Un convoi humanitaire russe en direction de l’Ukraine transporterait, selon Moscou, des dizaines de tonnes d’aide. Mais il n’a toujours pas pu pénétrer dans le pays. Kiev craint une opération militaire déguisée, et a donc envoyé ses propres camions d’aide dans la région du Donbass, où les combats font rage. Annie Daubenton est journaliste, spécialiste de l’Ukraine et auteure de l’ouvrage Ukraine, les métamorphoses de l’indépendance, aux éditions Buchet/Chastel, sorti en 2009. Elle répond aux questions de RFI.
RFI : Depuis plusieurs jours, un convoi de quelque 280 camions russes, apparemment chargés d’aides humanitaires, roule le long de la frontière. Une progression très lente. On a l’impression d’un convoi qui tourne en rond, qui change de direction. Pourquoi ?
Annie Daubenton : Bien sûr, il tourne en rond, bien sûr, il change de route, parce qu’il cherche la meilleure direction pour pouvoir pénétrer en territoire contrôlé par les séparatistes. Or, c’est vrai que les autorités ukrainiennes ne lui facilitent pas la tâche. Donc, on a un convoi qui a été banalisé, si je puis dire, c’est-à-dire que les camions ont été repeints en blanc. Mais les conducteurs sont des militaires. Il y a deux conducteurs par camion. Ça veut dire qu’il y aurait environ 500 hommes, des militaires qui pénètreraient dans le territoire ukrainien. On comprend tout à fait ce que ça veut dire.
Il y a des inspections qui vont commencer, on a découvert des camions vides. Ce convoi ne peut-il pas tout simplement être un convoi humanitaire ?
Peut-être qu’il y a un petit peu d’aide, mais en tout cas, les photos qui nous sont données montrent des camions à moitié vides. Tout cela ne donne pas confiance. L’autre question qui se pose, c’est que c’est une stratégie qui a été utilisée par la Russie déjà en plusieurs points de ce qu’elle considère comme sa zone d’influence : en Aprasie, en Transnistrie, dans le Caucase… Donc c’est une manœuvre qui est usuelle. Quel est son but ? D’une certaine manière, la Russie est en train, indirectement, de l’atteindre, c’est-à-dire de mettre en émoi les forces occidentales, en disant : « Regardez, il y a des populations qui sont dans un état - ce qui est vrai - de très grande difficulté. Il faut les aider. Et donc, comment peut-on nous soupçonner de ne pas vouloir les aider ? » Effectivement, la Croix-Rouge, les instances internationales, tout le monde se met autour de la table pour essayer de trouver une solution à ce qui est un leurre. Ca s’appelle, en terme russe, un « convoi Potemkine ».
Vladimir Poutine semble, pour la première fois, hésiter. Est-ce que c’est votre sentiment ?
En Crimée, il n’a pas douté, les choses étaient préparées. Il a choisi le moment le plus opportun pour aller vite et droit au but et il a pris l’Occident de court. Depuis, il cherche et il doute de plus en plus. Il doute pour plusieurs raisons : d’abord sur le terrain, les choses se passent mal. Les séparatistes sont en très grande difficulté. Le chef des séparatistes de Lougansk a été blessé et a démissionné. Le chef des séparatistes de Donetsk a démissionné, il vient d’être appelé à Moscou. C’est, d’une certaine manière, la « débandade » de ce côté-là.
L’autre point qui est important, si on essaie d’analyser cette hésitation sans entrer trop dans la conjecture, c’est qu’il est pris entre aller jusqu’au bout et l’idée de se sortir de cette situation. Il y a des forces extrêmes au Kremlin, et il en est sans doute très proche, qui le poussent à aller jusqu’au bout. Et puis, il y a ce qui s’est passé avec les sanctions qui frappent terriblement l’économie russe, et qui frappent les classes moyennes qui étaient vraiment les premières bénéficiaires de ce qui s’est passé avec le triple mandat de Poutine depuis 2000. Elles ont échangé leur liberté contre un certain confort et un certain bien-être. Et ces classes-là, véritablement, sont en train de donner des signes d’inquiétude, c’est le moins que l’on puisse dire.
Poutine a déclaré jeudi 14 août que son pays ne pouvait pas rester coupé du reste du monde. Peut-il se passer des échanges commerciaux avec les Occidentaux, Américains, Européens, pour privilégier uniquement l’Asie ?
Tout est envisageable, mais c’est très difficile dans un pays qui a été habitué, ces dernières années, à une certaine ouverture sur les marchandises occidentales, sur un bien-être occidental, sur des technologies, sur un mode de vie, sur des voyages… Je parle des populations les plus aisées, je ne parle pas, bien sûr, des plus démunies. Donc, c’est très difficile, du jour au lendemain, de faire une sorte d’autarcie et de vivre sur quelque chose qui en plus n’a pas été développé. C’est-à-dire que la Russie paye son non-investissement dans sa propre politique intérieure depuis des années et se retrouve à importer des pommes et des bananes…
C’est une situation assez aberrante…
C’est d’une absurdité totale. Se retourner vers l’Asie et les BRICS, bien sûr, c’est la solution de secours. Les sanctions ne frappent qu’à partir du 1er août. Donc, on ne peut en connaître ni l’étendue, ni les conséquences totales. La reconversion économique de Vladimir Poutine, on ne peut pas encore savoir dans quelle mesure, peut éponger ce désastre à venir.
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