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Rwanda : « Ceux qui dénonçaient le rôle de la France ne seront plus accusés de complotisme »

Redigé par Liberation
Le 30 mars 2021 à 02:04

S’il salue le travail de vulgarisation de la commission Duclert sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, le chercheur François Graner, également membre de l’association Survie, déplore le manque de mises en cause individuelles et d’informations nouvelles dans le rapport.
By Maria Malagardis

Dès vendredi, l’association Survie mobilisait une quarantaine de ses membres pour éplucher les 1200 pages du rapport de la Commission Duclert publié ce soir-là. Un travail de fourmis en accéléré, qui permet à François Graner, membre de Survie, chercheur au CNRS, d’avoir une première vue d’ensemble du contenu de ce rapport sur les archives françaises au Rwanda. Un sujet qu’il connaît bien, puisqu’il est co-auteur d’un livre sur le rôle de la France au Rwanda (1). En 2020, il avait obtenu du Conseil d’Etat un accès aux archives de François Mitterrand sur la politique de la France au Rwanda et le génocide des Tutsis, qui a fait 800 000 morts en 1994. S’il salue les conclusions sur les « responsabilités accablantes » de la France, il regrette des carences sur les mises en cause individuelles.

Qu’avez-vous appris dans le rapport Duclert ?

Pas grand-chose, pour l’instant. La commission Duclert mentionne des documents nouveaux, mais pas véritablement d’informations nouvelles par rapport aux recherches déjà effectuées ces vingt-cinq dernières années. On est plus proche de la vulgarisation que de la recherche. D’ailleurs, s’il s’agissait d’un vrai travail de recherche historique, la commission aurait dû partir des travaux antérieurs existants pour poser des questions sur ce qui n’est pas encore résolu. Ce n’est pas vraiment le cas. Globalement, tout ce qui est accablant pour la France, on le connaissait déjà.

Mais les conclusions évoquent des « responsabilités accablantes » pour la France, c’est un constat très sévère ?

Ce qui est une réelle avancée, c’est effectivement important de l’avoir formulé noir sur blanc. Désormais, ceux qui dénonçaient le rôle de la France ne seront plus accusés de complotisme et ceux qui le nient ne pourront plus le faire aussi facilement.

Peut-on comparer le travail de la commission Duclert à celui de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda (MIP) qui, en 1998, s’est également penchée sur le rôle de la France pendant cette période tragique ?

La MIP a apporté une énorme quantité d’informations qui ont permis de faire avancer la recherche. Mais curieusement, elle avait émis des conclusions très édulcorées. Le rapport Duclert fait exactement l’inverse. Il offre un contenu à première vue très délayé, mais conclut à une « responsabilité accablante » pour la France. Il manque néanmoins dans ce rapport des éléments essentiels. Rien sur le soutien indirect de l’Elysée aux forces génocidaires. Rien sur la présence de militaires et de mercenaires français au Rwanda pendant le génocide. Pourtant déjà documentée. Rien sur les livraisons d’armes durant cette même période. Rien sur le fait que les forces armées rwandaises, impliquées dans le génocide puis repliées en juillet dans une zone sous contrôle français, s’en servent comme d’une base pour continuer à combattre.

Cette commission pouvait-elle dire toute la vérité sur le rôle de la France au Rwanda alors que son travail se limitait aux archives disponibles ?

Ses membres ont eu accès à plus d’archives qu’aucun chercheur jusqu’à présent, or certains des éléments absents que je viens d’évoquer figurent dans les archives. Le fait que l’armée génocidaire utilise la zone sous contrôle français pour combattre, je l’ai déjà trouvé dans des documents d’archives. S’il y a un document qui intéresse beaucoup de chercheurs, c’est le rapport du colonel Tauzin qui, en février-mars 1993, est chargé d’une opération militaire secrète au Rwanda. C’est un document classé secret-défense. La commission l’a obtenu mais ne semble rien en tirer de substantiel. Et en ce qui concerne l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, le 6 avril 1994, qui donne le signal du début des massacres, le rapport évacue d’une phrase la piste d’une implication française, pourtant mentionnée dans une note de la DGSE qui évoque même le rôle trouble d’un mercenaire français pour occulter la vérité sur cet attentat.

Vous aviez vous-même découvert un document d’archives surprenant : un télégramme diplomatique qui montre comment le Quai d’Orsay aurait organisé la fuite des génocidaires de l’autre côté de la frontière. Ce document est pourtant bien cité ?

Oui, mais le rapport omet de rappeler que ce télégramme diplomatique a été suivi d’effet. A la lecture, on a l’impression que le télégramme n’a dans l’immédiat aucune conséquence, comme si c’était une pièce parmi d’autres dans une série d’échanges de télégrammes.

Le rapport pointe quand même le rôle d’au moins deux décideurs de l’époque, le général Christian Quesnot, conseiller militaire de François Mitterrand, et le général Jean-Pierre Huchon, qui dirigeait la coopération militaire.

C’est vrai et sur ce point, je suis en accord avec tout ce qui est dit. La responsabilité personnelle de Mitterrand, même s’il ne peut plus se défendre, est également soulignée. Mais de nombreuses personnalités autour de lui sont relativement épargnées.

Partagez-vous le constat du rapport sur une France responsable mais pas complice du génocide ?

La motivation des décideurs français a été de maintenir le Rwanda dans leur zone d’influence, pas de commettre un génocide. Le rapport a raison de souligner qu’il n’y a aucune trace d’intention génocidaire dans les archives. Mais il y a eu un soutien actif aux extrémistes hutus. Un soutien très bien informé et suivi d’effets. Avant, pendant et après le génocide. C’est cela (et non l’intention) qui justifie de porter plainte pour complicité de génocide. Or, la façon dont le rapport est écrit donne parfois l’impression qu’on cherche aussi à éviter de nouvelles poursuites pénales, au-delà des six plaintes qui existent déjà.

(1) L’Etat français et le génocide des Tutsis au Rwanda, François Graner et Raphaël Doridant, Editions Agone, 2020


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