Alex Salmond, le « Robespierre » écossais converti au pragmatisme

Redigé par Le Monde
Le 19 septembre 2014 à 11:11

« Le monde entier a les yeux rivés sur l’Ecosse, car nous sommes en train d’écrire l’Histoire. » Comment Alex Salmond, 59 ans, chef de file des indépendantistes écossais, pourrait-il ne pas être aux anges, ce jeudi 11 septembre, à la tribune du centre de conférences d’Edimbourg, où les médias de tous les continents sont suspendus à ses lèvres. Destinée aux journalistes étrangers, la conférence de presse a été conçue pour asseoir la stature internationale de celui qui briguera probablement le statut de chef (...)

« Le monde entier a les yeux rivés sur l’Ecosse, car nous sommes en train d’écrire l’Histoire. » Comment Alex Salmond, 59 ans, chef de file des indépendantistes écossais, pourrait-il ne pas être aux anges, ce jeudi 11 septembre, à la tribune du centre de conférences d’Edimbourg, où les médias de tous les continents sont suspendus à ses lèvres. Destinée aux journalistes étrangers, la conférence de presse a été conçue pour asseoir la stature internationale de celui qui briguera probablement le statut de chef d’Etat, si les Ecossais se prononcent en faveur de l’indépendance, jeudi 18 septembre.

Sera-t-il plus conciliant à l’égard de Vladimir Poutine ? Combien de visas pour les étudiants indiens ? Quelle riposte face à l’Etat islamique ? A chaque fois, il répond avec l’assurance de celui qui a toujours su que cette heure viendrait.

Si le non à l’indépendance l’emporte, on expliquera certainement que l’arrogance, la suffisance, voire la brutalité d’Alex Salmond, lui ont aliéné des électeurs, en particulier des femmes, comme le suggèrent les sondages. Mais si le référendum débouchait sur la rupture avec Londres, le même homme, aussi rond de visage que tranchant en politique, vivrait l’apothéose d’une irrésistible ascension. Il sera difficile de ne pas voir en lui l’artisan central d’une victoire qui, jusqu’à ces derniers mois, semblait hors de portée.

« GRANDE-BRETAGNE DÉCLINANTE ET DÉPASSÉE »

Transformer une idée saugrenue, défendue depuis les années 1930 par une poignée de poètes et de militants, en une perspective politique crédible, telle est déjà sa réussite. Il est l’homme d’une idée : redonner confiance à un pays qui s’est toujours considéré comme le parent pauvre des Anglais.

C’est, dans les années Thatcher, en 1988, qu’Alex Salmond, tout juste élu député nationaliste écossais au Parlement de Londres, bouscule la vieille garde de son parti et forge cette rhétorique si présente dans la campagne : les Ecossais ont le choix, explique-t-il alors, entre « continuer à jouer un rôle mineur dans une Grande-Bretagne déclinante et dépassée, ou trouver un nouveau rôle dans la Communauté européenne ».

Les débuts professionnels d’Alex Salmond, né à Linlithgow, au centre de l’Ecosse, n’annoncent pas le tribun nationaliste. Après des études d’histoire médiévale et d’économie, il est embauché comme économiste par le Scottish Office, l’œil de Londres sur les affaires écossaises, supprimé en 1999. Puis il analyse les marchés pétroliers pour la Royal Bank of Scotland. Mais, à l’université de St Andrews, en 1973, il est tombé dans la marmite nationaliste et a adhéré au Parti nationaliste écossais (SNP) pour y défendre le projet d’une « Ecosse socialiste et républicaine ».

Exclu en 1982 pour avoir correspondu avec les Irlandais du Sinn Fein, il est très vite réintégré. Provoquer un esclandre, disparaître quelque temps pour revenir en force : cette tactique marque son ascension politique, tout comme son habileté à grignoter les voix du Labour, dénoncé comme trop timoré et londonien. A Westminster, en 1988, il se fait exclure pour cinq jours de la Chambre des communes pour avoir qualifié d’« obscénité » la politique fiscale de Mme Thatcher… et gagne une renommée médiatique de « Robespierre » qui l’aide à se hisser à la tête du SNP en 1990.

ANIMAL POLITIQUE

Partisan de l’indépendance complète mais pragmatique, il soutient le projet de Tony Blair qui, en 1997, fait approuver par référendum la création d’un Parlement à Edimbourg doté de larges pouvoirs. Pour l’Ecosse, c’est un tournant, et pour lui, un tremplin. Démissionnaire de ses fonctions dirigeantes au SNP en 2000 après que son « style dictatorial » a été dénoncé, il y revient en force quatre ans plus tard pour mener le parti à deux victoires décisives : celle de 2007, qui donne au SNP une majorité relative et propulse Alex Salmond au poste de premier ministre (First Minister) d’Ecosse, et surtout celle de 2011.

Le raz-de-marée nationaliste, qu’aucun institut de sondage n’a vu venir, permet alors au SNP de gouverner seul. Maître du Parlement d’Edimbourg, il fait voter le projet de référendum sur l’indépendance, que David Cameron approuve, croyant tuer politiquement Salmond avec un vote perdu d’avance.

Le souffle de la campagne actuelle a remisé au second plan les zones d’ombre du jovial M. Salmond : son admiration à l’égard de Vladimir Poutine, qui a « restauré une grande partie de la fierté russe » exprimée juste avant l’annexion de la Crimée ; son long refus d’admettre ses dépenses somptuaires à Chicago, Pékin et Tokyo payées avec l’argent public et ses petits arrangements avec le magnat de la presse Rupert Murdoch. On saura vendredi si ce redoutable animal politique est parvenu à transmettre aux électeurs écossais son inébranlable confiance en lui.

Philippe Bernard (Londres)


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