Nucléaire iranien : "Mister Fabius, is there a deal ?"

Redigé par Le monde
Le 25 novembre 2013 à 10:13

Genève, envoyé spécial. Il était 2h56 dimanche matin lorsque Laurent Fabius est apparu en haut des escaliers de l’hôtel Intercontinental. La dernière réunion des négociations pour un accord préliminaire sur le nucléaire iranien à Genève venait de se terminer et le ministre français des Affaires étrangères était, comme lors de la session précédente le 17 novembre, le premier à en sortir. Laurent Fabius, après l’annonce de l’accord sur le nucléaire iranien, le 24 novembre.
Dans le lobby, l’ambiance était (...)

Genève, envoyé spécial. Il était 2h56 dimanche matin lorsque Laurent Fabius est apparu en haut des escaliers de l’hôtel Intercontinental. La dernière réunion des négociations pour un accord préliminaire sur le nucléaire iranien à Genève venait de se terminer et le ministre français des Affaires étrangères était, comme lors de la session précédente le 17 novembre, le premier à en sortir.

Laurent Fabius, après l’annonce de l’accord sur le nucléaire iranien, le 24 novembre.

Dans le lobby, l’ambiance était électrique depuis une demi-heure. Une vingtaine de policiers en civil munis d’oreillettes et, pour certains, de gilets pare-balle, avaient repoussé des deux côtés de l’entrée la centaine de journalistes, dont certains attendaient là depuis 24 heures.

Au premier étage, un bal de charité pour expatriés anglo-saxons tirait à sa fin après avoir levé plus de 55 000 francs suisses (45 000 euros) pour quatre ONG en faveur de l’enfance défavorisée.

Des femmes en long fuseau noir ou en déshabillé transparent sur des talons interminables traversaient le hall en titubant pour rejoindre leur voiture.

"Qu’est-ce que je me sens moche, à côté d’elles", grommelait une journaliste iranienne en foulard qui n’avait pas pris assez d’habits de rechange pour ces négociations à rallonge, commencées mercredi matin.

Quelques minutes plus tôt, un Ecossais complètement ivre qui avait tenté de s’introduire dans la salle des négociations avait dû être évacué discrètement par les policiers.

SOULAGEMENT CHEZ LES JOURNALISTES

Le temps que Laurent Fabius arrive en bas des marches, les journalistes l’assaillaient. "Mister Fabius, is there a deal ?", a crié un Américain. Mister Fabius n’a rien dit. Il a juste levé le pouce et hoché de la tête, sans cesser d’avancer vers la sortie, protégé par une escouade de conseillers et de gardes. Cela a pourtant suffit à déclencher un déluge de messages sur Twitter.

Un grand soulagement, voire une certaine allégresse, s’est alors emparée des journalistes de toutes nationalités massés dans le lobby du cinq étoiles, iraniens et israéliens côte à côte, se montrant réciproquement les messages qu’ils étaient en train d’envoyer.

Certains ont applaudi. Seuls les Chinois n’étaient plus là : ils avaient quitté l’hôtel en ordre rangé vingt minutes plus tôt, lâchant à la stupeur générale qu’ils avaient reçu instruction d’aller dormir et que rien ne se passerait avant le lever du jour.

Sur les fauteuils du fond, on entendit quelques voix dissonantes, comme celle de ce correspondant d’une agence de presse anglo-saxonne : "C’est dingue. Ils nous font attendre cinq jours dans un hall d’hôtel puis disparaissent sans rien dire. On sert à quoi ?".

Chacune à son tour, toutes les quelques minutes, les autres délégations ont quitté l’Intercontinental dans le même silence, en direction du Palais des Nations, pour la signature officielle de accord. L’agence de presse iranienne ISNA avait affirmé quelques minutes plus tôt qu’il s’agissait d’un texte de quatre pages.

DU CHOCOLAT POUR KERRY

La journée avait pourtant plutôt mal commencé. Muets ou sybillins, les négociateurs se contentaient d’insister qu’il restait bien des différences à combler. Contrairement à la précédente session à Genève, du 15 au 17 novembre, impossible cette fois de savoir quelle réunion avait lieu entre qui et qui et dans quel format, bilatéral ou multilatéral.

Difficile aussi de comprendre si l’arrivée surprise au milieu de ce marathon diplomatique des ministres des affaires étrangères, à commencer par le russe Sergei Lavrov, avait permis d’accélérer ou pas les discussions.

Au fil des heures, la notion d’accord "imminent" semblait très extensible, voire rétractable, et tout le monde se livrait à un exercice de surinterprétation du moindre présage.

Lorsque John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, a filé dans l’après-midi acheter du chocolat chez Auer, au centre de Genève, réputé pour ses truffes noires, le bruit a couru que l’accord était signé.

Enthousiasme douché quelques heures plus tard quand le vice-ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi, déclarait que 98 % des difficultés étaient aplanies. Dans des négociations tellement tendues, les 2 % restants pouvaient signifier qu’elles avaient échoué.

De fait, il a fallu le pouce levé de Laurent Fabius juste avant trois heures du matin pour faire entrer le dimanche 24 novembre 2013 dans l’histoire des grands accords diplomatiques.


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