À Mombasa, le thé noir se négocie à prix d’or

Redigé par Jeune Afrique
Le 22 janvier 2014 à 08:25

Plaque tournante de la filière en Afrique de l’Est, Mombasa voit l’excellente production rwandaise atteindre des valeurs records.
À Mombasa, les lundis et les mardis sont chargés pour les courtiers de la puissante Association est-africaine du commerce du thé (EATTA). Intermédiaires entre les producteurs de la région, qu’ils représentent, et les acheteurs internationaux, ils mettent aux enchères des thés noirs venus de toute l’Afrique de l’Est.
Sous les boiseries de la salle des ventes de (...)

Plaque tournante de la filière en Afrique de l’Est, Mombasa voit l’excellente production rwandaise atteindre des valeurs records.

À Mombasa, les lundis et les mardis sont chargés pour les courtiers de la puissante Association est-africaine du commerce du thé (EATTA). Intermédiaires entre les producteurs de la région, qu’ils représentent, et les acheteurs internationaux, ils mettent aux enchères des thés noirs venus de toute l’Afrique de l’Est.

Sous les boiseries de la salle des ventes de l’association, installée dans le centre de la ville portuaire kényane depuis 1956, rien n’a changé. Chacun propose un prix pour un lot, et le traditionnel coup de marteau l’adjuge au mieux-disant des 75 acheteurs agréés. Parmi eux, les représentants des plus grandes maisons du monde - Unilever, Twinings, Finlays, McLeod Russel et Tata -, qui totalisent à elles cinq environ 40 % du volume vendu.

Mombasa : plaque tournante

"Depuis la fermeture, en 1999, de la place de Londres, trop éloignée des centres de production, les grands négociants ont relocalisé leurs achats dans les Bourses plus proches des plantations et des usines, explique Brian Ngwiri, directeur du marketing de l’EATTA. Mombasa a pris de l’importance, devenant une plaque tournante : la quasi-totalité de la production de thé noir est-africain y est embarquée."

Depuis des décennies, le Kenya est le premier exportateur mondial de thé. En 2012, il détenait 24 % du négoce mondial, devant le Sri Lanka (17 %). Côté production, la Chine et l’Inde se partagent la plus haute marche du podium - respectivement de thé vert et de thé noir -, mais toutes deux en consomment l’essentiel. Jadis l’apanage des grands commerçants et planteurs anglais, qui lancèrent l’industrie, la filière est aujourd’hui menée par des professionnels africains, même si les capitaux des plantations, des maisons de courtage et de négoce restent majoritairement détenus par des groupes basés en Grande-Bretagne, en Inde ou au Pakistan.

Le thé kényan représentait 75 % des volumes vendus à Mombasa en 2012, mais la proportion des thés ougandais (15 %) et rwandais (6 %) est en constante progression. "L’année 2012 a été bonne, reconnaît Brian Ngwiri. À Mombasa, les transactions ont atteint 1,25 milliard de dollars [945,7 millions d’euros] pour 33 000 tonnes de thé. Soit 25 millions de dollars par semaine ! Avant, le Rwanda et l’Ouganda préféraient vendre de gré à gré, mais cela évolue", se réjouit-il, pariant sur une meilleure intégration régionale.

En 2013, les prix de vente moyens à Mombasa sont restés stables, entre 2 et 3 dollars le kilo. Une belle performance compte tenu de la croissance des volumes échangés. En Afrique de l’Est, les plantations ont gagné 170 000 ha. De 2003 à 2012, la production du Kenya a progressé de 27 %, celle de l’Ouganda de 61 %, et celle du Rwanda de... 67 %. Le Pays des Mille Collines voit la valeur de son thé atteindre des sommets aux enchères de Mombasa : "Jusqu’à 5,4 dollars le kilo pour un thé des plantations de Kitabi, dans le sud du Rwanda - un record", relève Ngwiri.

Dans ce contexte favorable, les dix maisons de courtage agréées de Mombasa prospèrent. Chacune d’entre elles a vendu pour plus de 100 millions de dollars de thé en 2013. Elles reçoivent une commission de 0,75 % du producteur, et de 0,5 % de l’acheteur. Ce dernier dispose de neuf jours pour payer le courtier après la vente aux enchères. D’après les normes de l’association, il ne doit pas s’écouler plus de quarante jours entre la date d’achat à Mombasa et la livraison. "Il est très difficile d’être agréé par l’EATTA, souligne Ngwiri. Les sommes en jeu sont considérables et engagent notre réputation. En 2005, Mombasa a souffert de désaffection après qu’un courtier a fui la ville. Cela ne doit pas se reproduire", martèle-t-il.

Qualité

À 500 m de la salle des ventes, dans les bureaux Combrok, quatrième maison de courtage de la ville, une dizaine de personnes préparent la salle de dégustation : "Chaque jour, je teste 70 lots. Ils nous parviennent des plantations par paquets de 4 kilos. Nous regardons la granularité du thé, la consistance des feuilles après infusion, la couleur de la boisson que, bien sûr, nous goûtons", explique Beatrice Muraguri, courtière chez Combrok.

Née dans la région théicole de l’ouest du pays et formée à la dégustation à Londres, cette Kényane connaît toutes les ficelles du métier : "Nous représentons une vingtaine de producteurs, principalement du Kenya, du Rwanda et de l’Ouganda, et, plus rarement, de Madagascar. Nous consultons les représentants des négociants présents à Mombasa, et nous fixons un prix au catalogue de la salle des ventes de l’EATTA. Nous envoyons également un rapport mensuel à tous nos planteurs et à toutes nos usines pour améliorer leur production", précise-t-elle.

Comme Ngwiri, elle ne tarit pas d’éloges sur le thé rwandais : "Ses feuilles sont plus claires, son infusion a une couleur rousse, mais beaucoup de goût, quand le thé kényan, lui, coupé plus épais, est plus foncé." Une opinion qui ravit le directeur commercial pakistanais d’une plantation basée à Gisenyi, sur la rive nord-est du lac Kivu. "Les producteurs rwandais aiment mettre deux courtiers en compétition, cela leur permet souvent d’obtenir de meilleurs prix et conseils", observe Muraguri.

La filière africaine du thé doit encore relever plusieurs défis. Dans deux ans, toutes les transactions devront être informatisées, pour améliorer la traçabilité et la rapidité des ventes.


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