Bernard Arnault n’a pas aimé la polémique qui a suivi sa demande de naturalisation belge, en septembre 2012. Il n’a pas aimé la "une" de Libération "Casse-toi riche con". "Pas très agréable", commente laconiquement le PDG de LVMH, qui n’a pas hésité à l’époque à ne plus publier de publicité dans les pages du quotidien.

Bernard Arnault, au siège parisien du groupe LVMH, avenue Montaigne, le 9 avril. | Roberto Frankenberg pour Le Monde
L’homme qui nous reçoit, mardi 9 avril, au siège de LVMH, 22, avenue Montaigne, à Paris, dans le 8e arrondissement, espère que ses explications au Monde mettront un terme à ces rumeurs qui ont accompagné sa démarche. Non, il n’a jamais souhaité quitter la France, martèle-t-il, encore moins échapper à l’impôt. Il y a eu malentendu, plaide-t-il.
Sa démarche était d’abord patrimoniale. Elle visait à sanctuariser ce groupe qu’il a construit pas à pas, au fil des décennies, à partir de l’entreprise de BTP de son père, Jean. A éviter que ses enfants – deux d’un premier mariage, dont son fils Antoine, qui assiste à l’entretien, trois d’un second – s’entre-déchirent quand il ne sera plus là pour faire régner l’ordre. Et défassent l’oeuvre de sa vie.
On est plus surpris d’entendre ce patron de 64 ans, celui-là même qui s’était rendu au Fouquet’s le soir de l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, accorder sa confiance à François Hollande. Non que l’on attende de cet homme discret une charge contre l’Elysée. Ce n’est pas le genre de la maison. Mais plutôt un silence réprobateur. On aura même un vibrant hommage à Pierre Bérégovoy et au premier septennat de François Mitterrand, qu’il avait pourtant fui en partant aux Etats-Unis en 1981.
Mercredi matin, Bernard Arnault a signifié aux autorités belges qu’il retirait sa demande de naturalisation. Il renonce donc à protéger – de cette façon en tout cas – d’éventuelles querelles familiales son empire, qui a fait de lui l’un des hommes les plus riches au monde. Selon le classement 2013 de Forbes, sa fortune de 29 milliards de dollars (22,1 milliards d’euros) arrive au dixième rang mondial.
En septembre 2012, la polémique éclate quand on apprend que vous avez demandé la nationalité belge. C’est la première fois, depuis, que vous acceptez de vous exprimer sur le sujet.
Comme vous le savez, j’ai engagé une demande de nationalité belge en plus de ma nationalité française. Il s’agissait ainsi de mieux protéger la fondation belge que j’ai créée, avec comme seul objectif d’assurer la pérennité et l’intégrité du groupe LVMH si je venais à disparaître et si mes ayants droit devaient ne pas s’entendre.
J’ai sous-estimé l’impact de cette démarche, dont on m’avait assuré, par ailleurs, qu’elle se ferait dans la plus grande discrétion... J’ai à plusieurs reprises expliqué que je resterais résident en France et que je continuerais d’y payer mes impôts. En vain : le message n’est pas passé. Aujourd’hui, j’ai décidé de lever toute équivoque. Je retire ma demande de nationalité belge.
Qu’est-ce qui vous a convaincu de revenir sur votre démarche ?
Compte tenu de la situation du pays, l’effort de redressement doit être partagé. Je veux par ce geste exprimer mon attachement à la France et ma confiance dans son avenir.
Comment avez-vous vécu les réactions qu’a suscitées votre demande de nationalité belge ?
Ce n’était pas très agréable... D’autant que le groupe LVMH paye près d’un milliard d’euros d’impôt sur les sociétés en France – c’est plus de la moitié de ses impôts –, alors qu’il réalise plus de 90 % de son chiffre d’affaires à l’étranger. A ce titre, LVMH fait figure d’exception parmi les grands groupes internationaux et a un comportement citoyen exemplaire.
Quant à moi, je ne vous dirai pas ce que je paye comme impôt à titre personnel, mais, croyez-moi, c’est substantiel, et je suis sans conteste dans le peloton de tête des contribuables français. Il y a des limites au paradoxe.
LVMH est un groupe leader, qui crée des emplois d’artisans en France – 3 000 embauches au total en 2012 –, où il fabrique l’essentiel de ses produits. C’est ce combat que je veux mener. Je ne veux plus être associé à une situation où l’on peut soupçonner que je souhaite l’exil fiscal.
Pourquoi décider seulement maintenant d’interrompre votre démarche ?
Je pensais que la polémique allait se calmer. Mais la rumeur ne s’arrête pas. Un chef d’entreprise doit se concentrer sur le développement économique, plus que se disperser sur des questions médiatiques qui peuvent rejaillir sur l’image de son entreprise.
Et, comme le groupe LVMH et toutes ses marques représentent la France dans le monde entier, cette polémique pouvait avoir une incidence sur l’image qu’il représente. Il y avait une incompatibilité entre cette polémique et les valeurs de notre maison.
En renonçant à demander la nationalité belge, renoncez-vous aussi à assurer la pérennité du groupe en cas d’accident ?
Non. Il y a cette fondation en Belgique, que j’ai créée à cet effet en 2008. Elle existe, elle conserve son objet. Elle serait devenue inattaquable si j’avais demandé et obtenu la nationalité belge. Mais, aujourd’hui, je préfère cette relative fragilité – et je fais confiance à ma famille pour rester unie, comme elle l’est aujourd’hui – plutôt que d’être assimilé à un exilé fiscal.
Vous avez transféré vos actions LVMH dans cette fondation ?
C’est vrai. Mais cela n’a aucune incidence sur les impôts que paye le groupe aujourd’hui en France et n’en aura aucune sur les droits de succession que paieront mes héritiers en France le moment venu.
Votre demande de nationalité belge a fait débat en Belgique, où deux des trois instances consultées s’opposaient à votre démarche. Est-ce pour cela que vous y renoncez ?
J’avais, je pense, des chances importantes d’obtenir la nationalité belge.
Vous dites avoir confiance en votre pays, la France. C’est un discours rare en ce moment...
Oui. Mais il faut faire en sorte que les entrepreneurs soient mieux compris, plus appréciés de l’opinion publique. Car la croissance ne peut venir que des décisions individuelles des chefs d’entreprise. Et en France, que le gouvernement soit de gauche ou de droite, ils sont relativement mal vus. On aime bien les footballeurs, pas les chefs d’entreprise.
M. Tata est une star en Inde, comme Warren Buffett aux Etats-Unis. En Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, on condamne la pauvreté pour mieux la combattre, quand, en France, on condamne la richesse.
Cela n’a pas toujours été le cas. Quand Pierre Bérégovoy était ministre de l’économie de François Mitterrand, l’entrepreneur était considéré comme un héros national.
Ce problème d’image est-il la principale difficulté de notre pays ?
Non, bien entendu. Les prélèvements sont trop élevés. Pour redynamiser l’économie, il faut les alléger. Le gouvernement actuel va dans le bon sens. Il aurait pu aller plus loin en reprenant à son compte l’intégralité du rapport Gallois.
Il faut baisser la dette et les dépenses publiques. C’est compliqué, mais cela peut se faire. Pensez, il y a deux fois plus de fonctionnaires par millier de personnes en France qu’en Allemagne.
Le monde est reparti en croissance. L’Europe n’est plus le centre du monde, et sa croissance est aujourd’hui freinée par le poids des dépenses publiques et de la dette.
La mise en place d’une taxe temporaire (sur deux ans) de 75 % sur la part des revenus au-delà de 1 million d’euros est-elle une mauvaise idée ?
Techniquement, cette taxe ne va pas rapporter grand-chose à l’Etat. Mais le fait qu’elle soit maintenant temporaire et payée par les entreprises permet de l’évacuer du débat. Ne perdons pas de vue le vrai sujet : la lutte contre le chômage.
Sa mise en place a-t-elle amené certains de vos cadres dirigeants à s’expatrier à l’étranger ?
Certains d’entre eux ont demandé à être domiciliés ailleurs qu’en France, je résiste à leur demande.
Ces derniers jours, on a beaucoup parlé de comptes offshore et de paradis fiscaux. Votre groupe a-t-il recours à ces instruments ?
Il n’est jamais payant de prendre des chemins détournés. LVMH a de nombreuses boutiques dans des pays offshore, comme Singapour ou Hongkong, et y réalise donc un chiffre d’affaires important avec des produits fabriqués en France.
Il est nécessaire de lutter contre les paradis fiscaux. Beaucoup a été fait ces dernières années. Aujourd’hui, il serait nécessaire d’engager une harmonisation fiscale au niveau européen. C’est là, me semble-t-il, une question plus importante que celle des paradis fiscaux qui a commencé à être sérieusement traitée.
Vincent Giret, Stéphane Lauer et Virginie Malingre
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