Le statut d’assistant parlementaire n’est pas codifié. Résultat : des dérives, surtout en campagne électorale. Mais pas seulement : travail pour le parti, la commune, le privé, ménage, devoirs scolaires, garde d’enfants… ne sont pas rares.
Une situation à la française – des emplois fictifs et grassement payés pour des proches, des élus qui arrondissent leur salaire en puisant dans « l’enveloppe collaborateurs »… ? Tous nos témoins en attestent : en Belgique, cela n’existe pas – notamment parce qu’on ne fonctionne pas par « enveloppes » octroyées aux groupes parlementaires.
Mais tout n’est pas idyllique pour autant…
Nous avons mené l’enquête au coeur des assemblées. Auprès d’une vingtaine de témoins, la plupart (ex-)collaborateurs parlementaires ou (ex-)conseillers politiques, de diverses couleurs. Des témoins qui se confient anonymement, tant le sujet est délicat, certains craignant pour leur emploi.
Avant tout, ce préliminaire : la plupart des collaborateurs travaillent beaucoup, dans l’ombre d’un élu à l’ego parfois bien affirmé, sans salaire indécent ni stabilité d’emploi au-delà de la législature (voire moins : « On peut être congédié à n’importe quel moment. ») Reste que la situation est loin d’être claire. Parce que le milieu n’est guère réglementé.
« Il y a un statut pour tout le monde dans cet Etat, lance un ancien, sauf pour les collaborateurs des politiques. Il faut une codification. »
A leur engagement, les assistants parlementaires signent bien un contrat avec leur assemblée, leur groupe ou leur député ; ils perçoivent une rémunération fixée par barème (en fonction du diplôme et de l’ancienneté) ; mais ils ne reçoivent pas de descriptif de fonction précisant ce qu’ils sont censés faire (un seul de nos interlocuteurs nous a dit en avoir reçu).
« Les collaborateurs parlementaires ont un contrat temporaire avec la Chambre, nous confirme la porte-parole du président, Saskia De Leeuw. Mais le contenu de la fonction, où ils travaillent, ce qu’ils font… est de la responsabilité du groupe politique. Ils ont la liberté d’interpréter cela. C’est basé sur une relation de confiance entre la Chambre et les députés. Et il n’y a pas de contrôle ni de procédure contre les abus. » Pas de liste de tâches non plus au parlement de Wallonie : « Un collaborateur parlementaire… collabore. Chacun s’organise comme il veut », nous explique le greffier, Frédéric Janssens. Qui ajoute : « La limite, c’est l’éthique personnelle. » Ce qui ouvre la porte aux fantaisies, voire aux abus.
Jugez plutôt.
1Que font les collaborateurs parlementaires ? 80 à 85 % du travail des élus.
Des collaborateurs parlementaires, il y en a de deux ordres : l’attaché particulier, lié à un élu ; et le collaborateur plus collectif, travaillant pour le groupe politique, le chef de groupe en particulier, et généralement chargé de matières spécifiques (justice, mobilité, énergie…). Certains sont des collaborateurs administratifs, d’autres sont universitaires. Que font ces assistants ? On l’a dit : il n’y a pas de descriptif de tâches précis. Mais globalement, un collaborateur parlementaire rédige des questions orales ou écrites, des propositions de loi, des notes ou dossiers liés au travail en commission ou en plénière ; fait des recherches sur un thème précis ou se forme aux nouvelles mesures législatives ; suit le travail du gouvernement et décortique ses projets ; prépare les réunions, rencontres ou débats auxquels participent les élus ; gère les contacts avec les citoyens, associations, lobbys ; s’occupe de la communication pour les porte-parole…
On l’a compris : ce sont les collaborateurs qui font le gros du boulot parlementaire… ce qui explique aussi que les élus peuvent cumuler les mandats. « Pour une grande partie, le travail est fait par les collaborateurs, confirme l’un d’eux. Il y a aussi des élus bosseurs qui vont gratter eux-mêmes leurs dossiers. Mais il y en a qui n’ont jamais ouvert un dossier, qui ânonnent un texte écrit pour eux, qu’ils découvrent en le lisant en commission… » « Il est rare qu’un député fasse ses questions ou interpellations », abonde un ancien.
Un autre acquiesce : « Certains députés sont plus pro-actifs que d’autres, ont une vraie expertise ou écrivent leurs discours. Mais pour beaucoup, à 80 ou 85 %, le travail est fait par le collaborateur. »
2Pour qui travaillent-ils ? Payés par l’assemblée, au boulot pour le parti : ça existe.
Dans la réalité, le travail parlementaire ne correspond pas toujours complètement à ce qui précède. Car les collaborateurs ne travaillent pas uniquement pour l’assemblée qui les rémunère : de manière assez répandue, ils bossent aussi pour leur parti. D’ailleurs, admettent quelques témoins « les partis contrôlent souvent la sélection des collaborateurs parlementaires, voire suggèrent des noms. » C’est un premier point.
Deuxième point : la plupart des partis « mutualisent les moyens ». Une belle expression pour masquer que les collaborateurs parlementaires ne servent pas que leur assemblée. Loin s’en faut. Des témoins de plusieurs couleurs nous le confirment.
Côté vert : « On pratique la mutualisation des contrats de collaborateurs au niveau de l’ensemble des groupes et du parti, en fonction des besoins. Pour être efficace. Car un groupe n’a pas toujours besoin d’un économiste ou d’un juriste à temps plein. Certains, payés par une assemblée, peuvent être à mi-temps pour elle et à mi-temps pour une autre ou pour le parti. » Un ancien avoue : « J’ai toujours travaillé pour le parti, mais avec des contrats d’assemblée. »
Côté orange : « Il n’y a pas de cloison étanche. » « Les collaborateurs parlementaires reçoivent du boulot, pour l’assemblée et pour le parti. » « Les notes qu’ils rédigent arrivent au parti pour éviter les doublons. » Donc « celui qui suit l’énergie à la Chambre, suit aussi le dossier au Sénat et cela servira dans le programme du parti. »
Côté rouge : « Des transferts existent : un mi-temps dans une assemblée et un autre dans une autre ou au parti, c’est ce qu’on appelle le consolidé. Et des collaborateurs parlementaires sont présents aux réunions au parti pour préparer des projets. »
Côte bleu : « Payés par une assemblée et travaillant pour le parti à temps plein ou partiel ? Oui, cela existe. » « Pas étonnant puisqu’un groupe parlementaire travaille à l’idéologie du parti et pour faire avancer ses idées. »
Les assemblées, d’ailleurs, ne sont pas dupes. « Oui, nous avoue-t- on dans l’une d’elles, des collaborateurs parlementaires sont physiquement basés au parti, à mi-temps ou à temps plein. Dans les faits, ils travaillent peut-être un peu pour le député, un peu pour le parti et un peu pour la commune.
C’est un petit détournement de la loi, mais tous les partis, francophones et flamands, le font. »
Choquant ? « La loi de financement des partis le permet », assurent certains. L’article 1er de la loi du 4 juillet 1989 relative au financement des partis précise en effet que sont notamment « considérés comme composantes d’un parti politique », « les groupes politiques des Chambres fédérales, des parlements de Communauté et de Région ». Donc, assène cet assistant parlementaire, « les groupes politiques font partie du parti. La question ne se pose pas de savoir si on travaille pour un groupe ou un parti, on fait partie d’un parti. Les moyens humains dont héritent les groupes parlementaires sont aussi des moyens donnés aux partis. »
Qu’en penser ? « La loi de 1989 assimile les groupes politiques à des composantes de parti et le but était louable au départ, explique le constitutionnaliste Marc Verdussen (UCL) : que les règles concernant les dons de personnes physiques ou morales valent aussi pour les composantes des partis, afin d’éviter le contournement de la loi. Mais la conséquence, c’est une certaine interchangeabilité des composantes. Le législateur entérine que les groupes politiques peuvent faire des dons aux partis et l’on va vous dire qu’un assistant parlementaire est une forme de don au parti. Il y a quelque chose d’anormal à assimiler un groupe
politique au parti, mais à partir du moment où la loi le fait, on arrive à ces situations. Des clarifications s’imposent donc. »
3Présents au parlement ou à la commune ? Ces attachés qui restent au bled.
Reste la question des attachés parlementaires, au service d’un député, que l’on ne voit parfois guère, voire pas du tout, au parlement. « Très régulièrement, nous dit un ex-conseiller, le collaborateur personnel reste au bled et organise le secrétariat du député, sans s’occuper du travail parlementaire. »
Et, selon nos témoins, ce n’est pas rare. « Il y a toute une partie de mes collègues attachés parlementaires que je ne vois pas parce qu’ils sont plus souvent dans leur région élective, explique un collaborateur parlementaire. On ne sait pas vraiment ce qu’ils font, c’est un travail politique différent du nôtre. »
Parfois, c’est pour « la fonction d’échevin ou de bourgmestre du député » qu’ils travaillent… On nous cite le cas d’« un attaché parlementaire qui est basé dans la commune de son député et ne met plus un pied au parlement depuis deux ans, tout en percevant son salaire de l’assemblée ».
4Au service du politique ou de l’homme ? Certains font du babysitting, des travaux scolaires, surveillent des examens…
Il arrive que le collaborateur ne travaille plus pour le parlementaire mais pour l’homme/la femme. « Le statut est tellement flou, explique un témoin, que certains utilisent un mi-temps parlementaire comme… femme de ménage ! Il y a aussi des collaborateurs qui sont en fait chauffeurs. Et rien légalement ne l’empêche. »
Mais quel rapport avec du travail parlementaire ? Or, nous dit-on, ces pratiques ne sont pas exceptionnelles. « Des parlementaires utilisent des collaborateurs pour faire le ménage, du babysitting, aller chercher les enfants à l’école, témoigne un ancien. C’est connu dans le milieu et moins rare qu’on ne le pense. » « En général, ajoute un collaborateur parlementaire, ce sont de jeunes qui n’osent pas dire non. »
La preuve par ce témoignage édifiant recueilli dans une assemblée non fédérale : « J’ai vu plusieurs fois des collaborateurs dépanner un député débordé en faisant du babysitting, et ensuite, ça peut devenir une habitude. J’ai vu aussi des collaborateurs réaliser des travaux d’études secondaires ou universitaires pour les enfants ou neveux de député, depuis la relecture jusqu’à la rédaction complète. Mais il y a aussi de la gestion administrative (impôts, assurances, courrier personnel…) ; des réservations de billets de train, d’avion, de concert, pour le député ou la famille ; certains aident l’élu dans son deuxième emploi, public ou privé, dans l’immobilier par exemple. Et l’on ferme un peu les yeux sur ces dérives… »
Un autre témoin cite le cas d’un collaborateur qui, « pendant les heures de bureau, a surveillé les examens d’un député maître de conférences à l’unif ».
Et un troisième évoque « certains attachés qui travaillent en fait pour le cabinet d’avocats ou l’étude de notaire ».
Voilà qui peut occuper largement des assistants : « A certains moments, nous avoue l’un d’eux, je n’ai plus guère le temps de faire mon travail parlementaire. Selon les périodes, cela peut prendre jusqu’à un tiers voire la moitié de mon temps. Et cela, avec l’argent du contribuable… » Un ex-conseiller politique confirme la crédibilité de ces témoignages. Et soupire : « Il est temps de mettre des règles, car il s’agit d’argent public. »
5Au bureau ou en campagne ? A la conquête des électeurs, un an avant le scrutin.
Pour plusieurs de nos témoins, le détournement de collaborateurs s’observe surtout en campagne électorale. « Il y a alors un vrai problème de masse, dit cet ancien : les collaborateurs parlementaires, payés par les deniers publics, travaillent plus pour le parti que pour le groupe. A un an du scrutin, cela commence… Des collaborateurs écrivent le programme du parti, travaillent sur des notes stratégiques pour le parti, rédigent des notes pour ceux qui participent aux débats… »
Parfois, cela commence même plus tôt. « Un an et demi, voire deux ans avant les élections, chiffre ainsi un autre témoin. Utiliser des collaborateurs parlementaires permet d’éviter de payer une main d’oeuvre supplémentaire… » « C’est le côté le plus délicat,
confirme un collègue d’une autre couleur. Pendant la campagne, le parti demande des renforts aux groupes parlementaires. On fait campagne avec le parlementaire. Certains collent des affiches, distribuent les toutes-boîtes, vont sur les marchés, élaborent le programme, préparent les débats… Pas tous les jours, mais là, on est tout de même au seuil de la légalité, ce n’est plus très correct. »
Au terme de notre enquête, une conclusion : un minimum de réglementation s’impose, même si tous les assistants parlementaires ne sont bien sûr pas concernés par les dérives. Mais on le sait : les règles sont contournables. La preuve : la rémunération des collaborateurs est codifiée, mais certains « monnaient leur talent » : « Un moment, je cumulais trois contrats, équivalant à deux temps plein et demi », confie un ancien. ■
MARTINE DUBUISSON
CHAMBRE
1 attaché par député
1 collaborateur (équivalent temps plein) administratif par député (150 en tout) ;
+ 1,15 collaborateur par député pour le groupe (soit 161 en tout) ;
+ 1, 2 ou 3 collaborateur(s) par groupe selon la taille du groupe (18 en tout) ;
+ 1 secrétaire politique par groupe (8 en tout) ;
+ 1 collaborateur par député ayant une fonction spéciale (comme chef de groupe ou président de commission).
Chaque collaborateur signe un contrat avec la Chambre, qui est son employeur.
Des barèmes déterminent le salaire du collaborateur en fonction de ses diplômes et de son ancienneté.
La Chambre refuse de communiquer ces barèmes, estimant qu’ils « relèvent de la vie privée ».
MA.D.
COMMUNAUTE
De 2 à 6,5 assistants par groupe
Les députés de cette assemblée siègent aussi au parlement bruxellois ou au parlement wallon (sauf deux qui ne siègent qu’ici, en remplacement des deux élus germanophones du parlement wallon : ils ont droit à un collaborateur administratif et un demi-temps plein universitaire).
Les quatre groupes reconnus (PS, MR, CDH, Ecolo) reçoivent une enveloppe de l’assemblée qui leur permet de recruter 2 à 6,5 collaborateurs (équivalent temps plein) en fonction de leur taille. Ces collaborateurs signent un contrat avec le groupe politique, via le chef de groupe. Qui, ici comme au parlement bruxellois, ne peut engager de parent jusqu’au deuxième degré.
MA.D.
PARLEMENT WALLON
2,5 équivalents temps plein par député
2,5 collaborateurs (équivalent temps plein) par député (président du groupe y compris), dont maximum 1 universitaire ;
+ 1 secrétaire pour le groupe ;
+1 collaborateur administratif par 4 députés pour le groupe ;
+ 5 collaborateurs (dont maximum 2 universitaires) pour le président du groupe.
C’est le groupe politique ou le président du groupe qui est l’employeur des collaborateurs parlementaires, mais c’est l’assemblée qui les paie « pour éviter le transit d’argent et le contrôle a posteriori ».
Des barèmes (en fonction des diplômes, universitaires ou non, et de l’ancienneté) déterminent le salaire du collaborateur. Ils ne sont pas publiés, donc on ne nous les a pas communiqués.
MA.D.
PARLEMENT BRUXELLOIS
1 collaborateur par député
1 collaborateur par député ;
+ 0,5 équivalent temps plein pour le président et les vice-présidents de l’assemblée et pour les présidents de groupe ;
+ 1 universitaire par groupe ;
+ 1 collaborateur pour le groupe par 5 députés.
Le collaborateur parlementaire signe un contrat avec un député (sauf le secrétaire, qui signe avec le parlement), mais c’est l’assemblée qui le paie. Avec cette règle : « Le député ne peut engager ni son conjoint ni un parent ou allié jusqu’au 2e degré. »
L’assemblée est la seule à nous fournir ses barèmes (bruts, temps plein), qui sont plus bas qu’ailleurs.
Les voici :
Collaborateur non universitaire d’un député : 2.515.76 euros au départ ; 3.068,21 euros après 20 ans.
Collaborateur universitaire d’un député : 2.781,48 euros au départ ; 3.845,41 euros après 20 ans.
Collaborateur universitaire d’un groupe : 2.782,31 euros au départ ; 5.540,28 euros après 20 ans.
A cela s’ajoutent : chèques repas, assurance hospitalisation, abonnement Stib.
MA.D.
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