Machette à la main, Paul Njoroge contemple ses cinq hectares de cultures, entre la vallée du Rift et le mont Kenya. Son champ se remet à peine du dernier passage des éléphants, fin avril. Mais une clôture électrique de 163 km de long devrait bientôt changer la donne.
Depuis trois décennies, Paul Njoroge cultive de la canne à sucre, des avocats, des pommes de terre et des bananes sur les pentes du plateau de Laikipia, dans le centre-ouest du Kenya, à environ 200 km au nord de Nairobi.
"Nous ne détestons pas les éléphants. Mais leurs activités nous appauvrissent", dit cet homme de 53 ans.
Dans son champ, on distingue encore les grandes traces de pas des éléphants sur le sol jonché de branches brisées, dernières marques des conflits quasi-quotidiens qui dominent les relations entre les pachydermes et les hommes dans cette région. Avec à la clef du braconnage.
Pour limiter ces incidents, coûteux pour les uns et les autres, l’ONG de protection des éléphants Space for Giants ("De l’espace pour les géants") a lancé le 10 juin la construction d’une clôture électrifiée de 163 km entourant la réserve de Western Laikipia. Une cérémonie très officielle à laquelle participaient la ministre de l’Environnement, Judi Wakhungu, le gouverneur de Laikipia et des représentants de l’armée britannique, qui finance également le projet.
Cette clôture est la première opération concrète financée grâce aux fonds que le Sommet des Géants sur l’interdiction du commerce d’ivoire, fin avril au Kenya, a permis de dégager. Depuis, le Kenya a détruit son stock de défenses d’éléphants.
– Un quotidien oppressant -
Il faudra environ deux ans pour ériger cette clôture supposée protéger durablement à la fois les éléphants et les fermiers. Coût : 88 millions de shillings, soit environ 775.000 euros. Un projet confié à une quarantaine d’ouvriers locaux.
"Le braconnage, c’est un problème urgent à court terme. Mais à long terme, ces conflits avec les hommes deviendront le principal défi pour la préservation des éléphants en Afrique", estime Max Graham, fondateur et directeur de Space for Giants. Car les fermiers ne soutiendront pas les éléphants contre leurs propres intérêts agricoles.
Avec plus de 6.300 spécimens, le plateau de Laikipia abrite la deuxième plus importante population de pachydermes au Kenya et c’est la région du Kenya où les incidents entre humains et éléphants sont les plus nombreux : près de 6.700 ont été recensés en deux ans, selon Space for Giants.
Pour les fermiers locaux, la cohabitation est désastreuse et le quotidien oppressant. "La nuit, on ne les entend pas lorsqu’ils traversent la colline", remarque Paul. "Mais il suffit d’un craquement de branche pour que mes chiens aboient et que je sorte en courant".
Commence alors une nuit de traque. Le voisinage s’organise, avec des torches, des feux de bois, des coups de machette sur les tonneaux pour effrayer les bêtes. Mais rien n’y fait. Même l’ancienne clôture, non électrifiée, s’avère inefficace pour arrêter les colosses.
– ’On continuera à vivre ici’ -
Derrière le grand sourire de Paul, il y a le "soulagement" de voir enfin les choses changer avec cette nouvelle clôture de 7.000 volts, explique-t-il.
Car les raids d’éléphants coûtent cher. Les pertes pour ce fermier se chiffrent à 415.000 shillings, environ 4.000 euros, sur l’année écoulée.
En l’absence de compensation de la part du gouvernement, les cultivateurs les plus en difficulté ont tendance à se tourner vers des activités illégales, comme le braconnage.
"La compensation est un de nos principaux défis", souligne la ministre Judi Wakhungu.
"Nous avons plus de 800 cas à gérer, soit près d’un milliard de shillings nécessaires (8,6 M EUR). Or j’ai reçu 235 millions de shillings du Trésor national", soit à peine un quart de la somme requise pour indemniser les cultivateurs. "À cause de ce manque de financement, nous traitons en priorité les cas de décès", explique-t-elle.
Jennifer, une vieille dame qui habite la région, a échappé de peu à la mort il y a dix mois, juste devant sa propriété. Face à l’éléphant, elle a crié et appelé à l’aide, mais n’a pas pu bouger, paralysée par la peur. La bête était très proche et une défense a transpercé le flanc gauche de Jennifer, qui a désormais besoin d’une canne pour se déplacer. Par moments, elle touche encore nerveusement sa blessure.
"Vingt-et-une personnes sont mortes en deux ans lors de tels incidents", soupire Paul, qui n’a jamais songé à déménager pour autant. "On continuera à vivre ici", dit-il. "On enterre nos voisins et la vie reprend".
AFP
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