La France a vu le mariage gay faire l’objet d’un débat passionné et virulent. Au point que des membres de l’Eglise catholique se sont parfois retrouvés en première ligne face aux CRS, relate le chroniqueur britannique.

Un prêtre tente de parler avec les forces de l’ordre lors de l’arrestation d’un manifestant opposé au mariage pour tous, à Paris, le 19 avril 2013 - AFP
En Grande-Bretagne la question du mariage homosexuel n’a pas soulevé les passions [le projet de loi est en cours d’adoption]. Ses opposants semblent surtout inspirés par l’exaspération face au sens regrettable des priorités de notre élite politique ; l’opinion n’y est pas franchement hostile, mais elle n’en voit pas l’utilité – si ce n’est qu’elle a permis à David Cameron d’avoir l’air un peu moins méchant. Aussi le mariage gay s’est-il résumé à un débat assommant à la Chambre des communes et à l’outing cocasse d’un cardinal qui se disait jusqu’alors “homosceptique” [fin février, Keith O’Brien a démissionné de son archevêché après avoir reconnu “des comportements indécents” envers trois jeunes prêtres]. Tout cela s’est fait avec un flegme tout britannique.
Un débat "incroyablement français"
On ne peut pas en dire autant de la France, où le débat a pris un tour incroyablement français. On ne peut que s’étonner de constater que, dans un pays qui s’enorgueillit de sa tradition laïque et de son libéralisme politique, seule une petite majorité de Français soutienne le projet de légalisation du mariage homosexuel qui sera soumis le 23 avril à l’Assemblée nationale – et que l’opinion soit scindée en deux blocs concernant un volet parallèle de la loi qui propose d’autoriser les couples de même sexe à adopter des enfants. L’ampleur de la mobilisation contre ce texte a été encore plus spectaculaire : le plus grand rassemblement [celui du 24 mars] a attiré au moins 340 000 personnes à Paris, dans une manifestation de volonté populaire que l’on associe généralement plus volontiers à la gauche. Ce phénomène n’a trouvé qu’un écho très limité dans les médias dominants européens et américains, qui semblent aussi avoir fait totalement l’impasse sur la violence de la réaction des pouvoirs publics.
Une vidéo publiée le 19 avril [sur YouTube] montrait une échauffourée entre les forces de l’ordre et des manifestants catholiques qui refusaient de se disperser. Vers la 4e minute du film, un jeune homme est plaqué au sol. Un curé en soutane vient à son secours et s’agrippe à lui. Les CRS séparent les deux hommes et traînent le prêtre vers leur panier à salade. Vers 4’ 41”, on voit clairement l’un des CRS lui décocher un coup de pied en pleine tête. Le geste ne dure qu’une fraction de seconde, mais je suis certain que la victime a dû le sentir passer.
Malheureusement, ce genre de scène n’a rien d’exceptionnel. Nous racontions [le 25 mars] dans nos colonnes que la police repoussait la foule par des jets de gaz lacrymogènes, et j’ai reçu plusieurs témoignages isolés faisant état d’enfants matraqués et de manifestants tabassés. La plupart des récits de ce genre n’apparaissent que sur des blogs catholiques et des sites ultraconservateurs – mais ils sont là, en rouge sang, à la disposition de tous.
L’histoire du prêtre est compliquée par le fait qu’il appartient à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, société religieuse très controversée dont le statut au sein de l’Eglise catholique est incertain et que l’on soupçonne fortement d’antisémitisme. Cela ne devrait naturellement rien retirer aux droits élémentaires du curé, mais cette association fait de lui un porte-étendard bien embarrassant pour l’opposition au mariage homosexuel. Cela étant, il ne définit pas pour autant le mouvement. Le collectif officiel de la campagne, “la Manif pour tous” (MPT), s’est bien gardé de laisser les prêtres prendre la tête du mouvement et a présenté une image résolument laïque et multiculturelle. Il compte des militants musulmans et son égérie est une chroniqueuse déjantée qui se fait appeler Frigide Barjot. Voilà ce que j’appelle une vraie “coalition arc-en-ciel”.
Un catholicisme français influent
Barjot estime que, au lieu d’essayer de redéfinir l’institution du mariage et de créer un nouveau principe d’égalité, la gauche devrait plutôt s’employer à mettre un terme aux discriminations homophobes, qui constituent des infractions à la législation existante et sont contraires à la morale populaire. Par cet argument, elle entre dans le cœur du débat sur le mariage homosexuel, que les politiciens britanniques ont singulièrement escamoté. La véritable question n’est pas de savoir si l’on aime les homosexuels ou non, mais si on peut laisser à l’Etat le pouvoir de redéfinir les règles du mariage et de la parentalité, et celui de remodeler la société par le biais législatif. En ce sens, l’argument du collectif MPT est de nature libertaire. Il conteste à l’Etat le rôle d’agent de changement social, et le fait que la force publique recoure à la violence contre un curé lui donne sans aucun doute raison lorsqu’il affirme que la loi sur le mariage gay est un premier pas vers un nouveau type d’autoritarisme libéral. De fait, le pouvoir d’Etat est par définition toujours violent ; il repose sur l’usage de la contrainte pour faire respecter la volonté politique. Si vous ne me croyez pas, essayez de ne pas payer votre contribution audiovisuelle.
Pourquoi la résistance au mariage homosexuel a-t-elle été plus intense et plus intelligente en France qu’en Grande-Bretagne ? Il faut peut-être y voir un effet de l’influence rémanente du catholicisme en France ou bien de la vitesse relative de dégradation de la structure familiale au Royaume-Uni. Mais, d’après moi, cela tient essentiellement à la passion des Français pour les idées. En Grande-Bretagne, le débat sur le mariage gay a très vite dégénéré, entre un camp qui débitait des anecdotes sur l’amour et la vie en commun, et l’autre qui se revendiquait sans vergogne d’une bigoterie à peine dissimulée. La France débat en revanche sérieusement de la révolution sociale et juridique que représente le mariage gay. La loi sera sans aucun doute votée, mais du moins aura-t-elle été contestée dans l’émotion et la réflexion.
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