Malgré son ampleur, cet énième scandale agroalimentaire n’a pas surpris Wu Heng, étudiant en histoire et géographie de l’université de Fudan, à Shanghaï. La police chinoise venait pourtant d’annoncer, jeudi 2 mai, avoir arrêté 904 personnes au cours d’une nouvelle campagne de répression contre une série de trafics qui justifient la terrible réputation de l’industrie agroalimentaire du pays.
L’opération, entamée le 25 janvier, a visé, pendant trois mois, des fraudes en tout genre sur la viande. Plus de 20 000 tonnes de produits illégaux ont été saisies dans 382 affaires différentes.

L’opinion découvre avec résignation un nouveau trafic particulièrement nauséabond. A Wuxi, au nord de Shanghaï, 63 suspects ont été arrêtés pour avoir vendu de la viande de rat et de renard présentée comme du mouton, après ajout de gélatines et de nitrates. En quatre ans, le gang mené par un certain M. Wei aurait ainsi écoulé, dans la province du Jiangsu et à Shanghaï, pour plus de 10 millions de yuans (1,2 million d’euros) de faux mouton, consommé notamment dans les restaurants de fondue chinoise.
Pour Wu Heng, il n’y a là rien de nouveau. Au mois de juin 2011, le jeune homme a lancé un site Internet répertoriant les multiples fraudes dans le secteur agroalimentaire chinois au cours de ces dernières années. Il venait d’apprendre que des industriels peu scrupuleux vendaient du porc présenté comme du boeuf, après ajout d’additifs chimiques. Il déplorait le manque de sources d’information fiables et indépendantes sur le sujet.
Wu Heng, jeune diplômé devenu chroniqueur de sujets alimentaires et environnementaux, fait remarquer que l’existence du faux mouton est connue depuis sept ans. En 2006, en effet, la presse locale prouvait déjà qu’à Fuzhou (sud-est), des gargotes de rue faisaient passer des brochettes de viande de chats errants, acquis à la fourrière pour 5 yuans (60 centimes d’euros), pour du mouton, après y avoir ajouté du formol. "Je savais que cela arriverait de nouveau et demain, cela se produira probablement encore. En deux ans, je n’ai pas vu grand-chose changer", commentait-il ce samedi matin.
"CERTAINS INDUSTRIELS CHINOIS NE CONNAISSENT PAS LA CULPABILITÉ"
Le ministère chinois de l’intérieur juge, lui, que les arrestations ont porté "un sérieux coup à l’arrogance des criminels". Ces actions temporaires se répètent chaque année, au lendemain de révélations sur les pratiques mafieuses qui émaillent la chaîne alimentaire. Elles constituent en réalité un demi-aveu d’incapacité à obtenir des résultats dans la continuité. Le 14 décembre 2011, le journal d’Etat Global Times publiait un article titré "L’huile de caniveau sous contrôle", à l’issue d’une campagne contre le recyclage des huiles de friture usagées dans les restaurants bon marché.
Début 2013, c’est la viande qui était ciblée. L’opinion publique s’est d’abord inquiétée de voir dériver plus de 15 000 carcasses de porcs flottant sur le fleuve Huangpu, qui traverse Shanghaï, début mars. Puis les ventes de volaille ont subi un choc sévère avec la multiplication des contaminations humaines dues au virus H7N9, le mois suivant. "Certains clients me disent qu’ils ne se risquent plus à manger de la viande", constate Chen Bo, un jeune vendeur de légumes et de porc sur un petit marché du quartier de Jing’an, dans le centre de Shanghaï. "C’est un problème récurrent parce que certains industriels sont prêts à faire de l’argent de manière inconsciente", ajoute-t-il.
A quelques mètres, son concurrent, M. Zhou, voit les habitués du quartier poser des questions différentes au fil des scandales. "Le mois dernier, ils s’inquiétaient de savoir si mon porc venait de Jiaxing", dit-il, en référence à la ville jouxtant la municipalité de Shanghaï d’où, selon les autorités, provenait une partie des porcs retrouvés dans le fleuve. A cette occasion, les Shanghaïens apprenaient qu’une mafia du porc récupérait, jusqu’en 2012, les carcasses de cochons morts de maladie, pour les écouler dans les alentours de la ville la plus peuplée du pays, en les vendant à prix cassé comme de la viande comestible.
Ces affaires ont des conséquences politiques. Avec le prix des logements et les écarts de richesse, la sécurité alimentaire est l’un des principaux sujets de préoccupation des Chinois, si l’on en croit les quelques sondages réalisés par la presse officielle. Li Keqiang, le nouveau premier ministre, a promis, dès sa première conférence de presse, le 17 mars, de "fermement réprimer" le trafic de produits alimentaires et de "faire payer aux producteurs sans scrupule le prix fort".
Première concrétisation de cette promesse, en mars, le rang hiérarchique de l’agence chargée de superviser les secteurs de l’alimentaire et du médicament a été relevé. Jusqu’alors subordonnée au ministère de la santé, elle est devenue un ministère à part entière.
Le coordinateur du site d’information sur les risques de l’agroalimentaire, Wu Heng, pense que la dispersion des responsabilités au sein de l’administration chinoise est l’un des problèmes qui peuvent être réglés au plus vite. "Il y a encore trop de départements distincts et la législation n’est pas très aboutie", juge-t-il. Alors que le code pénal chinois se borne à interdire la vente d’aliments dangereux, la cour suprême – la plus haute juridiction – a précisé, vendredi, qu’elle poursuivrait comme des "crimes" la vente d’aliments chargés de produits chimiques et la revente d’animaux morts de maladie.
A la tête d’une équipe d’une vingtaine de bénévoles, le jeune Wu Heng pense toutefois qu’une question de moralité plus profonde se pose. "Certains industriels, dit-il, ne connaissent tout simplement pas le sentiment de culpabilité."
Par Harold Thibault
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