Claude Guéant est dans la tourmente judiciaire. Selon Le Canard enchaîné du mardi 30 avril, l’ancien ministre de l’intérieur, fidèle d’entre les fidèles de Nicolas Sarkozy, a vu son domicile perquisitionné à deux reprises, dans le cadre de deux affaires, celle de l’arbitrage Tapie-Crédit lyonnais et celle d’éventuels financements libyens de la campagne 2007 de l’ex-chef de l’Etat.

Or, révèle l’hebdomadaire satirique, lors de ces deux procédures, les enquêteurs ont découvert deux éléments troublants : d’une part, un versement sur son compte de 500 000 euros, d’autre part des traces de paiement de factures en liquide pour des montants importants. L’ex-ministre, qui a multiplié les interviews (RMC, Canal+, RTL, Europe 1, LCI et France 2 dans la seule journée de mardi), a dû s’expliquer sur ces deux points.
Des tableaux vendus 500 000 euros ?
Pour les 500 000 euros, il évoque la revente, en 2008, de deux "tableaux de marine du XVIIe siècle" à un "avocat étranger", et assure posséder les documents qui prouvent cette vente. C’est cette version qu’il a répétée, mardi sur RMC : "Cet argent n’a strictement rien à voir avec un financement libyen. Je répète que je n’ai jamais vu trace de financement libyen soit vers une campagne électorale, soit vers quiconque en France et je n’en ai même jamais entendu parler. Cet argent tient d’une transaction banale d’œuvre d’art. C’est juste le produit de cette vente. J’ai vendu ces tableaux à un avocat étranger. J’ai tous les justificatifs. Tout cela est une affaire privée et banale."
Questionné, sur Europe 1, sur la cote de deux œuvres d’art acquises il y a une vingtaine d’années et prétendument vendues pour 500 000 euros , M. Guéant assure : "Vous pouvez regarder Internet, c’est à peu près ça." Sur le site de vente d’art Sothebys, le tableau le plus cher du peintre flamand Andries van Eertvelest a été vendu 168 000 euros. Aucune de ses œuvres ne semble avoir dépassé les 200 000 euros, la plupart étant côtées autour de 40 000 euros. Mais une vente privée est différente d’une vente publique, et peut s’être conclue pour un montant plus élevé.
Sur France 2 mardi soir, Claude Guéant a continué à nier, assurant, contrairement à ce qu’écrit Le Canard enchaîné, connaître le nom du peintre – mais sans le nommer. Questionné sur l’éventualité que cette vente de tableau soit une manière de blanchir de l’argent (une technique classique, selon une source policière citée par Le Canard enchaîné), M. Guéant a assuré : "Je n’ai jamais blanchi d’argent, je ne sais pas comment on fait."
Jusqu’à quand a circulé de l’argent liquide au ministère ?
Questionné sur les sommes en liquide, M. Guéant assure qu’il s’agissait de primes versées aux collaborateurs ministériels. "Les factures en liquide portent sur des montants modestes. Cela vient de primes payées en liquide. Elles n’ont pas été déclarées car ce n’était pas l’usage. A posteriori, on se dit que c’était anormal. D’ailleurs, ça a été modifié", a-t-il détaillé, interrogé par RMC. Notons que par "montants modestes", M. Guéant parle de 20 000 à 25 000 euros pour une "dizaine de factures".
Ce second point pose quelque peu question. M. Guéant a évoqué dans la soirée, au micro d’Europe 1, un système "indemnitaire" en place selon lui depuis des années, et qui aurait perduré. "Le ministère avait une situation spécifique, un système indemnitaire pour les membres du cabinet et des milliers de fonctionnaires", s’est-il justifié. Selon lui, "Nicolas Sarkozy a mis un terme à ce dispositif, complètement supprimé en 2006. Je touchais de l’argent en liquide."
Une explication qu’il avait déjà donnée au Monde, auquel il a expliqué que certains ministères avaient obtenu une forme de "dérogation", et continué de verser à leurs collaborateurs des compléments en liquide à leurs traitements. "Quand je suis arrivé au ministère de l’intérieur, il y avait plus de 400 personnes concernées par ces primes dont le régime fiscal n’était pas défini. J’ai d’ailleurs remis le système à plat pour mettre fin à ces pratiques en 2006", assure l’ex-ministre au Monde (édition abonnés).
Invité mardi soir de France 2, Claude Guéant a évoqué un "système" de primes en liquide qui aurait bénéficié "à plusieurs milliers de fonctionnaires du ministère de l’intérieur" et auquel il n’aurait été mis fin qu’en 2006. Le "système" évoqué par l’ancien ministre de l’intérieur n’a pas d’existence connue. En fait, il évoque deux choses, mais aucune des deux ne semble totalement correspondre à ce qu’il décrit :
1/ Les primes au mérite
La première est celle des "primes au mérite". Longtemps, en effet, certains policiers touchaient une gratification en liquide, une forme de "prime au mérite", souvent modeste (quelques centaines d’euros), en récompense de la résolution de certaines affaires par exemple. Mais ces primes, souvent prises sur les budgets dévolus à la rémunération des "indics", concernaient surtout les policiers en activité et non les membres des cabinets ministériels.
De plus, Nicolas Sarkozy a mis un terme à cette pratique à la fin de l’année 2003 et non pas en 2006. Il a alors mis en place une enveloppe de 5 millions d’euros destinée à des primes au mérite, versées sous surveillance des syndicats. Cette prime, officialisée en 2004, était alors déclarée sur les fiches de paye, et non payée en liquide.
Un policier interrogé en 2004 par LCI.fr expliquait ainsi : "Ce nouveau système de primes est budgété dans le projet de loi de finances 2004, donc totalement transparent. On connaîtra les sommes exactes dévolues à telle personne ou tel service, il n’y aura plus d’évaporation systématique des enveloppes en liquide destinées aux gratifications dans les affaires d’investigation."
Claude Guéant touchait-il des "primes au mérite", en principe destinées à rémunérer les policiers, avec l’assentiment des syndicats ? Des primes en liquide continuaient-elles d’être données jusqu’en 2006 ?
2/ La piste des "fonds spéciaux"
La seconde hypothèse est celle des "fonds spéciaux". En principe, les collaborateurs des cabinets ministériels ne sont plus rémunérés en liquide depuis longtemps. Précisément depuis que Lionel Jospin a mis fin à cette pratique, en 2001. Un an avant l’arrivée de M. Guéant place Beauvau.
Jusqu’à cette date existaient en effet ce qu’on appelait les "fonds spéciaux" : des enveloppes, en liquide, qui circulaient dans les ministères. Elles servaient notamment aux services secrets, mais avaient une autre fonction : les ministres piochaient dans ces fonds pour rémunérer leurs collaborateurs en sus de leur traitement déclaré.
Il a fallu qu’éclate, en 2001, le scandale de billets d’avion payés en liquide par Jacques Chirac pour que cette pratique, qui existait depuis 1946, soit mise au jour. En novembre 2001, Lionel Jospin, alors premier ministre, annonce une réforme de ce système. Il demande à François Longerot, premier président de la Cour des comptes, un rapport sur le sujet. La réforme est faite via un simple amendement à la loi de finances pour 2002. Elle prévoit la fin des fonds spéciaux pour les collaborateurs de ministres dès le 1er janvier 2002. Ces derniers sont désormais rémunérés en primes inscrites au budget de chaque ministère. Officiellement, du moins, car les primes en liquide continueront d’être versées jusqu’en juin 2002.
La gauche battue aux élections présidentielle et législatives, c’est la majorité UMP qui a fait voter, lors du collectif budgétaire de l’été 2002, une conséquente augmentation de la rémunération des ministres de des membres de cabinet. Les ministres ont vu leur rémunération augmenter d’environ 70 %, avec effet rétroactif au 8 mai, date de la nomination du gouvernement, pour compenser la fin des fonds spéciaux.
La déclaration de M. Guéant pourrait donc laisser entendre que, durant cinq ans après le vote de la loi sur les fonds spéciaux, des ministères continuaient de puiser dans ceux destinés au renseignement intérieur pour y prélever, en toute impunité, des primes. Mais les montants de ces fonds ont diminué, de 60 millions à 26 millions d’euros entre 2001 et 2002. En outre il évoque un système limité au ministère de l’intérieur et qui aurait bénéficié non au cabinet mais à "plusieurs milliers de fonctionnaires".
D’anciens membres de cabinets ministériels ont confirmé au Monde que ces pratiques n’avaient plus cours après 2002, du moins dans d’autres ministères. Roselyne Bachelot, qui fut ministre à la même époque, était elle aussi sceptique, mardi, sur cette version, et jugeait que "soit M. Guéant est un menteur, soit un voleur !" Et Daniel Vaillant, ancien ministre de l’intérieur, a démenti tout "système" de ce type, et confirmé la fin des fonds spéciaux après 2002.
Sur France 2, Claude Guéant a une nouvelle fois nié catégoriquement tout lien avec la Libye, assurant "de la façon la plus catégorique : cela n’a rien à voir avec un financement libyen". "Jamais je n’ai vu l’argent libyen circuler, ni pour la campagne ni pour quiconque, et je n’en ai même jamais entendu parler, cela doit être clair."
Samuel Laurent, Simon
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