Défendre l’espace d’un débat rigoureux et vivant en RDC

Redigé par Tite Gatabazi
Le 5 juin 2025 à 12:07

À la suite des assauts répétés de Christian Bosembe contre la liberté d’information dont la virulence ne dissimule que médiocrement le dessein de museler toute parole discordante, la profession journalistique, dans un sursaut de dignité, se dresse en rempart pour préserver ce qui constitue l’essence même de sa mission : défendre un espace libre de débat, d’analyse critique et de pensée vivante.

Ce n’est point seulement l’autonomie du champ médiatique qui est ici en jeu, mais bien la possibilité d’une parole affranchie des tutelles politiques, rigoureuse dans sa méthode, éprise de vérité, et soucieuse de restituer la complexité irréductible du réel.

En s’en prenant à ceux dont le labeur consiste précisément à interroger, à nuancer, à déjouer les narratifs officiels, c’est l’architecture fragile mais essentielle du débat public que l’on ébranle. Face à ces velléités autoritaires, la réponse ne saurait être la complaisance ou le silence, mais l’affirmation intransigeante d’une parole libre, irrévérencieuse si nécessaire, fidèle à l’éthique du doute, et jalouse de cette indépendance critique qui seule permet à la démocratie de ne point sombrer dans la liturgie creuse du consensus imposé.

En ces temps de saturation discursive, d’injonctions moralisatrices et de polarisations outrancières, affirmer la nécessité d’un espace libre de débat, d’analyse critique et de pensée vivante relève d’un geste éminemment politique autant qu’intellectuel. Ce n’est pas seulement revendiquer un droit formel à la parole, mais œuvrer à la possibilité d’un autre dire rigoureux, nuancé, libre, soucieux de la complexité du réel et rétif à toute réduction idéologique.

Dès lors, défendre un tel espace revient à proclamer, contre vents et marées, qu’une autre parole est possible, non soumise aux diktats de l’immédiateté, de la simplification ou de la doxa dominante.

La parole véritablement libre n’est jamais pure expression spontanée ou débridée ; elle suppose au contraire un patient travail de discernement, une rigueur intellectuelle qui s’adosse à la mémoire, à la culture, à l’exercice de la pensée dans toute son exigence.

Elle s’inscrit dans une éthique de la vérité qui refuse les conforts de l’approximation comme les séductions du slogan. C’est pourquoi tout espace voué au débat authentique ne saurait se confondre avec les arènes du bavardage médiatique ou les tribunes soumises aux logiques algorithmiques de l’indignation permanente : il exige un cadre, une tenue, une discipline intérieure bref, une volonté partagée de penser ensemble sans se dérober à la complexité du monde.

Or, cette complexité, loin d’être un obstacle, constitue précisément la condition d’une parole vivante. Car penser, c’est résister aux schèmes simplificateurs, à la tentation de l’univocité ou du manichéisme. C’est faire droit à la pluralité des points de vue, à la profondeur des contextes, à l’ambivalence des faits.

La pensée véritable est lente, inquiète, nuancée ; elle se tient à distance des certitudes hâtives et des dogmatismes. Elle accueille l’incertitude non comme une faiblesse, mais comme le ferment d’une recherche constante de sens. En cela, elle s’oppose frontalement à la rhétorique binaire qui, aujourd’hui, gangrène tant les sphères politiques que culturelles.

Défendre un tel espace n’est donc pas une posture abstraite ; c’est une responsabilité civique, presque morale. Car la disparition ou la neutralisation de ces lieux de pensée met en péril la possibilité même du dissensus éclairé, du désaccord fécond, de la démocratie délibérative.

Lorsque toute parole se voit d’emblée frappée de suspicion, non point jugée sur la rigueur de son argumentation ou la pertinence de son propos, mais réduite à l’origine supposée de celui qui la profère son appartenance réelle ou fantasmée, son prétendu « agenda », ou quelque identité assignée à des fins de disqualification, alors ce n’est plus le débat que l’on honore, mais le procès que l’on instruit.

Le désaccord devient délégitimation, la contradiction se mue en mise en accusation, et l’échange intellectuel, en tribunal idéologique. Dans un tel climat, la pensée ne circule plus librement : elle s’ankylose, étouffée sous le poids des anathèmes.

Il ne s’agit plus de comprendre ni de confronter, mais de condamner sans appel, au nom d’une morale aussi fluctuante que tyrannique. Ainsi se délite l’espace public, non sous l’effet d’un manque d’opinions, mais par l’impossibilité croissante de les faire dialoguer sans suspicion ni excommunication.

Ce rétrécissement du champ discursif, insidieux et progressif, constitue une menace majeure pour toute société qui prétend encore se réclamer des idéaux de raison, de pluralisme et de liberté.

La parole se rétracte, la pensée se replie, et l’espace public devient le théâtre d’un affrontement stérile entre monologues sourds.

Ainsi, affirmer qu’« une autre parole est possible » ne relève ni de l’utopie naïve ni de la posture de rupture : c’est un acte de foi en l’intelligence humaine, en sa capacité à se forger, à se confronter, à se transformer dans le creuset de l’échange rigoureux.

C’est réhabiliter le sens noble du débat comme lieu de formation, de décantation, de maturation. C’est refuser que la parole soit confisquée par les plus bruyants, les plus prompts à juger, les moins enclins à écouter. Et c’est, en définitive, défendre une certaine idée de la civilisation celle qui, depuis Socrate, place le dialogue au cœur du vivre-ensemble et la pensée au fondement du politique.

En un mot, il s’agit d’opposer au vacarme uniforme une parole incarnée, habitée, capable de se tenir dans l’écart, dans l’entre-deux, là où naît, toujours, la pensée véritable. Ce combat pour un espace libre et vivant n’est pas secondaire : il conditionne tout le reste. Car sans lui, la liberté n’est qu’un mot vide, et la vérité, une proie livrée aux vents mauvais de l’opinion.

Face aux attaques répétées de Christian Bosembe contre la liberté d’information, les journalistes se mobilisent pour défendre leur mission

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