20 ans après génocide des Tutsi ; regarder devant soi-Prof Alain Verhaagen

Redigé par IGIHE
Le 13 janvier 2014 à 01:46

Karirima de IGIHE a interviewé Alain Verhaagen, Professeur en la faculté des Sciences Sociales, Politique Economique à l’ULB ( Université Libre de Bruxelles), Chargé de nombreuses missions en tant que consultant, expert gouvernemental, observateur international, il a été conseiller politique pour MSF Belgique entre Mai et Juin 1994 au Rwanda. Il participe à la fondation d’Ibuka en Belgique.
Interview
D’après votre expérience, que dites-vous de cette période qui approche la 20ème commémoration du (...)

Karirima de IGIHE a interviewé Alain Verhaagen, Professeur en la faculté des Sciences Sociales, Politique Economique à l’ULB ( Université Libre de Bruxelles), Chargé de nombreuses missions en tant que consultant, expert gouvernemental, observateur international, il a été conseiller politique pour MSF Belgique entre Mai et Juin 1994 au Rwanda. Il participe à la fondation d’Ibuka en Belgique.

Interview

D’après votre expérience, que dites-vous de cette période qui approche la 20ème commémoration du génocide perpétré contre les tutsi ?

Là maintenant nous sommes 20 ans après la tragédie mais elle est toujours présente dans mon esprit comme il s’était produit il y a quelques jours, parce que j’ai été un témoin, un des rares non rwandais directs du génocide. Au fait j’étais conseiller politique de Médecin sans frontière Belgique pendant le génocide au Rwanda de mai à juin 1994. J’ai garanti une bonne organisation de secours entre le Burundi et le Rwanda.

Comment êtes-vous arrivé à continuer votre mission dans les conditions si délicates ?

Parce que j’avais des contacts depuis longtemps dans la région, que ça soit au niveau civil et niveau militaire tant au Burundi qu’ au Rwanda d’ailleurs.

Alain Verhaagen

Pour quelle raison avez-vous gagné cette confiance ?

Parce qu’à l’université, j’enseignais les matières qui touchent au développement, aux questions sociales, aux questions politiques de l’Afrique subsaharienne. J’ai toujours voulu depuis le temps où je n’étais qu’un chercheur avoir une connaissance de terrain des pays que je traitais. Ceci a fait qu’en 1994 je connaissais déjà bien le Rwanda, bien la région des grands lacs de par mes recherches.

Il me semblait malheureusement inévitable qu’un jour une tragédie se produise à la mesure où évoluaient les négociations d’Arusha et la crispation de plus en plus des durs du régime du Président Habyarimana. Pour ceux qui connaissaient le terrain et la réalité rwandaise, le génocide était inévitable bien attendu.

Tout le monde a été surpris de par la rapidité mais quant à l’exécution, la mise en oeuvre de ce génocide, il n’y avait plus beaucoup des doutes déjà à partir de 1993.

Tous les pronostics montraient que quelque chose de très grave allait se passer. Les grands chercheurs de France l’avaient d’ailleurs déjà dénoncé mais difficilement puisque en France une telle dénonciation était baillonnée vu l’implication de la France au côté du régime Habyarimana.

Alors j’ai été le témoin direct de ce qui s’est passé à Ntarama et à Nyamata au Sud est du Rwanda. J’ai parcouru tout Bugesera Est, Ouest et Sud et cela m’a amené dans les années qui ont suivi à témoigner partout dans les auditoires bien sûr dans les universités Belges.

J’ai rencontré ceux qui ont soit participé à ce génocide ou leurs alliés. Je suis allé dans les universités françaises, canadiennes, dans des milieux particulièrement hostiles.

J’estimais que c’était là mon devoir et puis, quand enfin ont débuté les procès de génocide en Belgique à partir du début des années 2000, j’ai été appelé par le Parquet Général à témoigner à chaque fois à charge puisque je savais par exemple ce qui était passé à Kibungo quand il y a eu un procès retentissant sur deux frères habitant à Kibungo, j’ai amené les éclairages intéressants au jury et à la cours.

Maintenant ce que ces événements m’ont enseignés et surtout les 20 années passées, c’est qu’il faut regarder devant soi surtout dans le cas du Rwanda. Si on regarde derrière soi, on risque de tomber dans le gouffre.

Il faut faire comme les européens. N’est-ce pas que l’Europe a reçu le prix Nobel de la paix en 2012 pour avoir bien géré l’après génocide des Juifs avec la Deuxième Guerre Mondiale de 1940 à 1945 ?.

Pourquoi ce Prix Nobel d’après vous ?

Quelques Hommes d’Etat Européens ont décidé de se donner la main et de regarder dans la direction du possible, dans la direction de la paix et du développement. Cela se passait en Europe à la fin de la seconde guerre mondiale.

Donc ma première leçon est qu’il faut regarder devant soi. Mais pour être capable de regarder devant soi, il ne faut pas oublier ce qui s’est passé pour être sûr que cela ne recommence jamais.

Une autre leçon : avoir foi en la justice.

Quand nous regardons d’autres tragédies de masse comme le génocide des Arméniens, ou précisément le génocide des Cambodgiens dont le tribunal spécial des Nations Unies pour le génocide du Cambodge vient à peine de prononcer les premiers verdicts, on comprend que la machine judiciaire du TPIR Arusha mise sur pied lentement, trop lentement même pour certains bien sûr mais méthodiquement, personne n’est capable de contester les verdicts qui y ont été prononcés. Ceci est une grande victoire de l’humanité et c’est une victoire pour le Rwanda.

Puis i l y a eu le déclenchement des justices nationale et étrangère. Il y a eu des procès en Belgique qui ont abouti. Il y a eu des procès dans d’autres pays européens. Il y en aura bientôt en France. Il aura fallu attendre 20 peut être ! mais il y aura des procès. La justice est en marche.

Au Rwanda, il y a eu le mécanisme des juridictions traditionnelles Gacaca qui a fonctionné de manière remarquable puisque l’institution Gacaca a été amenée à statuer sur des crimes de sang, ce qui traditionnellement n’était pas une de ses prorogatives. C’était aussi un signe d’espoir.

C’est à dire que le peuple rwandais à travers des mécanismes traditionnels, une justice coutumière, a pu absorber pas tout le génocide mais une partie de ce passif terrible du génocide à la différence d’autres peuples qui ont connu une telle tragédie.

Les Rwandais doivent depuis 20 ans se reconstruire dans leurs corps, dans leurs âmes, dans leurs cœurs sur le lieu même de la tragédie. C’est un défi énorme pour tout être humain. C’est un défi pratiquement surhumain.

Mais on ne parviendra relever ce défi valablement qu’en regardant devant soi, qu’en pensant développement, qu’en pensant rwandité.On pourrait dire nationalité rwandaise pas autre chose.

Je le répète à tout moment en me rappelant de ce qui s’est passé avec un seul objectif ; pas celui de la revanche mais pour que jamais ça ne se répète. C’est même la principale justification de la création d’Ibuka.

Propos recueillis par Karirima Ngarambe Aimable
IGIHE-Belgique


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