Le 11 février 2014, la chambre d’appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a acquitté le général Augustin Ndindiliyimana, et l’ex-commandant du Bataillon de reconnaissance, le major François-Xavier Nzuwonemeye, tandis que la peine du capitaine Innocent Sagahutu, commandant en second du Bataillon de reconnaissance, a été réduite de 20 à 15 ans.
Curieusement, le verdict concernant le principal accusé, le général Augustin Bizimungu, dont le cas a été disjoint, a été reporté sans explication. Le jugement de première instance l’avait condamné à 30 ans de prison pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Pourquoi ce report alors que l’affaire avait été jointe aux autres affaires dans le procès dit « Militaires II » ?
Plusieurs indices montrent qu’il s’agit d’une manœuvre visant à calmer le jeu à la proximité de la vingtième commémoration du génocide perpétré contre les Tutsis.
La Chambre d’appel du TPIR que préside le juge Theodor Meron a, dans les années passées acquitté ou réduit la peine des accusés condamnés en première instance pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Plusieurs décisions prises par le juge Meron en appel ont montré que la motivation des jugements était peu défendable sur le plan du droit et visaient tout simplement à neutraliser les décisions audacieuses de la chambre de première instance.
L’inconséquence des décisions prises par la chambre d’appel que préside juge Meron en appel pouvait déjà être constatée en 2009, lors de l’acquittement de Protais Zigiranyirazo. Il avait disqualifié le témoin de l’accusation BCW qui aurait suffit à éliminer la possibilité raisonnable pour que l’alibi de Zigiranyirazo soit vrai. Dans sa description du temps, Zigiranyirazo avait affirmé avoir été à Kigali au moment des massacres de Kesho (Gisenyi) et être à Kesho au moment des massacres de Kigali.
La chambre d’appel s’était tournée du côté des nièces et neveux de l’accusé en l’occurrence les fils et les filles de l’ancien président Habyarimana, pour conclure que son alibi était fondé. Or, les témoins présentés par Zigiranyirazo ne l’avaient pas placé à Kanombe pendant la tranche horaire où il a été vu à Kesho au moment du massacre de réfugiés tutsi. Cela aurait pu éliminer toute possibilité raisonnable que l’alibi soit vrai. De même, il n’y avait pas lieu de douter que Zigiranyirazo ait pu faire le trajet entre son village et Kigali dans un délai de quarante cinq minutes.
Plus cynique encore est la réduction de la peine du Colonel Théoneste Bagosora et du colonel Anatole Nsengiyumva, condamnés tous deux à une peine d’emprisonnement à vie, pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sur le fondement de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique.
La chambre d’appel que préside le juge Meron, tout en confirmant leur responsabilité pénale a réduit néanmoins la peine, à trente cinq ans d’emprisonnement pour Bagosora et quinze ans pour Anatole Nsengiyumva. La gravité des charges dans le cas de Bagosora et Nsengiyumva ne permettait pas une si importante réduction de peine .
Une autre affaire emblématique est celle appelée « Gouvernement II », dont faisaient partie Justin Mugenzi et Prospère Mugiraneza.
Les juges de première instance s’étaient prononcés sur la responsabilité des accusés en se basant sur les circonstances entourant le Conseil des ministres du 17 avril 1994 et leur intention d’inciter au massacre des Tutsis en participant à la cérémonie du 19 avril 1994 à Butare. L’intention génocidaire pouvait être déduite du fait de la participation de Mugenzi et Mugiraneza à la destitution du préfet avec l’objectif de déclencher les massacres à grande échelle dans la préfecture de Butare.
Cette conclusion était renforcée par leur participation, deux jours plus tard, à la cérémonie d’investiture du nouveau préfet. Le discours de Mugenzi avait précédé de peu celui de Théodore Sindikubwabo, l’alors Président du Gouvernement intérimaire des Abatabazi(Avril-juin 1994).
La participation des accusés à ces deux événements successifs aux conséquences tragiques (le déclenchement des massacres dans la préfecture de Butare) ne pouvait s’expliquer autrement que par l’adhésion des deux ministres à la politique génocidaire du Gouvernement intérimaire.
D’un coup de crayon, la chambre d’appel annule la décision de la chambre de première instance, car, selon lui, Mugenzi et Mugiraneza ignoraient tout du contenu du discours du président Sindikubwabo et n’avaient participé à cette réunion que pour des raisons protocolaires.
Enfin, la chambre d’appel sous la présidence du juge Meron a acquitté le général Augustin Ndindiliyimana, en invoquant l’absence de preuve concernant son contrôle effectif sur la gendarmerie au moment du génocide. Croyons-le sur parole à ceci près qu’il oublie de dire qu’en tant que chef d’état major de la gendarmerie, Ndindiriyimana avait le contrôle effectif sur les gendarmes opérant sur tout le territoire national.
Ndindiriyimana avait d’évidence toute information sur les massacres et continuait à donner des ordres à ses subordonnés comme plusieurs témoins l’ont montré. La chambre d’appel ira jusqu’à dire que Ndindiriyimana n’avait pas de contrôle sur l’unité de gendarmerie qui gardait sa maison à Kansi et qui massacrait des gens à cet endroit.
Utilisant le même argument, la chambre d’appel dénie l’implication directe du major François-Xavier Nzuwonemeye dans les meurtres, le 7 avril 1994, du Premier ministre Agathe Uwilingiyimana et de 10 Casques bleus belges chargés de la protéger, sous prétexte que l’accusé n’était pas au courant du plan d’assassinat mis en place par ses subordonnés.
Or, plusieurs témoignages montrent que Nzuwonemeye a aidé, donné des ordres et fournis des renforts à l’unité impliquée dans l’assassinat du Premier ministre et des militaires belges.
Faut-il voir dans cette suite d’acquittements et d’allègement de peine un simple contraste entre les chambres de première instance et la chambre d’appel ou bien la volonté affichée du Juge Meron de libérer les cerveaux du génocide.
Plusieurs juristes y voient le projet du juge Meron de mettre en place une jurisprudence qui invaliderait toutes les décisions en cours et à venir qui seraient fondées sur le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique.
Or, ce principe si important, a servi notamment dans les procès de Nuremberg où plusieurs chefs nazi ont été reconnus coupables de crimes ignobles commis par leurs subordonnés. Ce même principe a été utilisé par le tribunal spécial pour la Sierra Leone, par les Chambres extraordinaires pour le Cambodge et par les chambres de première instance du TPIR et du TPIY.
Le juge Meron mène une bataille acharnée contre le principe de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique au point de créer scandale.
Malgré l’existence de preuves irréfutables, il a acquitté deux généraux croates, Ante Gotovina et Mladen Markac en novembre 2012, dont le rôle est bien connu dans les massacres de Krajina contre les Serbes en 1995. De même, le 28 février 2012, le juge Meron acquitte Momcilo Perisic, l’ancien chef d’état major de l’ancienne armée yougoslave. Selon le juge Frederik Harhoff, le juge Meron aurait obligé les juges siégeant dans ces affaires de les acquitter .
Les seuls cas de Bagosora, Nsengiyumva, Zigiranyirazo, Mugiraneza, Mugenzi et Ndindiriyimana laissent penser que les autres décisions prises en première instance seront remises en question une fois à l’appel sans qu’il y ait aucune nouvelle preuve, le juge Meron se cachant derrière la formule magique ; « la chambre n’est pas convaincue au-delà de tout doute raisonnable ».
En effet, dans toutes ces décisions d’acquittement, il y a eu toujours des opinions dissidentes qui montrent que malgré l’existence de preuves irréfutables, le juge Meron peut casser une décision de la première instance sans qu’il y ait erreur ni éléments nouveaux .
Ce fait est important. Nul doute que le report, le 11 février du verdict concernant le général Augustin Bizimungu, entre dans la stratégie du juge Meron, de revoir à la baisse sa peine, ou tout simplement de l’acquitter. Il aura attendu que les cérémonies marquant la 20eme commémoration se terminent pour enfin annoncer ce verdict.
Que penser de la nouvelle stratégie du juge Theodor Meron de recourir à la libération anticipée des personnes déjà condamnées pour génocide et qui purgent leur peine dans certaines prisons africaines ? En effet, à la surprise de tout le monde, et ce contre l’appel du procureur, le juge Meron a accordé la libération anticipée au docteur Gérard Ntakirutimana condamné à 25 ans de prison pour génocide et extermination. Pour le juge Meron, la gravité des crimes ne joue pas, et on voit que même ceux qu’il n’a pas réussi à acquitter au tribunal, il va les libérer en prison.
Notre but ici n’est pas de jeter un discrédit sur quiconque mais de montrer comment la volonté d’un seul juge peut nuire à l’intérêt de la justice, sans qu’on sache réellement la vraie motivation.
L’auteur de ce texte est un juriste et chercheur à la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide.
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