L’annonce de l’existence probable d’une planète inconnue dans notre système solaire a de quoi surprendre. Décryptage avec l’expert Alessandro Morbidelli.
La nouvelle est tombée mercredi soir. Le système solaire compterait une neuvième planète, de belle taille, mais totalement inconnue, une géante de glace, petite sœur de Neptune exilée aux confins du système solaire, au-delà même de l’orbite de la lointaine Pluton. L’expert en formation planétaire Alessandro Morbidelli, directeur de recherche au CNRS auprès de l’observatoire de la Côte d’Azur à Nice, en charge du programme national de planétologie, décrypte, pour Le Point.fr, cette découverte fascinante dont il a été l’un des premiers témoins.
Le Point.fr : Comment ces chercheurs sont-ils arrivés à la conclusion qu’il existait une neuvième planète aux confins du système solaire ?
Alessandro Morbidelli : C’est un travail déductif qui démarre de la constatation que les six objets les plus lointains connus du système solaire partagent à peu près la même orbite bien singulière. Or, il est très improbable que cela soit dû au hasard. Cette probabilité est d’ailleurs estimée par les auteurs à environ 0,007 %. Bien plus faible que vos chances de gagner à la roulette ! Normalement, les objets célestes ont chacun une orbite différente. Si six d’entre eux ont la même, c’est donc qu’il y a quelque chose qui en est responsable, et la première chose à laquelle on pense, c’est à la présence d’une planète. Mais encore faut-il montrer qu’une planète peut faire ça ! C’est ce qu’ont fait Mike Brown et Konstantin Batygin. Ils sont partis de modèles simples pour aller vers des modèles de plus en plus sophistiqués qui leur ont permis de contraindre l’orbite et la masse de la planète pouvant être à l’origine de l’anomalie observée. Et pour laquelle nous n’avons, aujourd’hui, pas de meilleures explications.
Quel a été votre sentiment lorsque vous avez découvert ces travaux dont vous avez été chargé de valider la publication dans la revue scientifique Astrophysical Journal ?
Je connaissais les auteurs : un binôme formidable composé d’un très bon théoricien de la dynamique planétaire, Konstantin Batygin, et du meilleur observateur du système solaire externe, Mike Brown. Je savais donc que l’article était sérieux. Auparavant, il y avait eu d’autres articles évoquant la présence d’une planète dans cette région du système solaire, mais les arguments avancés n’étaient jamais très solides. Ce n’était pas absurde, mais ce n’était pas non plus étayé. Cette fois, j’ai vraiment trouvé que l’anomalie observée - le fait que ces six objets soient sur la même orbite - était statistiquement significative et que leur explication par la présence de cette planète tenait la route. Ils sont à la fois capables de caractériser la planète et son orbite. Bien sûr, il reste toujours une incertitude, mais leurs arguments sont convaincants. De plus, la présence de ce gros corps à cet endroit n’est en réalité pas très surprenante. Les scénarios de formation du système solaire prévoient que certaines planètes ont pu être éjectées par les autres au moment de leur formation. Cette hypothétique neuvième planète étant la plus petite des géantes du système solaire, cela colle bien.

Mike Brown et Konstantin Batygin de l’Institut de technologie de Californie (Caltech) ont fait cette découverte par le biais de modèles mathématiques et de simulations numériques. © Lance Hayashida/Caltech
Mais comment a-t-on pu passer à côté de cette planète jusqu ’à aujourd ’hui ?
Cela s’explique très bien. D’abord, elle a une orbite très excentrique : elle tourne autour du Soleil en 10 000 à 20 000 ans, à une distance comprise entre 200 et 1 000 unités astronomiques (soit 200 à 1 000 fois la distance qui sépare la Terre du Soleil, NDLR). C’est énorme ! Imaginez que Neptune (qui est à ce jour la planète connue la plus lointaine, NDLR) est à seulement 30 unités astronomiques. Cette neuvième planète voyagerait donc entre 7 et 35 fois la distance Soleil-Neptune ! En outre, les lois de Kepler (qui décrivent les propriétés du mouvement des planètes autour du Soleil, NDLR) disent que, statistiquement, la planète passe plus de temps loin du Soleil que près du Soleil. Autrement dit, pour elle, plus de temps à une distance de 1 000 unités astronomiques. Ajoutez à cela que la planète ne fait qu’une moitié de Neptune (en masse), qu’elle reçoit très peu de lumière, qu’elle se déplace très lentement, et vous comprendrez pourquoi nous pouvons déjà l’avoir sur nos plaques photographiques sans jamais l’avoir vue.
À présent qu ’il y a de bonnes raisons de penser qu ’elle existe, a-t-on des chances de pouvoir l ’observer ?
Le problème principal est que, si les chercheurs ont bien caractérisé son orbite, nous n’avons aucun moyen de savoir où elle peut bien se trouver sur celle-ci. Pour avoir une chance raisonnable de la trouver, il va donc falloir scruter une énorme portion du ciel. Or, les télescopes actuels, comme le VLT (Very Large Telescop), sont puissants, mais ont un champ de vision très restreint. Cela prendrait un temps fou... Un peu comme chercher une clef sur un parking d’hypermarché avec une loupe, 2 centimètres carrés par 2 centimètres carrés. Et encore, il faudrait disposer d’une séquence de plusieurs images pour pouvoir repérer son déplacement. En revanche, avec son très large champ, le télescope LSST (Large Synoptic Survey Telescope), en voie de construction au Chili, et qui doit rentrer en fonction en 2023, sera l’instrument idéal pour rechercher cette neuvième planète. L’horizon pour sa découverte est donc à 10-15 ans.
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