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L’auteur du livre « Rwanda, 13 mai 1994. Un massacre français ? » se confie a IGIHE

Redigé par Karirima A. Ngarambe
Le 23 octobre 2012 à 06:12

L’auteur du livre « Rwanda, 13 mai 1994. Un massacre français ? », Serge Farnel, Journaliste et écrivain qui s’est investi dans le dossier franco-rwandais depuis maintenant dix ans, nous a accordée une interview centrée sur son dernier ouvrage. Il est sorti récemment aux éditions Aviso/L’esprit frappeur. Ce livre raconte les circonstances dans lesquelles eut lieu le terrible massacre des civils Tutsi de Bisesero le 13 mai 1994. Il fait surtout état de la participation active et directe de soldats (...)

L’auteur du livre « Rwanda, 13 mai 1994. Un massacre français ? », Serge Farnel, Journaliste et écrivain qui s’est investi dans le dossier franco-rwandais depuis maintenant dix ans, nous a accordée une interview centrée sur son dernier ouvrage. Il est sorti récemment aux éditions Aviso/L’esprit frappeur. Ce livre raconte les circonstances dans lesquelles eut lieu le terrible massacre des civils Tutsi de Bisesero le 13 mai 1994. Il fait surtout état de la participation active et directe de soldats blancs, français, à ce massacre de masse.

IGIHE : D’ou vient l’envie ou l’idée d’écrire ce livre « Rwanda, 13 mai 1994. Un massacre français ? »

Serge Farnel : C’est plus une obligation qu’une envie ou une idée. C’est même un devoir. Il se trouve qu’en 2009, une rescapée commence par me confier un pan de l’histoire du génocide qui a visé les Tutsi du Rwanda, épisode dont je n’avais jusqu’à présent jamais entendu parler : la présence de soldats blancs à Bisesero, dans l’ouest du Rwanda, le 12 mai 1994. Je rappelle qu’aucun soldat français n’est censé se trouver au Rwanda entre le 15 avril et le 22 juin 1994. Or là, on est en plein génocide et qui plus est la veille du grand massacre de Bisesero. C’est pas rien, convenons-en. Alors de deux choses l’une : soit je garde ça pour moi et je décide d’aller boire un verre devant le lac Kivu et de passer à autre chose, soi je décide de tirer le fil qu’on vient de me tendre. Je dois dire qu’il est au départ plus facile de tirer le fil que de garder ça pour soi. Pourquoi ? D’abord simplement parce que je suis pris d’une forte curiosité. Je veux savoir si j’ai bien compris, si le premier témoin ne fait pas de confusion, de date notamment.

Je veux savoir si la France a pu aller jusque-là. Et puis vous ne pouvez pas ne pas chercher à tirer le fil. Il y aurait une énorme faute morale à entendre une chose pareille pour ensuite à passer à autre chose comme si on ne vous avait rien dit. Je ne me vois pas rentrant chez moi à Paris avec cette petite chose que j’aurais fait semblant de ne pas entendre et qui aurait probablement fini par rendre ma vie misérable. Donc il n’y a pas vraiment de choix en ce qui me concerne. Mais pour être franc, et a posteriori, je me demande si je n’aurais pas préféré qu’on ne me dise rien. Car le travail qui a consisté à bâtir cet ouvrage a été très laborieux. C’est là un euphémisme.

IGIHE : Pourquoi l’élaboration de ce livre fut-elle difficile ?

Serge Farnel : D’abord parce qu’une enquête, c’est long, et pas uniquement sur le terrain. Ensuite parce qu’il y a la barrière de la langue : tous les entretiens ont été soigneusement vérifiés par d’autres traducteurs avant d’être consignés dans l’annexe du livre. Il faut également travailler sur l’ensemble des autres sources relatives à ce dossier afin d’évaluer les recoupements et les contradictions possibles. Enfin parce qu’il y a un formidable courant de scepticisme qui apparaît dès lors que vous découvrez quelque chose. Au moment où j’emploie ce terme de découverte, je ne peux d’ailleurs faire autrement qu’ouvrir une petite parenthèse pour rappeler qu’on ne découvre que ce que l’on ignore.

On ne conçoit pas que vous soyez en mesure d’apporter de nouveaux éléments à un dossier sur lequel des enquêteurs ont déjà travaillé il y a des années de cela. Il s’agit là de quelque chose de si commun dans l’histoire des découvertes ! Alors vous faites le dos rond, vous travaillez, vous consignez, vous comptez les gens qui vous font confiance, vous vous faites comptable de ceux qui connaissent mieux l’Histoire que ceux qui l’ont vécu sur le terrain et de ceux qui désirent honnêtement la découvrir, et c’est à ces derniers que vous vous confiez tout au long de ce labeur. Et c’est très bien comme ça.

IGIHE : Parlez-moi de la date du 13 mai 1994. Pourquoi cette date dans votre livre ?

Serge Farnel : Elle correspond au grand massacre qui eut lieu dans les collines de la région de Bisesero, dans l’ouest du Rwanda. On évalue à quarante mille le nombre de civils tutsi massacrés à cet endroit au cours des 13 et 14 mai 1994, la plus grande partie d’entre eux l’ayant été le 13 mai. Ce massacre est évidemment connu de tout temps. La nouveauté, c’est que ce sont des soldats blancs qui ont, au côté de soldats rwandais, participé directement à ce massacre en ouvrant le feu à l’arme lourde sur les civils tutsi. Ces derniers avaient préalablement été encerclés par la population hutu mobilisée pour l’occasion. Elle-même était alors encadrée par les milices Interahamwe que les troupes françaises avaient formé à tuer dans les années qui avaient précédé le génocide. Après les armes lourdes, ces soldats blancs ont, avec les soldats rwandais, mitraillé les Tutsi qui tentaient de fuir.

Ceux qui parvenaient à échapper à tout ce feu ne pouvaient échapper à la population hutu qui les avait donc préalablement encerclés. Pour ce qui concerne les blessés, ils étaient achevés par cette même population, le feu s’arrêtant un instant le temps qu’ils accomplissent leur « travail ». C’est une procédure qui semble s’être déroulée à l’identique sur l’ensemble des collines de Bisesero, que ce soit notamment à Gititi, Kagari ou Nyiramakware. Autrement dit, les génocidaires ont arpenté méthodiquement ces collines à mesure que se déroulaient les massacres. C’est un véritable ratissage.

IGIHE : Il y a également la préparation de ce massacre dont vous parlez dans votre livre.

Serge Farnel : Absolument. Elle a lieu principalement la veille, le 12 mai. Alors de quoi s’agit-il ? Il fallait, avant ce massacre, repérer où se trouvaient tous ces gens afin de se déployer où il fallait le lendemain. Or quoi de mieux que de venir à leur rencontre afin de leur promettre de leur amener vivres, couvertures et médicaments. De cette façon, non seulement vous savez où ils se trouvent, mais vous pouvez également leur demander de commencer à se découvrir afin de se préparer à recevoir cette aide.

Inutile cependant de compter sur les chefs génocidaires pour leur faire cette promesse ! C’est là qu’entrent en action ces fameux soldats blancs qui, le 12 mai, vont arpenter les collines de Bisesero afin que les Tutsi soient rassurés. Ils vont même jusqu’à organiser ce jour une mise en scène au cours de laquelle les Tutsi vont pouvoir assister, sans le comprendre, à une parodie au cours de laquelle la population hutu est bloquée dans sa progression vers Bisesero par des soldats rwandais en présence de ces soldats blancs. Une population qui aura, une heure plus tôt, été chargée de rejoindre l’endroit où aurait lieu cette mise en scène. Il s’agissait de convaincre les Tutsi qu’ils n’avaient désormais plus rien à craindre en la présence de ces Blancs. Tout cela est expliqué très en détail dans le livre.

IGIHE : Dans votre livre, vous parlez de la confiance qui s’est établie entre vous et les témoins. Pourquoi vous ont-ils fait confiance à ce point ?

Serge Farnel : J’ai effectivement fortement ressenti cette confiance qui m’a été accordée. Il y a avant tout quelque chose d’humain dans ces interviews. Ces choses ne s’expliquent pas. Mais ce n’est pas réellement à ça que je pense quand je cherche à saisir la raison de cette confiance. Voilà ce que je crois : ils se sont probablement bien vite rendu compte que je voulais comprendre à tout prix, que je ne me contentais pas de les écouter d’une oreille. Je ne les laissais pas parler pendant une heure, mais engageait une conversation à bâtons rompus avec eux. Ce fut ma méthode. Ils ont certainement apprécié la précision de mes questions qui devait respirer l’intérêt que je portais à leur histoire.

On ne pose pas de questions si précises sans être imprégné de celle-ci. Je posais également des questions qui leur montraient qu’outre ce qu’ils m’apprenaient, je connaissais parfaitement la situation de leur région pendant le génocide : le noms des collines bien sûr, mais aussi celui de certains commerçants dont il devait vraiment se demander d’où je pouvais bien connaître les noms, des événements tellement précis qu’il devait comprendre que j’avais déjà largement étudié leur histoire.

Aussi se sont-ils peut-être dit que je devais être apte à placer l’histoire qu’il me confiait dans la grande Histoire dont je leur montrais qu’elle m’était déjà familière. Ils ont, par ailleurs, sans doute perçu que je ne cherchais ni à les croire ni à ne pas les croire, autrement dit que je n’avais pas d’idée préconçue, mais que je cherchais juste à faire mon chemin afin de comprendre. Ils ont pour certain probablement repéré les quelques moments à l’occasion desquels j’ai tenté de faire apparaître des contradictions de leur part, mais ne s’en sont jamais plaint, car ils ont saisi, selon moi, que j’étais dans une démarche bien précise, et se sont prêtés à ce jeu avec patience. Ensuite il y a certes l’humain. Les choses passent ou ne passent pas. Là, elles sont passées.

IGIHE : Il y a aussi cette quinzaine de soldats français venus à la mi-mai 1994 à Gishyita, près de Kibuye, qui m’intéresse. Qui était donc derrière cette organisation qui allait préparer l’arrivée d’autres militaires dans la zone turquoise ?

Serge Farnel : Il y a maintenant suffisamment de témoignages permettant de nous faire comprendre que c’est bien l’armée française qui était derrière cette organisation. Les rescapés ne nous parlent eux que de soldats blancs, sachant qu’ils ne sont bien sûr pas en mesure de savoir que ces soldats blancs qu’ils aperçurent ces 12 et 13 mai étaient français. C’est du côté des génocidaires que l’on comprend qu’ils étaient bien français. Il y a également dans le livre un témoignage nous indiquant le lien qu’il y avait entre ces hommes du 13 mai et ceux de Turquoise. Aussi la question de savoir si ces soldats français du 13 mai étaient ou non des mercenaires est une fausse question.

C’est un leurre destiné à nous faire penser que la grande question ne serait toujours pas résolue. Classique. Et puis, imaginez-vous vraiment que des soldats français aient ainsi opéré au côté de soldats rwandais le 13 mai sans que l’état-major personnel de François Mitterrand n’ait été au courant ? Rappelons, à toute fin utile, qu’un envoyé des forces génocidaires, un certain Ephrem Rwabalinda, était au même moment (du 9 au 13 mai 1994) à Paris au côté du général français Huchon, s’accordant notamment sur la livraison d’un téléphone crypté afin que ce dernier puisse converser en toute sécurité avec le chef d’état-major des Forces armées rwandaises, dont les hommes massacraient au même moment les civils tutsi de Bisesero au côté de ces soldats français. Et puis sachez que nous avons d’autres témoignages que mon éditeur est en train de recouper et qui enfoncent le clou de façon définitive. Je vous le dis.

La couverture du livre « Rwanda, 13 mai 1994. Un massacre français ? »

IGIHE : Votre éditeur poursuit l’enquête ?

Absolument. C’est une co-édition entre les éditions Aviso et l’Esprit frappeur. Il y a d’un côté Michel Sitbon (L’esprit frappeur), une véritable conscience incarnée. C’est un visionnaire. Il a toujours un coup d’avance. Quand je suis revenu avec les premiers témoignages filmés racontant cette participation directe des soldats français au génocide, il m’a semblé que je perdais mon temps à vouloir les lui montrer tellement ça lui paraissait évident. Il l’avait tant senti. Aviso, c’est Bruno Boudiguet. Un type fantastique. Ces deux-là m’ont donné le courage qu’il fallait pour finir de consigner dans l’Histoire ce qu’on m’avait confié.

C’est Bruno qui poursuit l’enquête. Et il ne lâche pas la bête ! Ca je vous le dis. Il est pire que moi au niveau détermination. Ca va me permettre de souffler. Pour la petite histoire : il s’est rendu cet été au Rwanda, a recueilli des témoignages qui ont confirmé cette participation active de soldats français au massacre de Bisesero le 13 mai. Mais rendez-vous compte : il a appris que cette histoire était déjà racontée il y a dix-huit ans ! Mais pas rendue publique pour autant.

En fait voilà ce qui s’est passé : mon éditeur a voulu en savoir davantage sur un massacre qui a eu lieu pendant le génocide à Karongi, pas loin de Bisesero. Même si le sujet n’était pas celui de Bisesero, il a pris l’initiative de montrer mon livre à un des témoins qui lui a tout de suite dit qu’il connaissait cette histoire de la participation de soldats blancs au massacre du 13 mai à Bisesero, mais pas depuis peu, non, depuis dix-huit ans ! Il se trouve qu’un rescapé lui en avait effectivement parlé à cette période. Mon éditeur parvient à retrouver cette personne qui est un témoin direct du massacre du 13 mai. Il le filme, le témoin racontant précisément l’histoire qu’on m’a raconté à partir de 2009. Comme quoi, il en aura fallu de peu que cette histoire ne soit racontée qu’entre quelques personnes.

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