Justice au politique et au social pour les survivants ; intense activité de Gauthier

Redigé par Jovin Ndayishimiye
Le 8 novembre 2012 à 12:34

IGIHE vient de réaliser un entretien avec M. Alain GAUTHIER, Président du CPCR/ Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda ; une association de droit français qui s’est donnée pour objectif de faire bouger les choses dans le judiciaire français afin que les présumés auteurs de crimes de génocide et crimes contre l’humanité commis contre les Tutsi du Rwanda en 1994 soient traduits en justice.
M. Gauthier, double nationalité franco rwandaise, se trouve dans la propriété de son beau-frère du quartier (...)

IGIHE vient de réaliser un entretien avec M. Alain GAUTHIER, Président du CPCR/ Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda ; une association de droit français qui s’est donnée pour objectif de faire bouger les choses dans le judiciaire français afin que les présumés auteurs de crimes de génocide et crimes contre l’humanité commis contre les Tutsi du Rwanda en 1994 soient traduits en justice.

M. Gauthier, double nationalité franco rwandaise, se trouve dans la propriété de son beau-frère du quartier de KIGALI dit KICUKIRO à la porte sud-Est de la Capitale. Il égratigne un libre nouvellement paru intitulé ‘‘Sur la Piste des Tueurs Rwandais’’, écrit par Maria MALAGARDIS, journaliste à LIBERATION. Ce livre est, dit-il, un condensé du parcours de l’activité dangereuse d’Alain GAUTHIER et de sa Femme Dafroza. Il y est décrit également le bilan positif des activités de l’Association CPCR. Il propose qu’une large publicité soit faite autour de ce livre afin de prolonger les efforts de lutte que l’association est entrain de fournir depuis sa création en 2001.

Ci-après est le contenu de l’entretien qui focalise sur l’action de traque des présumés génocidaires rwandais qui vivent en toute liberté en France, certains depuis 1994. L’entretien porte également sur l’autopsie et de possibles stratégies d’un régime qui a un sérieux défi d’accélérer les mécanismes internationaux pour la création d’un Fonds de Compensation des Survivants du Génocide Tutsi de 1994.

IGIHE : M. Gauthier, vous êtes Président du CPCR /Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda. Dans quel contexte votre association est-elle née ?

GAUTHIER : L’idée de fonder cette association est née en novembre 2001 alors que nous, ma femme et moi, assistions au procès de Bruxelles en tant qu’auditeurs libres. Comparaissaient au procès des présumés génocidaires de Butare, HIGANIRO l’industriel, NTEZIMANA et les deux religieuses de SOVU. Par intérêt personnel, nous avons participé aux audiences du procès. (…) Lors du verdict, un ami nous a dit : ‘‘Et vous que faites vous en France ?’’. Il s’agissait de GASANA NDOBA (Il fut par après le premier Président de la jeune Commission Rwandaise des Droits de l’Homme, ndlr). Cette suggestion n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd.

A notre retour en France avec mon épouse, on a décidé de regrouper quelques amis, essentiellement des Rwandais, avec objectif essentiel de poursuivre des présumés génocidaires rwandais qui résident en France.

IGIHE : Votre association compte combien de membres ?

GAUTHIER : Le nombre a varié. Nous sommes actuellement à peu près 140 adhérents au CPCR. A une certaine époque, nous avons été à 250. Mais je pense qu’avec les lenteurs de la Justice française, beaucoup de gens voyant que les choses n’avançaient pas, beaucoup de gens se sont lassés. On a des adhérents qui ont disparu. Vous pourriez me demander pourquoi c’est moi qui suis au devant de la scène. Pourquoi c’est Alain et Dafroza Gauthier qui reviennent presque systématiquement. Il faut savoir que dans toute association, il y a des conflits internes qui naissent. Et il se trouve qu’au cours des années, beaucoup de membres fondateurs ont disparu de l’association. Comme on était pratiquement les seuls à constituer un couple mixte franco rwandais, capable de comprendre la langue Kinyarwanda, les seuls à pouvoir se rendre au Rwanda, à bien connaître le Rwanda, on s’est retrouvé pratiquement en première ligne alors qu’au point de départ, on avait l’intention de former une équipe pour essentiellement plus d’efficacité.

IGIHE : Etes-vous sûrs d’atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés, quel bilan de mi parcours faites-vous de vos activités ?

GAUTHIER : Ça fait plus de onze ans qu’on travaille d’arrache-pied à constituer des dossiers, à venir au Rwanda recueillir des témoignages contre les présumés génocidaires qu’on a rencontrés ici ou là en France. Ça demande un gros investissement en temps et en argent. Et c’est vrai qu’à ce jour, la Justice française n’a déféré aucun présumé génocidaire devant les tribunaux. Bien sûr on pourrait dire que votre travail est inutile. Mais moi, j’ai une conviction inverse. Car depuis un an ou deux, vous savez qu’en France, il a été créé un Pôle Spécialisé près le TGI/Tribunal de Grande Instance de Paris pour crimes de génocide et crimes contre l’humanité. Ce Pôle a été doté jusque récemment de 3 juges d’instruction à temps plein, plusieurs gendarmes travaillent aussi à ce Pôle…Auparavant, les juges pouvaient s’occuper de tous les délits. Ils ne pouvaient pas s’investir à fond dans les dossiers des crimes de génocide contre les Tutsi du Rwanda. Depuis, il y a des avancées. Des juges viennent au Rwanda en commission rogatoire. J’ai espoir que l’année 2013 soit l’année où la Justice française pourra organiser le premier procès en assise à Paris.

Nous avons, à ce jour, déposé officiellement 25 plaintes à la Justice. Sur ces derniers, il y en avait 6 qui existaient avant que le Collectif ne soit créé. Nous en tant que CPCR, nous en avons initié 19. De ces plaintes, il faut dire que 2 d’entre elles n’en font plus partie car le dossier de Dominique NTAWUKULIRYAYO, ancien Sous Préfet de GISAGARA ( dans l’actuelle Province du Sud) a été transféré au TPIR-Arusha où il a été condamné à 25 ans de prison puis 20 ans en appel. C’est un dossier qui nous a échappé mais l’essentiel est que la justice a été rendue. Il a également le dossier de Fabien NERETSE qui a été transféré en Belgique sur demande de cette dernière. La Belgique jugera ce prévenu. Nous avons plusieurs autres dossiers en préparation.

IGIHE : Comment procédez-vous pour la constitution des dossiers des prévenus ?

GAUTHIER : Lorsqu’on a repéré la présence d’un génocidaire en France,… on part en enquête. On sait où au Rwanda il a commis ses méfaits. L’investigation commence. Les témoignages sont recueillis. On collabore souvent avec le Parquet de la République. On s’entraide. On collabore car nous lui donnons des informations sur les criminels évoluant en Europe.

Quand nous avons ces témoignages, on rentre avec. Mon épouse les traduit en Français. Puis on remet ce dossier à l’un des 8 avocats qui travaillent bénévolement pour le CPCR. C’est lui qui rédige la plainte. Cet avocat donne une forme juridique au dossier pour le déposer comme plainte au Pole…

IGIHE : Vous évoluez dans un environnement complexe où ont pignon sur rue idéologues de l’ethnocentrisme hutu appuyés par des lobbies puissants qui professent le négationnisme du génocide des tutsi de 1994 au Rwanda ou carrément la théorie du double génocide. Comment cadrez-vous votre lutte ?

GAUTHIER : Nous, on ne s’occupe pas de nos adversaires. Il est vrai qu’ils existent, mais nous n’avons pas de temps à perdre, je dirais, à ferrailler avec eux. On sait ce qu’ils écrivent sur nous. Ils nous adressent des attaques je dirais empreintes d’une grande bassesse, pas mal de calomnie sur nous. Nous ne voulons pas nous laisser distraire pour nous dévier de nos objectifs, de notre combat. On sait pourquoi on a créé le Collectifs des Parties Civiles. On sait qu’on a des adversaires qui se mobilisent particulièrement contre nous. Nous n’avons aucun ressentiment, aucune haine ne contre eux. Souvent, ils nous traitent de délateurs de Hutus alors que nous, nos cibles ce ne sont pas les Hutus, mais plutôt des génocidaires. Il est vrai que la plupart des génocidaires sont des Hutus tout autant que la plupart des NAZIS étaient allemands. Nous nous poursuivons des présumés génocidaires. Tenez, parmi ceux que nous poursuivons, il y a Claver KAMANA, un Tutsi.

Notre critère de choix est : ‘‘Un tel a commis un crime de génocide. C’est à la Justice de se prononcer sur sa culpabilité ou non culpabilité’’. Franchement, nos adversaires ne nous intéressent pas.
Beaucoup de pays européens ont ouvert la procédure judiciaire y compris des extraditions des présumés génocidaires vers le Rwanda. Les motifs qu’évoquent certains pays européens dont la France pour ne pas extrader les présumés génocidaires vers le Rwanda sont-ils compréhensibles ?

La justice française a toujours refusé de procéder aux extraditions. Et même quand les magistrats ont accepté dans un premier temps, la Cour de Cassation a toujours annulé ces décisions. Lorsque les magistrats français refusent l’extradition, ils mettent en avant le manque d’environnement judiciaire pour un procès équitable. Ils disent que tous les témoins sont bâillonnés. Ce ne sont pas des arguments recevables. L’on observe qu’actuellement la Justice rwandaise est capable de juger de façon sereine…

Nous nous disons si vous refusez de les extrader, qu’ils soient au moins traduits devant la justice française.

IGIHE : Avez-vous l’impression que les Associations rwandaises de lutte pour les droits des rescapés du génocide des Tutsi de 1994 avec à leur tête IBUKA ont plus focalisé leurs énergies et combat sur la dimension politique du génocide en question et qu’elles n’auraient pas accordé assez d’effort sur la dimension sociale afin de relever les droits sociaux bafoués des survivants dudit génocide ?

GAUTHIER : C’est difficile de savoir à qui faire des reproches. Je ne dirais pas que c’est à IBUKA, que c’est au Gouvernement rwandais pour ce qui est de la réclamation des réparations pour les survivants. Comme le crime de génocide est un crime contre l’Humanité, ce sont les pays de l’Humanité entière qui devraient dégager des fonds à ce sujet pour les victimes. On ne peut pas tout demander au Rwanda, on ne peut pas tout demander aux Associations des victimes.
Ce crime de génocide s’est commis devant les Nations Unies parfaitement amorphes. C’est aux pays membres de l’ONU de créer un Fonds de Solidarité. Je pense que ce serait parfaitement facile si tous les pays membres accepter de participer à ce Fonds ; cela ne représenterait que peu d’argent à ces pays. Je préfère cette voie de solution plutôt que de demander à une Association ou à un pays d’indemniser les victimes de génocide. Il faut être réaliste.

A la question de manquement à la dimension sociale du contentieux de Génocide de la part des Associations rwandaises de lutte contre le génocide, il faut souligner une chose. Il se peut que le fait que de telles associations sont financées par le Gouvernement, elles peuvent quelque fois perdre de vue la question des objectifs essentiels qu’elles se sont fixées. Le Collectif IBUKA poursuit les objectifs de Mémoire et de Justice face au génocide des Tutsi rwandais de 1994. Le premier objectif, elle le réalise bien. Mais le second ‘Justice’ ? Qui dit ‘Justice’ dit aussi ‘Réparation des droits’. Qu’on me comprenne bien ici, je ne fais que souligner le risque des associations qui dépendent trop d’un Etat qui ont un risque d’oublier les objectifs qui sont premiers. Mais je présume que pour IBUKA qui a des sections internationales, l’objectif premier reste le sort des rescapés.

IGIHE : Quelles démarches doivent-elles être entreprises si on abonde dans ce sens ?

GAUTHIER : Tout commencerait par le Conseil de Sécurité des Nations Unies avec l’heureux événement que le Rwanda y siège en tant que membre non permanent. Pourquoi ce dernier n’interrogerait-il pas les autres membres du Conseil en suggérant la création d’un tel Fonds.
Beaucoup de survivants ont perdu leurs biens. Ce n’est certainement pas les pertes irréparables. La plus irréparable, ce sont les morts exterminés. Beaucoup de rescapés se trouvent dans des situations financières et morales assez difficiles. La Communauté internationale, peut-être par le biais du Conseil de Sécurité, pourrait prendre des décisions grandement appréciées par les rescapés du génocide des Tutsi rwandais.

D’après vous, qui peut lancer ce débat autour de la constitution de ce Fonds de réparation des victimes de génocide Tutsi de 1994 ?
Je ne suis pas un politicien. Je ne suis pas branché sur ce qui se fait dans les sphères internationales. Le Conseil de Sécurité, les Nations Unies font beaucoup de réunions qui traitent de tellement de dossiers qui touchent le monde entier. Ça ne m’étonnerait pas qu’ils prennent en main ce dossier. Il n’est probablement pas le plus difficile à régler pour eux.

IGIHE : Quel rôle l’Ambassadeur du Rwanda auprès des Nations Unies pourrait-il jouer à ce sujet ?

GAUTHIER : L’Ambassadeur pourrait demander à ce que la question soit inscrite à l’ordre du jour d’une réunion du Conseil de Sécurité. Puisque le Rwanda y est présent, il trouvera des alliés. Je crois savoir que plus de 140 pays ont voté pour qu’il soit membre non permanent au Conseil de Sécurité pour une durée de 2 ans. Ainsi donc, il pourrait se faire que ces pays soutiennent l’idée de ce Fonds. Mais ici, je raisonne en tant citoyen franco rwandais peu au courant des arcanes des instances de la Communauté internationale.

IGIHE : Un tel Fonds pourrait-il voir le jour pour bientôt ?

GAUTHIER : Je ne fais qu’émettre un souhait. Mais il me semble que ce serait facile de mettre sur pied ce fonds. Si le Représentant du Rwanda au Conseil de Sécurité m’entend, si le Gouvernement rwandais suit ce débat, S’ils agissent, je pense que tout est dans l’ordre.

IGIHE : Le rôle à jouer par l’Etat rwandais et celui de la Société Civile ?

GAUTHIER :C’est par le biais du Représentant de l’Etat rwandais auprès des Nations Unies que le Gouvernement rwandais pourra être efficace. Chercher des appuis aux Nations Unies pour que le jour où la question sera étudiée pour qu’elle soit entièrement approuvée. La Société civile n’est pas très sollicitée à ce point de vue. Elle a énormément de choses à faire dans une société post génocide qu’est le Rwanda même si les progrès réalisés à ce jour sont considérables. Je ne suis pas sûr que ce soit le rôle de la Société civile de participer à ce recueil de Fonds. Mais les associations en question peuvent être des groupes de pression auprès des responsables politiques rwandais pour que la question soit mise à l’ordre du jour dans les instances internationales. Ainsi la Société civile intéressée peut demander aux députés, au Gouvernement que la proposition du Fonds d’indemnisations des Victimes du Génocide Tutsi soit soumise aux Nations Unies.

IGIHE :Votre visite au Rwanda portait sur quoi ?

GAUTHIER : Je viens de passer une semaine au Rwanda avec un objectif bien précis. Je venais compléter un dossier sur lequel nous travaillons actuellement en France. Je suis venu récolter un certain nombre de témoignages dans un dossier qu’on a pris en main en France. J’ai rencontré un certain nombre de responsables. Nos discussions restent concentrées sur le travail du CPCR, sur les avancées qui existent actuellement mais pas sur les problèmes nationaux ou internationaux.

Nous, au sein du Collectif, nous sommes de simples citoyens. Nous ne prétendons pas au rôle politicien, même si notre travail a un aspect strictement politique, nous nous concentrons sur les dossiers des présumés génocidaires en France, tout en essayant de ne pas déroger à cet Objectif.

Propos recueillis par Jovin Ndayishimiye


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