébé d’Oumpah-Pah, un indien qui traverse une Amérique moderne accompagné de son fidèle acolyte le chevalier du Roy et gentilhomme Hubert de la Pâte Feuilletée, surnommé « Double-Scalp ».

Ils y sont particulièrement attachés, mais le personnage ne trouvera pas son public. En termes de rencontre majeure, 1952 marque celle du dessinateur avec Ada, qui deviendra sa femme un an plus tard. L’amour de sa vie. Quatre ans plus tard, naît leur fille unique Sylvie.

Entretemps, quelques revendications syndicales pointent leur nez à l’agence de presse où travaillent les deux auteurs. Goscinny, considéré comme le meneur est viré. Et Uderzo le suit. Associés à Jean-Michel Charlier, qui a quitté la Belgique, ils forment leur propre société de presse et de publicité. Chargé de famille et en proie à une ferveur créatrice, Albert Uderzo, rivé à sa table à dessin travaille sans relâche. Une ardeur partagée avec Goscinny qui aboutira à la riche aventure du journal Pilote, en 1959.

Uderzo a alors en charge deux séries, l’une réaliste avec Jean-Michel Charlier, Tanguy et Laverdure, l’autre humoristique avec Goscinny, inspirée du Roman de Renart. Mais à deux mois de la sortie du premier numéro, l’idée de leur série comique tombe à l’eau. Catastrophe, il faut rebondir. Dans la chaleur étouffante de l’appartement d’une HLM de Bobigny, celui où vit Uderzo, entre les verres de pastis et les cigarettes qui défilent, naît Astérix. On connaît la suite.

Les années défilent, le succès du tandem est grandissant, Gosciny a rencontré sa femme Gilberte, une amitié solide unit les deux couples, qui se lancent dans la création des Studios Idefix, Astérix sort sur grand écran, les Uderzo s’installent à Neuilly. Ils sont tous heureux.

Une ombre au tableau
Jusqu’à ce jour du 5 novembre 1977. René Goscinny meurt en plein test d’effort chez son cardiologue. Le choc est terrible, Albert Uderzo s’enferme dans sa douleur, protégé par sa femme et sa fille qui font barrage aux journalistes qui veulent connaître sa réaction. Quant à continuer Astérix, dont l‘album Astérix chez les Belges reste inachevé, il en est hors de question. Pour lui, le petit Gaulois est mort avec son ami. Il a alors 50 ans et pense prendre une retraite bien méritée.

Mais les lecteurs ne l’entendent pas de cette oreille. Tout en comprenant le désarroi du dessinateur, ils l’encouragent à reprendre la suite. En 1979, il décide de relever le défi, achève l’album Astérix chez les Belges et crée les éditions Albert René. Il réalisera, seul, neuf autres aventures avant de passer la main et d’adouber, en 2013, Jean-Yves Ferri et Didier Conrad.

Le succès est toujours au rendez-vous, sans compter celui des films. Cependant, un procès éprouvant avec les éditions Dargaud qui a abouti à une querelle avec Anne Goscinny, la fille de René, le conflit de sept années avec sa propre fille Sylvie, jettent une ombre au tableau. Même si tout ce beau monde s’est réconcilié, Albert Uderzo aura été durement éprouvé pendant ces temps troubles.

Malgré tout, il a tenu bon pour assurer l’avenir de notre Gaulois national, offrant à la Bibliothèque nationale une partie de ses originaux, pour le mettre à l’abri. En retour, l’illustre institution lui a consacré une superbe exposition, qui a immergé le public dans ce que fut, est, et sera Astérix. Une osmose entre ses deux géniaux créateurs, d’une époque faste où les hardiesses artistiques prenaient le pas sur le politiquement correct, où les mythes issus de l’histoire étaient pris à contre-pied. Avec comme unique ambition, celle de faire rire, de devenir ce clown qu’il a toujours rêvé d’être.


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