Industrialisation : Les économistes africains interpellent les décideurs

Redigé par Fraternite Matin
Le 15 mars 2013 à 07:12

Les politiques industrielles menées en Afrique depuis les indépendances sont un échec. C’est la constatation faite par les économistes du continent à Dakar lors de leur 3e congrès (6-8 mars 2013).
Venus des universités africaines, des institutions financières du continent et de la diaspora, ces experts ont, après avoir fait l’évaluation desdites politiques, indiqué que l’émergence économique de l’Afrique passe absolument par son industrialisation.
« Nous avons observé que le déficit industriel est l’une (...)

Les politiques industrielles menées en Afrique depuis les indépendances sont un échec. C’est la constatation faite par les économistes du continent à Dakar lors de leur 3e congrès (6-8 mars 2013).

Venus des universités africaines, des institutions financières du continent et de la diaspora, ces experts ont, après avoir fait l’évaluation desdites politiques, indiqué que l’émergence économique de l’Afrique passe absolument par son industrialisation.

« Nous avons observé que le déficit industriel est l’une des principales causes de l’appauvrissement, de l’instabilité et de l’accroissement du retard de développement de l’Afrique sur les autres continents et ce, en dépit des ressources naturelles dont elle regorge », ont noté ces derniers qui se disent préoccupés par l’état des gouvernances politique, institutionnelle, économique et sociale prévalant en Afrique.

Gouvernances qui génèrent, selon eux, « des allocations non optimales des ressources humaines matérielles, et tendant à neutraliser tous les efforts d’industrialisation et de développement ».

Selon Ouédraogo André du Burkina Faso (traitant de l’industrialisation de la zone Cedeao), dans l’ensemble, les résultats de l’industrie embryonnaire dans la Cedeao sont modestes, voire insignifiants au regard de la production industrielle mondiale, car sa part de valeur ajoutée n’est que de 0,1% selon l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi).

Douzounet Mallaye de l’université de N’Djamena (Tchad) estime, quant à lui, que les pays de la sous-région de l’Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée-équatoriale et Tchad) qui ont décidé, en 2009, dans leur Programme économique régional, de faire de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), en 2025, un espace économique intégré émergent doivent opérer une rupture dans sa dynamique de croissance.

« Sur les deux dernières décennies, indique-t-il, cette croissance a été, en moyenne, de 4,8% par an. L’émergence en 2025 suppose le doublement de cette dynamique durant les treize prochaines années. Le Pib par habitant de la Cemac représentera alors plus de 3 fois le niveau actuel ».

Pour y arriver, cette organisation, au dire de Douzounet Mallaye, doit entamer une mutation profonde d’une économie non diversifiée à faible valeur ajoutée vers une économie diversifiée à forte valeur ajoutée.

L’autre approche de la question est venue de M. Moubarack Lo, directeur de cabinet adjoint du Président de la République du Sénégal. Qui soutient que l’émergence économique est complexe et multiforme.

« Elle dépasse la simple accélération de la croissance (l’approche traditionnelle de la convergence) pour embrasser de profondes transformations économiques et technologiques (diversification et hausse de la valeur ajoutée de la production et des exportations). Le pays qui émerge franchit ainsi un palier décisif dans le rapprochement des diverses frontières où se situent les pays les plus avancés. De ce fait, le concept d’émergence économique constitue un puissant instrument de gestion pour les autorités gouvernementales des pays sous-développés, en fixant à toute la société un objectif intermédiaire à atteindre sur une période relativement courte (dix ans) dans le cheminement vers le développement intégral », fait-il savoir.

M. Moubarack Lo explique le succès de certains pays et l’échec d’autres en ces termes : « C’est parce que l’émergence impacte la nature même des normes et valeurs sociales en vigueur, le fonctionnement des organisations publiques, du cadre réglementaire, des procédures et des politiques publiques, que la qualité du leadership politique pourrait constituer la cause endogène profonde des performances économiques et sociales des pays pauvres, plus que les facteurs exogènes tels que l’effet du voisinage ou l’histoire coloniale ».

Les économistes africains, dans leur rapport final, ont réitéré la nécessité pour l’Afrique d’utiliser les cinquante prochaines années pour rattraper son retard historique de développement sur les autres continents et devenir partie prenante des décisions cernant la gouvernance mondiale. Ils soutiennent, à cet effet, que les ambitions légitimes d’émergence, à des horizons variés, exprimées par les différents pays africains, ne peuvent se réaliser que par les voies de l’industrialisation et de l’intégration régionale.

« L’Union africaine et les Communautés économiques régionales (Cer) doivent ériger la stabilité politique et la solidité institutionnelle, fondées sur la gouvernance démocratique, comme première des priorités. L’Ua, la Cea et les Cer devraient tirer des leçons des échecs passés des politiques d’industrialisation suivies depuis 1960, mettre en place et appliquer de nouvelles politiques conçues par des Africains », recommandent-ils, entre autres.

La transparence dans les transactions avec les partenaires extérieurs doit être également de mise, selon ces experts.

« Les gouvernements doivent faire approuver, par les Parlements, toutes les transactions sur les patrimoines nationaux : privatisations, contrats de concession, partenariats publics et privés, contrats sur l’exploitation des ressources naturelles (forêts, mines, énergies…). Dans cette optique, les Parlements nationaux peuvent demander aux gouvernements de renégocier les contrats qui sont déjà en vigueur », soulignent-ils.

Les participants au congrès de Dakar estiment, par ailleurs, que l’Ua, la Cea, les Cer et les états doivent envisager de redéfinir les critères d’évaluation des performances des économies africaines.

Pour eux, les principaux enjeux se situent au niveau du secteur manufacturier qui constitue le moteur de la performance et de la compétitivité.

« Les pays africains doivent concevoir des modèles industriels appropriés pour prendre en compte les besoins spécifiques des populations en rapport avec les exigences de la mondialisation. L’agro-industrie devra en constituer l’une des forces motrices de l’industrialisation en raison du potentiel agricole que possède l’Afrique. Il faut donc rendre effective et concrète la décision de Maputo en 2003 d’allouer 10% du budget à l’agriculture », renchérissent-ils.

Le financement des projets est l’un des obstacles à l’investissement en Afrique. L’une des recommandations de Dakar est donc la création d’un Fonds africain pour accélérer l’industrialisation du continent. Ce fonds pourrait être alimenté par l’affectation systématique d’une proportion du revenu national et en particulier, des rentes tirées des ressources naturelles.

Les attentes de la Cea

La Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (Cea) a pris une part active à l’organisation et à l’animation du 3e congrès des économistes africains. Pour Mme Aïssatou Guèye de sa division du développement économique et du Nepad, cette rencontre est importante pour la Cea, dans la mesure où elle a permis de « réfléchir ensemble » sur des questions de développement du continent.

« Nous nous attendons à ce que ce forum qui réunit les intellectuels et décideurs africains puisse permettre au continent de bouger dans son agenda du développement  », a-t-elle souligné.

La Cea, selon ses dires « s’engage » à prendre les recommandations de ce congrès qui lui permettront d’avoir une idée plus claire du focus et de l’accent qui doit être mis sur l’industrialisation de l’Afrique dans le programme du budget de la période 2014-2015.

Mme Aïssatou Guèye estime qu’on doit espérer beaucoup de choses après ce congrès. « Il y a beaucoup de programmes, de rencontres et de plans. Les choses n’ont pas bougé. Mais depuis 2007, malgré la crise, l’Afrique a avancé. Les Africains sont conscients que sans l’industrialisation, ils ne peuvent pas évoluer. Ils se sont même donné une date limite. Un certain nombre de choses vont vite  », assure-t-elle.

Pour elle, il faut mettre l’accent sur la mise en œuvre et le suivi des programmes d’industrialisation. En tant qu’institution de plaidoyer et d’assistance technique, la Cea, selon Mme Guèye, sensibilise les gouvernements au processus de développement. « Dans le cadre de la transformation des produits du secteur primaire, il faut que l’Afrique atteigne un taux de 30% d’ici 2015 ».

DOUA GOULY

Envoyé spécial à Dakar


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