Sarajevo ou le scandale des massacres marchandés

Redigé par Tite Gatabazi
Le 13 novembre 2025 à 11:30

Trente ans après les horreurs du siège de Sarajevo, une enquête judiciaire en Italie vient jeter une lumière glaçante sur l’une des facettes les plus macabres et méconnues de ce conflit.

Selon les investigations menées par le parquet de Milan, des ressortissants italiens, parmi d’autres Européens occidentaux, auraient payé des forces serbes de Bosnie pour participer, non comme mercenaires mais en simples amateurs, à ce que l’on pourrait qualifier de « safaris humains ».

Il s’agissait, pour ces individus fortunés, de se postuler sur les collines encerclant la capitale bosnienne en tant que tireurs d’élite, visant indistinctement civils et enfants, et transformant la guerre en un jeu sanglant et lucratif.

Les sommes évoquées dépassaient parfois 100 000 euros pour un week-end, avec des tarifs supplémentaires pour la possibilité de tirer sur des enfants, transformant l’inhumanité en spectacle tarifé.

Cette révélation, bien qu’elle ne surprenne guère ceux qui connaissent l’ampleur des violences en Bosnie, met en exergue un commerce de la mort d’une froideur inouïe. Les « snipers du dimanche », issus de milieux aisés et souvent liés à l’extrême droite italienne, ont quitté Trieste ou Milan pour rejoindre Belgrade, avant de se voir convoyés dans les positions serbes de Sarajevo.

L’enquête repose sur des éléments corroborés par des témoignages de l’époque, notamment un ancien agent des renseignements bosniens et des documents officiels du renseignement italien, alerté dès 1993 sur la présence de ces touristes de guerre. Malgré l’ampleur de ces atrocités, la justice bosnienne et serbe s’est longtemps montrée réticente, et seule l’Italie semble désormais en mesure d’éclairer cette page sombre de l’histoire contemporaine.

La barbarie au prix fort

L’ampleur de l’affaire, mise en lumière par le journaliste et écrivain Ezio Gavazzeni et soutenue par l’ex-magistrat Guido Salvini ainsi que par l’ancienne maire de Sarajevo Benjamina Karic, révèle l’insondable banalité du mal lorsqu’il se pare de luxe et de respectabilité.

Les protagonistes présumés, hommes d’affaires et citoyens ordinaires, se fondaient dans la vie quotidienne tout en transformant la capitale assiégée en terrain de chasse macabre. Leur motivation n’était ni idéologique ni militaire, mais strictement ludique et perverse, une quête d’adrénaline et de pouvoir sur la vie d’autrui, un sinistre « safari » où le civisme et l’humanité étaient les proies.

Le documentaire slovène Sarajevo Safari avait déjà exposé ces pratiques à un public européen, mais c’est désormais la voie judiciaire qui s’ouvre, trente ans après les faits, pour tenter d’établir les responsabilités de ces « touristes de guerre ».

Si l’enquête du parquet milanais parvient à identifier et poursuivre au moins quelques-uns de ces individus, ce sera une tentative de réparation tardive mais nécessaire pour la mémoire des victimes et pour rappeler, avec force, que la barbarie peut se cacher derrière l’apparente respectabilité et la fortune.

Plus qu’une enquête judiciaire, c’est un réquisitoire contre l’inhumanité monnayée, un rappel que le crime peut, sous le voile du luxe et de la distance, se transformer en un passe-temps pour quelques-uns, mais en tragédie pour des milliers d’innocents.

Trente ans après le siège de Sarajevo, une enquête en Italie révèle une facette méconnue et macabre du conflit

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