Joshua Oppenheimer a travaillé sept ans à la réalisation de The Act of Killing, film dont Courrier international est partenaire. Les bourreaux y rejouent les scènes du passé, fiers de leurs exploits aujourd’hui encore célébrés par le pouvoir.

Janvier 2013. Le réalisateur Joshua Oppenheimer au European Film College, au Danemark, pour présenter "The Act of Killing" - DR
Courrier international : Votre film ne donne la parole qu’à des tortionnaires et à des assassins responsables des massacres de 1965. L’absence de la parole des victimes n’est-elle pas troublante ?
Joshua Oppenheimer : Certes, mais je pense que le film en est d’autant plus fort. Les victimes hantent chaque image, chaque scène. Il n’y a effectivement pas de scènes où des survivants ou des proches des victimes condamnent ce qui s’est passé. Je ne voulais pas donner à mon film la dimension de ce fantasme qui continue de nous animer et qui partage le monde entre le bien et le mal. Le spectateur aurait pu aisément s’identifier aux victimes. Cela aurait été un film complètement différent et n’aurait pas eu le même impact.
La peur reste présente en Indonésie. Avez-vous eu du mal à convaincre des victimes de parler ?
J’ai travaillé avec des survivants, mais ils étaient inquiets à l’idée de me parler. Ils m’ont conseillé d’aller voir les bourreaux. Eux pouvaient parler. Ils le font d’ailleurs, en se vantant de leurs actes passés. "Ainsi, les spectateurs verront pourquoi nous avons peur", m’ont dit les victimes.
Quelles réactions le film a-t-il provoquées en Indonésie ?
The Act of Killing a été diffusé plus de 300 fois lors de séances privées organisées sur invitation – pour éviter les ennuis avec les autorités, qui pourraient se sentir visées par le film. En Indonésie, les défenseurs des droits de l’homme qui travaillent sur ce sujet depuis des décennies se réjouissent de ce film, ce qui peut paraître paradoxal. Pour eux, le régime tombe le masque et montre enfin son vrai visage. En voyant le film, le rédacteur en chef du magazine indonésien Tempo a décidé de consacrer un volumineux dossier à cette page de l’histoire de son pays [les articles de notre propre dossier en sont extraits]. Pour la première fois, il ose aborder ce sujet. Le film offre une image assez provocante de l’Indonésie. Il expose comment l’histoire interfère avec le présent et empêche une société de se regarder elle-même. Le silence domine en Indonésie. Oublier participe du génocide. Il faudrait des excuses nationales. Selon le président de la Komnas, la Commission nationale des droits de l’homme, le président indonésien voulait l’inviter au palais présidentiel dans l’idée de préparer des excuses nationales. Mais l’invitation n’est jamais arrivée. Il semble que des généraux de l’armée soient venus le voir pour lui dire qu’il n’était pas question de parler du passé. La Komnas avait remis l’année dernière un rapport très détaillé sur les massacres de 1965. Ce rapport a été rejeté par le procureur général, pour qui il était hors de question d’engager des poursuites.
Propos recueillis par Christine Chaumeau
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