A Kayenzi, l’ancien pasteur Jean Uwinkindi est plus que maudit

Redigé par Jean-François Isibo
Le 1er mars 2012 à 12:42

Avant le 6 avril 1994, ils l’appelaient le Révérend Pasteur. Aujourd’hui, ils le désignent par les pires épithètes : criminel, sanguinaire... Les pentecôtistes de Kayenzi, dans le district de Bugesera, à l’est de la capitale rwandaise, maudissent le jour où le pasteur Jean Uwinkindi a été affecté dans leur paroisse.
L’homme d’église, actuellement détenu au centre de détention du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie, est sous le coup d’une décision de renvoi vers la (...)

   
Avant le 6 avril 1994, ils l’appelaient le Révérend Pasteur. Aujourd’hui, ils le désignent par les pires épithètes : criminel, sanguinaire... Les pentecôtistes de Kayenzi, dans le district de Bugesera, à l’est de la capitale rwandaise, maudissent le jour où le pasteur Jean Uwinkindi a été affecté dans leur paroisse.

L’homme d’église, actuellement détenu au
centre de détention du Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie, est sous le
coup
d’une décision de renvoi vers la justice rwandaise.

Les allégations
portées
contre lui ont de quoi donner le frisson. Dans l’acte d’accusation tel
que
modifié le 16 décembre 2011, il est inculpé de génocide et extermination
pour
des crimes commis entre le 6 avril et la mi-mai 1994.

« Beaucoup de gens racontent du mal
d’Uwinkindi. Ce que je sais moi, c’est qu’il était toujours en compagnie
de
militaires et de policiers », indique Ferdinand Habyarimana, président
de la
chorale « Ijwi ry’ibyiringiro » (La voix de l’Espérance, en langue
rwandaise).

Ces hommes en armes étaient-ils chargés de sa protection
pendant le
génocide ? « Mais contre quoi, contre qui ? Je n’en sais rien, je venais
de
passer deux ans seulement dans la région et j’étais à peine âgé de 15
ans »,
répond ce fidèle, avant de rejoindre les autres membres de sa chorale
mixte.

Jean Uwinkindi, qui était le plus haut
responsable de l’église de Pentecôte de la région du Bugesera, habitait
une
maison en briques adobes à côté de l’église paroissiale de Kayenzi, où
il était
arrivé dans les années 80, en provenance de Kibungo.

Aujourd’hui,
l’église
principale se trouve à Nyamata, plus à l’est.
Mais dans ce qui était
l’église
en 1994, des fidèles viennent encore prier ou répéter des chants
liturgiques.

« Lors des massacres de 1992, nous nous
étions réfugiés à la paroisse de Kayenzi. 
A l’époque, l’église nous avait hébergés et nous avait apporté
assistance, notamment en nous donnant du manioc et des haricots », se
rappelle
Emile Murigande, chauffeur.

« Des Tutsis y sont donc revenus après le 6
avril
1994. Mais c’était, cette fois-ci, pour constater que l’enceinte de
l’église
était devenue le quartier général des tueurs », 
poursuit-il.

L’acte d’accusation affirme ainsi que
l’accusé aurait, à plusieurs reprises, invité les Tutsis, principalement
des
femmes et des enfants, à se réfugier dans l’église. Ensuite, « il a
permis à des
(miliciens) Interahamwe de s’installer dans l’enceinte et le voisinage
de
l’église », poursuit le procureur.

Ces miliciens, « ont fait sortir de
force des
femmes et des enfants de l’église et les ont tués. A plusieurs reprises,
Jean
Uwinkindi a supervisé ces crimes », ajoute le texte.

Au petit centre
commercial de Kayenzi,
François Kananuye, un anglican qui se rappelle difficilement avoir vu le
jour
en 1949, affirme que des membres de sa famille ont été tués à l’église.

« 
C’est
là que sont tombés ma sœur Prisca Mukarwego, l’épouse et les enfants de
mon
frère aîné. Ils ont été enterrés (à l’époque) derrière la maison
d’Uwinkindi »,
accuse Kananuye qui s’était caché plus loin, dans un marais. Le rescapé
se
souvient par ailleurs d’avoir vu l’homme d’église à la tête
d’assaillants qui
pourchassaient les Tutsis.

Aaron Musabyimana, qui était alors âgé
de 22 ans, est de ceux qui avaient cherché refuge à l’église. « J’y suis
resté
environ 5 jours. L’endroit était devenu le quartier général des tueurs.
Les
fils d’Uwinkindi , Josué et Masengesho, ont pris part aux toutes
premières
attaques tandis que le pasteur s’était érigé en commandant », raconte ce
pentecôtiste.

A Kayenzi, il n’y a plus aucun membre de
la famille du pasteur. Une de ses filles vivrait actuellement à Kibungo,
vers
la frontière avec la Tanzanie tandis que son fils Masengesho serait
emprisonné
pour son rôle dans les massacres.

Apollinaire Sebuturo était en 1994,
l’assistant d’Uwinkindi, « un diacre » comme le nommaient
respectueusement les
ouailles. Il n’est pas tendre avec son
ancien patron : « Il était puissant, il pouvait sauver des gens. Au
contraire,
il frappait avec son bâton les Interahamwe qui traînaient des pieds
lorsqu’il
fallait lancer des attaques ».

Un jeune qui ne vivait pas dans la
région au moment des faits conseille cependant, à voix basse, de ne pas
gober
tous les dires du vieil homme.

« Il ne faut pas prendre pour argent
comptant
tout ce que raconte Sebuturo. Il a lui-même été jugé et condamné pour sa
responsabilité dans le génocide. Il a terminé sa peine.
Je ne sais pas
pourquoi
il a été condamné à une peine aussi clémente. 
Il peut avoir choisi de tout rejeter sur son ancien chef. Il faudra
attendre le jugement ».

Le maire du district de Bugesera, Louis
Rwagaju, observe lui aussi son devoir de neutralité et refuse de porter
un
jugement sur le pasteur. « Je ne suis ni juge, ni procureur mais les
gens ici
disent de lui des choses horribles. Nous attendons impatiemment que
justice
soit rendue et, de préférence ici ».


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