Trois ans, quasiment jour pour jour, après son élection à la tête de l’Eglise, quel bilan peut-on dresser des trois premières années de pontificat du jésuite argentin Jorge Bergoglio, devenu le pape François ? Progressiste, conservateur ?
Ces critères de jugement pertinents en politique ne sont pas appropriés dans la sphère religieuse. Mieux vaut s’interroger à l’aune du réformisme du pasteur d’une communauté d’1,2 milliards de catholiques qui, selon le Pew Research Center, pourrait être rattrapée en nombre de fidèles par la communauté musulmane à l’horizon 2050.

Paradoxalement pourtant c’est la « politique étrangère » du plus petit Etat du monde qui retient l’attention du public. Les médias ont « sur-couverts » les nombreux voyages symboliques de ce pape charismatique, de sa visite à Lampedusa, destination des émigrés africains, dès son élection, à la messe célébrée en janvier dernier à Juarez, ville frontière séparant le Mexique des Etats-Unis. Et ils ont salué la réussite diplomatique de cet ancien archevêque de Buenos Aires dans la reprise des discussions entre Cuba et les Etats-Unis puis le rétablissement des relations entre les deux pays avant le voyage de Barack Obama à Cuba, les 21 mars prochain.
Une diplomatie qui connaît des limites
Cette diplomatie du Vatican a cependant ses limites. Le Saint-Père a dû le reconnaître en septembre 2013, lors des bombardements par Bachar Al Assad de sa propre population avec des armes chimiques. Son appel à la prière et à la paix des différentes communautés s’est révélé vain. Et avec l’irruption de l’Etat islamique dans le conflit, le pape François a dû justifier a posteriori le recours aux armes.
Mêmes limites dans sa condamnation du « mur » que Donald Trump promet d’ériger sur la frontière mexicaine (« il faut construire des ponts et non des murs »). Là encore, il n’est pas sûr que son message ait porté. Tout comme sa critique du capitalisme, en juillet 2015, en Bolivie. L’appel à une économie alternative, à rebours des intérêts des « grandes corporations », et donnant la primauté à l’humain et aux « 3 T » (Travail, Toit, Terre) plait aux paysans boliviens mais est vécue comme une intrusion par des pays anglo-saxons de tradition protestante, comme les Etats-Unis.

Cette faiblesse intrinsèque se double d’une naïveté quand le chef de l’Eglise catholique prêche un rapprochement avec l’Eglise orthodoxe. Son œcuménisme louable. Sauf que Cyrille 1er, patriarche de Moscou, un des chefs de cette Eglise rencontré à Cuba, en février dernier, est instrumentalisé par Poutine dans la stratégie expansionniste de la nouvelle Russie en Syrie. Symétriquement, l’intérêt du pape François pour la Chine, terre d’évangélisation, se heurte aux réserves de Pékin.
Le Pontife rêve d’une visite …mais semble ignorer qu’elle reviendrait à donner une reconnaissance internationale aux minorités chrétiennes (3% de la population). Déjà confronté à la minorité ouïgoure musulmane, le président Xi Jinping n’est pas près à ce geste.
Ranimer les relations entre le Vatican et l’imam d’Al Azhar ou appeler à une réconciliation entre chrétiens et musulmans, comme en novembre 2015, lors de sa visite de la grande Mosquée de Bangui, est en revanche une excellente façon de nouer un dialogue pacifié entre les deux religions.
Sur le plan intérieur, des réformettes
A côté de cette politique étrangère plus symbolique que décisive, plus naïve que réaliste, que dire de la « politique intérieure » ? Le pape François a placé sa mandature sous le signe de François d’Assise, fondateur de l’ordre des franciscains qui font de la pauvreté, de l’évangélisation et du dialogue inter-religieux leur priorité.
Cette volonté de revenir aux valeurs originelles d’une Eglise tournée vers les pauvres peut contribuer à résoudre un des grands problèmes du Vatican : le divorce entre la hiérarchie catholique et le message évangélique. Mais l’adaptation des principes à la réalité de la modernité est difficile.
Dans cette entreprise qui ne peut se développer que sur le long terme, le pape doit composer avec la Curie ( les dirigeants du gouvernement central de l’Eglise) et, à chaque « synode », avec 300 prélats venus du monde entier afin d’assister le Saint Père pour des décisions collégiales, mais chacun avec sa culture propre, son conservatisme ou sa conception de l’ouverture.
Consacré à la famille, la « cellule de base » de la communauté chrétienne, le synode engagé en 2014 a accouché difficilement de quelques réformettes : ouverture aux sacrements des divorcés remariés, soutien ambivalent à l’homosexualité (« Qui suis-je pour les juger ? »), mais opposition au mariage homosexuel et rien sur le célibat des prêtres.
La reconnaissance de la place des femmes ? A l’exception d’un petit article évoquant la valorisation des femmes dans l’Eglise, rien sur leur accès au diaconat ( autorisation de prêcher, de baptiser, d’administrer des sacrements). Des détails pour le grand public focalisé sur l’autorisation de la pilule et du préservatif, tolérés dans quelques cas extrêmes. Difficile dans ses conditions de « redorer » l’image d’une Eglise qui « perd des parts de marché » dans les deux Amériques des églises pentecôtistes, épiscopaliennes, méthodistes, presbytérienne..
Pas de rayonnement de l’Eglise catholique sans une structure solide, pas de « concurrence » possible avec les autres religions monothéistes ( islam, judaïsme) , sans une hiérarchie obéissante, ductile. A la différence de l’islam, sans hiérarchie qui s’appuie essentiellement sur le dogme, l’Eglise romaine se targue d’une organisation pyramidale, administrativement et théologiquement hiérarchisée.
C’est vrai. Mais il est plus facile de réconcilier les Etats-Unis et Cuba que de gérer et réformer le plus petit état du monde sous la coupe d’une Curie ( un gouvernement) censée assister le pape dans sa mission de pasteur suprême de l’Eglise mais qui fonctionne dans les faits comme un frein ou un obstacle à l’aggiornamento.
Les corbeaux du Vatican
L’an dernier, « au Vatican les corbeaux volaient en escadrilles » : deux « brûlots », deux livres à scandale, alimentés par des fuites au plus haut niveau, ont révélé ainsi la gestion désastreuse de l’Etat du Vatican par les dicastères -les ministres- de la Curie romaine. Amateurisme et corruption, médiocrité managériale, « Vaticanleaks 2 » racontait, preuves à l’appui, le détournement du « denier de Saint-Pierre », censé soutenir les actions de l’Eglise dans le monde, à des fins privées. Détaillait une gestion surréaliste du patrimoine immobilier du Vatican à Rome permettant à certains évêques d’occuper des appartements de plusieurs centaines de mètres carrés.
Ciblait derrière cette incompétence et cette malveillance, la vieille garde de Benoit XVI regroupée derrière le cardinal Tarcisio Bertone, son ancien secrétaire d’Etat , refusant toute réforme et récusant la légitimité d’un pape mettant en cause leur pouvoir en proposant une gouvernance décentralisée, au niveau des conférences épiscopales nationales..

Depuis Vatican II, l’ouverture de l’Eglise au monde moderne et à la culture contemporaine par Jean XXIII, cet étau de Rome se desserre. La doctrine sociale s’est affinée. Le dialogue interreligieux se développe. Charismatique, proche des gens, très populaire, ambassadeur de la paix, qu’il évoque la responsabilité des pays riches dans le réchauffement de la planète ou demande une réponse équilibrée à l’urgence migratoire, le pape François est écouté.
Son magistère moral sur la communauté catholique comme sur les fidèles d’autres religions est incontestable.
Faire davantage, plus vite ? Encore faudrait-il en avoir les moyens. « Je vois l’Eglise comme un hôpital de campagne après une bataille », confiait-il au lendemain de son élection. La réforme des structures de la curie sera longue. La réconciliation de la communauté des « fidèles » avec la spiritualité ? Une entreprise de longue haleine.
Comme l’infusion de la modernité dans la hiérarchie des clercs. Quant au sermon aux politiques, attention ! La critique de Trump et de son mur a déclenché une tempête aux Etats-Unis. Dans la foulée, le candidat républicain a reçu le soutien de deux candidats concurrents catholiques, Marco Rubio et Ben Carson.
L’« homme le plus influent du monde », selon Time Magazine, doit rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
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