Les émeutes antimusulmans des derniers mois ont été encouragées par des blogs et des sites probablement proches du régime.

Un dessin d’Arend, Pays-Bas
La propagande est omni-présente dans le monde opaque des médias sociaux en Birmanie (Myanmar).
Les pages Facebook et les blogs sont remplis de discours favorables à l’armée ou de diatribes contre tout et n’importe quoi, des musulmans aux médias en passant par Aung San Suu Kyi.
Si l’on ne peut jamais savoir exactement qui est à l’origine de ces plateformes, leur contenu donne certains indices. Nombre d’entre elles affichent régulièrement le drapeau national, tandis que d’autres préfèrent montrer les statues du roi guerrier qui se dressent à l’entrée de l’Ecole des services de défense [qui forme les officiers de l’armée birmane] installée dans la ville de Pyin Oo Lwin.
Malgré l’opacité de la Toile, le moine bouddhiste Ashin Issariya, qui avait été arrêté pour son rôle dans la “révolution de Safran” [le mouvement d’opposition au régime mené par les bonzes en septembre 2007], est convaincu que nombre de ces sites sont l’œuvre de l’armée : “Les rois guerriers représentent l’armée. Ils doivent donc être liés à l’armée d’une façon ou d’une autre.” Le blogueur Nay Phone Latt, également directeur exécutif de Myanmar ICT for Development Organisation, pense lui aussi que nombre de blogs prétendument informels sont en fait des canaux de propagande de l’Etat.
Il est “suspect” de voir “avec quelle rapidité certains groupes sont capables de poster et de diffuser l’information”, précise-t-il. En particulier, ceux qui incitent à la violence. “Nombre de sites affichent le drapeau national et des photos de Nay Pyi Taw, la capitale, et la plupart de leurs infos proviennent de sites gouvernementaux.” Il demeure malgré tout “vraiment difficile” de prouver qui se trouve derrière, ajoute-t-il.
Au début de l’année, un groupe de moines bouddhistes de l’Etat Môn a organisé une campagne antimusulmans dénommée 969 [en référence aux Trois Joyaux du Bouddha]. Leurs sermons diffusés par DVD et autocollants ont facilité la diffusion du fanatisme et de la méfiance. Ils encouragent les bouddhistes à ne faire leurs achats que dans les commerces tenus par des bouddhistes, à n’épouser que des coreligionnaires et à ne soutenir que leur communauté.
Ashin Issariya s’étonne que le gouvernement ait négligé le mouvement 969 et répugné à réagir contre ces actions attisant la haine. “Il est vraiment étrange que le ministère des Affaires religieuses ait laissé cette campagne provoquer de la tension entre les deux communautés, déclare-t-il. Après les manifestations des moines en 2007, utiliser un compte Gmail entraînait la condamnation à quinze ans de prison. Alors pourquoi les autorités ne prennent-elles pas des mesures contre un groupe qui mène ouvertement une campagne pour attiser les sentiments antimusulmans ?”
Outre les sermons et les DVD, les vues sectaires du mouvement 969 sont relayées et accentuées par d’innombrables sites sociaux. Les différends entre groupes ethniques et raciaux n’ont rien d’exceptionnel en Birmanie mais la violence qui a éclaté dans l’Etat d’Arakan en juin 2012, à Meiktila et dans d’autres villes en mars dernier a porté le conflit à un niveau jusqu’alors inconnu.
Après avoir étudié dix sites web animés par des auteurs anonymes, nous avons constaté qu’ils contenaient tous des articles favorables à l’armée et défavorables aux musulmans et à l’opposition, les personnes le plus souvent visées étant Mme Suu Kyi, l’ancien prisonnier politique et opposant Min Ko Naing, le mouvement étudiant de la génération 88 et d’autres militants de premier plan. Pour attirer les lecteurs, les sites recourent souvent à la pornographie, aux ragots perfides et aux rumeurs salaces. Myanmarexpress.net est l’un des sites les plus populaires du pays. Lancé en 2011, à peu près au moment où Mme Suu Kyi s’est vu accorder la liberté, il est enregistré à Moscou et a généré plus de 22 millions de visites.
Le fait qu’un grand nombre de militaires reçoivent une formation poussée en informatique tendrait à confirmer que c’est l’armée qui se trouve derrière ces sites. Dans “La Russie, le Myanmar et les technologies nucléaires”, un article publié en 2011 dans la revue Iadernyi Kloub [club nucléaire], Anton Khlopkov et Dmitri Konoukhov expliquent que, depuis 2001, le ministère de la Science et de la Technologie du Myanmar envoie chaque année 500 personnes étudier dans les universités russes. Pendant l’année universitaire 2010-2011, la Birmanie a été le pays qui a envoyé le plus d’étudiants à l’Institut moscovite des matériaux, une école d’ingénierie très cotée. L’immense majorité des personnes envoyées étudier en Russie sont des officiers, essentiellement des lieutenants et des capitaines, ajoute le texte.
Piratage. Sai Thein Win est un ancien major de l’armée birmane. Il a quitté le pays après avoir révélé des informations sur les ambitions nucléaires du gouvernement et vit désormais en Norvège. Il nous confie que sa messagerie a été piratée en 2011 et que des informations personnelles ont été postées sur Myanmarexpress.net. Ses compétences en informatique lui ont permis d’identifier le pirate, un officier formé en Russie.
Il est clair pour Sai Thein Win que des blogs comme Myanmar Express et Opposite Eyes ont des liens avec les organisations officielles. “Beaucoup de ces sites ont accès à des photographies et des informations qui sont réservées à la police et à l’armée.” Et d’ajouter : “Ces blogs sont créés pour dresser l’opinion publique contre des gens comme Aung San Suu Kyi et des organisations comme le mouvement étudiant de la Génération 88.”
Ainsi, en juin 2012, une Arakanaise a été violée et assassinée, prétendument par des musulmans, à Kyauk Ni Maw, un village isolé dans l’ouest du pays. D’innombrables sites et blogs “non officiels” ont rapporté l’événement bien avant qu’il ne soit annoncé par les autorités. Plusieurs d’entre eux ont même diffusé une photo de la victime, même si aucun n’en donnait la source. Nul ne peut dire avec certitude d’où elle venait.
Ce qui est sûr, en revanche, c’est que moins d’une semaine après, 10 religieux musulmans ont été massacrés à Taungup, dans l’Etat d’Arakan, par une foule assoiffée de vengeance. L’incident a provoqué des émeutes entre musulmans et bouddhistes dans tout l’Etat d’Arakan. Parallèlement à ces événements les médias sociaux ont attisé la haine et la méfiance. Le moine bouddhiste Wira Thu est l’un de ceux qui se livrent à une propagande antimusulmans. Emprisonné en 2003 pour incitation au conflit religieux et amnistié en 2012, c’est lui qui a créé le mouvement 969.
Pour des blogueurs comme Nay Phone Latt et Kyaw Soe ainsi que pour Min Ko Naing, le fait que le gouvernement n’ait pas réagi à la vague de violences qui a ravagé Meiktila et 14 autres villes est le signe qu’il était complice. Kyaw Soe se rappelle les entretiens qu’il a menés dans la communauté musulmane de Meiktila peu après les émeutes : “Des témoins m’ont déclaré que les membres des bandes en colère avaient tous le même type de couteau, qui faisait dans les 60 centimètres de long. Ils m’ont dit aussi que les hommes échangeaient des informations avec des sifflets, ils étaient donc manifestement bien entraînés.” Ce qui l’afflige le plus, c’est que, quand ils ne sont pas manipulés par des organisations mystérieuses et leurs sites sociaux, bouddhistes et musulmans birmans vivent en bonne intelligence. D’ailleurs, nombre de musulmans ont trouvé refuge chez leurs voisins bouddhistes pendant les événements de Meiktila.
Manœuvres. Provoquer l’instabilité et entretenir une atmosphère de méfiance et de peur chez certains groupes ethniques et religieux, c’est là une tactique à laquelle les gouvernements du monde entier ont recours depuis longtemps pour garder le contrôle d’un pays. On attise l’intolérance et la haine entre ethnies de sorte que, quand des émeutes éclatent, l’armée a un prétexte tout trouvé pour intervenir et imposer sa loi.Dans un article intitulé “Le cercle vicieux du nationalisme extrémiste”, publié le 8 avril dans The Irrawaddy Magazine, Igor Blazevic, un militant des droits de l’homme qui réside en République tchèque, évoque les leçons qu’il a tirées des événements de Bosnie, son pays d’origine, au début des années 1990 : “Le nettoyage ethnique n’intervient pas à la suite de violences spontanées. Il est habituellement l’œuvre de groupes paramilitaires bien entraînés et organisés par des éléments des forces de sécurité. Ces groupes ont pour mission de faire le sale travail sans montrer de lien direct avec les forces régulières, les fonctionnaires et leurs commanditaires politiques.”
Les massacres qui ont eu lieu récemment à Meiktila ne sont pas les premiers de ce genre en Birmanie. Que ces atrocités aient été commises par l’armée ou par des groupes paramilitaires, le fait est que le gouvernement n’a rien tenté pour retrouver les responsables et les traduire en justice.
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