Pour le directeur de recherche à l’Iris, c’est une vraie dictature que le pouvoir en place au Burundi fait subir à sa population.
Épuration ethnique de l’armée, opposants réduits au silence, populations civiles attaquées… Pas de doute pour la Fédération internationale des droits de l’homme, le régime burundais s’enfonce dans la violence et transforme le pays en dictature.
Dans son dernier rapport publié le 4 juillet dernier avec l’aide d’organisations partenaires locales, la Fidh avertit la communauté internationale sur les violences persistantes dans l’ensemble du pays. Elle pointe du doigt « le manque de fermeté de la communauté internationale et son incapacité à mettre en œuvre ses propres décisions – notamment les mesures de protection des populations civiles et la relance du dialogue politique ».
Le pays traverse une grave crise depuis la décision de Pierre Nkurunziza, en avril 2015, de briguer un troisième mandat, qu’il a d’ailleurs obtenu au mois de juillet suivant. Pour mettre fin aux violences et créer les conditions d’un dialogue utile au pays, Michel Kafando, ancien président de la transition au Burkina Faso, a été désigné comme nouvel émissaire de l’ONU au Burundi. Il a effectué fin juin une première visite à Bujumbura.
Mais le processus de sortie de crise est resté au point mort. Observateur averti de la réalité burundaise, Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), s’est confié au Point Afrique à ce propos.
Que se passe-t-il au Burundi, finalement, deux ans après le début de la crise politique ?
Philippe Hugon : Depuis deux ans, la situation n’a cessé de s’aggraver au Burundi. Nkurunziza a fait ce que l’on peut appeler un coup d’État constitutionnel et a remis en question beaucoup de principes de l’accord d’Arusha comme l’équilibrage ethnique entre Hutu et Tutsi, notamment dans l’épuration de l’armée, et avec les assassinats ciblés.
Le régime s’appuie sur une milice hutu et est devenu un parti-État, le CNDD-FDD, le parti de Nkurunziza. Beaucoup de dérive autoritaire a conduit la Fidh à parler de dictature. Cependant, je ne pense pas que le Burundi soit une dictature. C’est un régime très autoritaire et à la dérive, donc qui peut tendre à en devenir une (une dictature, NDLR) si rien ne change. Et on sait également que l’histoire du Burundi, comme celle du Rwanda, a été marquée par des génocides historiques.
Si en deux ans rien n’a changé, pourquoi la communauté internationale reste-t-elle inactive ?
Face à cela, on peut dire que la communauté internationale est extrêmement silencieuse. Elle a simplement fait des déclarations et des enquêtes. Le vrai problème est qu’il n’y a pas vraiment de force de l’Union africaine ou de force entre l’Union africaine et les Nations unies qui serait capable de rétablir l’ordre. Bien entendu, des sanctions sont indispensables, sans pour autant qu’elles nuisent aux populations. C’est toujours très difficile de faire des embargos, car les populations sont les premières victimes.
Donc, dans le cas présent, ce que l’on peut dire, c’est que le Burundi est un pays qui n’intéresse pas grand monde, un pays enclavé qui n’est pas stratégique et qui n’a pas de minerais. C’est une situation de drame, sans médias, à l’écart du monde. Et, dans ce contexte, le régime ne cesse de se durcir, ce qui peut éventuellement conduire à une dictature.
Pensez-vous que le manque d’actions de la communauté internationale est dû au fait que le Burundi se soit marginalisé ces deux dernières années ? Quelles solutions peuvent être adoptées ?
Le Burundi est en marge de la communauté internationale et il est évident que les dictateurs ne tiennent pas à ce que la Cour pénale internationale soit présente. Une démarche que les États-Unis soutiennent étant donné qu’ils ne sont pas membres de la CPI et sont contre tout ce qui est multilatéralisme actuellement, ce qui n’était pas le cas à l’époque d’Obama. Je pense qu’il y a des négociations qui sont évidemment envisagées, mais, jusqu’à présent, depuis deux ans, Nkurunziza a montré qu’il n’était pas du tout à l’écoute de la communauté internationale et encore moins des voisins africains.
Il y a donc des rapports de force à établir…
Des solutions sont possibles et prioritairement internes, de la part des Burundais. Il faut que des forces d’opposition apparaissent de façon structurée et soient appuyées par un certain nombre de pays voisins. C’est comme ça que le Burundi pourra évoluer vers une situation davantage pacifiée. Et si, simultanément, il y a des appuis internationaux qui limitent une nuisance de la part du président Nkurunziza, je pense que le régime pourra se réformer. Et il est évident qu’il faut mettre Nkurunziza au ban de la communauté internationale puisqu’il a bafoué les règles minimales du droit.
Avec la publication du rapport de la Fidh, la communauté internationale va-t-elle réagir ? Surtout pour protéger les populations ?
Il faut assurément faire connaître les situations de dérive, c’est le rôle des journalistes et des ONG. C’est le rôle de tous ceux qui sont sensibles aux drames humains, car il faut informer le monde. Cela étant, les enjeux stratégiques rentrent aussi en compte, d’autant plus que la communauté internationale est déjà mobilisée dans beaucoup de conflits comme le terrorisme ou le djihadisme. Néanmoins, on considère que le Burundi est un cas prioritaire.
Le Burundi est un enjeu en partie stratégique pour les pays francophones. Quel rôle la France peut-elle jouer dans la résolution de ce conflit ?
Il ne faut pas oublier que le Burundi reste un petit pays, enclavé, ignoré. On ne va donc pas dépenser des mille et des cents pour lui. De plus, nous sommes dans un contexte où les États-Unis cherchent à se désengager globalement de tout ce qui concerne les aides à l’Afrique. Ils voient l’Afrique sous le prisme du terrorisme, ce qui n’est pas le cas au Burundi, donc on ne peut pas dire que les États-Unis seront d’un appui important pour rétablir la démocratie.
D’autant plus que, selon Trump, la démocratie n’est pas quelque chose de souhaitable en Afrique…
C’est pour cela ainsi que pour de nombreuses raisons que je suis très inquiet quant à la situation du Burundi, car je vois mal la communauté internationale se mobiliser. S’il y avait évidemment une dérive génocidaire, oui, on aurait bien sûr une réelle mobilisation, car il y a quand même l’histoire du Rwanda qui reste présente dans les esprits.
Il est en plus évident que Kagame, président du Rwanda, qui est lui-même Tutsi, n’accepterait pas le massacre et le génocide des Tutsi du Burundi et interviendrait militairement en liaison avec Yoweri Museveni, président de l’Ouganda. Nkurunziza est globalement soutenu par la République démocratique du Congo et par le régime de Kabila. Il est ainsi certain que les cartes sont aussi entre les mains des pays africains. Mais il est indéniable que Kagame, d’une part, et Museveni, de l’autre, défendront plutôt les minorités tutsi qui sont actuellement en partie très menacées, arrêtées et assassinées. En conséquence, si la communauté internationale n’intervient pas, il y aura peut-être une réponse africaine à ce drame.
Avec Bujumbura news
AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!