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Présidentielles et formes de démocratie : le cas de la France et du Rwanda

Redigé par Andre Twahirwa
Le 21 août 2017 à 07:14

Le recours au suffrage universel et les pratiques électorales ne sont qu’un élément dans la vie politique d’une nation. Il faut donc les replacer dans le contexte politique général, lui-même lié au contexte historique et culturel national. La France et le Rwanda sortent, tous les deux, des Présidentielles. Deux moments forts pour ces deux pays qui ont en commun d’être des régimes présidentiels ou semi-présidentiels. Mais la première est une des plus anciennes démocraties libérales tandis que le second (...)

Le recours au suffrage universel et les pratiques électorales ne sont qu’un élément dans la vie politique d’une nation. Il faut donc les replacer dans le contexte politique général, lui-même lié au contexte historique et culturel national.

La France et le Rwanda sortent, tous les deux, des Présidentielles. Deux moments forts pour ces deux pays qui ont en commun d’être des régimes présidentiels ou semi-présidentiels. Mais la première est une des plus anciennes démocraties libérales tandis que le second est le seul pays (africain) à pratiquer la démocratie participative. Le rapprochement des deux systèmes politiques apporte un éclairage particulier sur le fonctionnement de la vie politique de l’un et de l’autre pays en général, sur leurs particularités électorales par exemple.

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La victoire d’Emmanuel Macron et celle du Président Paul Kagame ont, toutes les deux, fait couler beaucoup d’encredans les médias occidentaux, en général, et dans les médias français, en particulier. Elles sont toutes les deux atypiques mais pas pour les mêmes raisons. La France s’attendait à un président de gauche ou de droite, qui aurait succédé à un président sortant (de gauche), qui ne se représentait pas : les présidentielles ont accouché d’un président et de gauche et de droite. Élu à 66,10% avec 74,56% de votants : un score exceptionnellement élevé en Terre occidentale mais qui était loin d’égaler les 82,21%, sur 79,70% de votants, obtenus par le Président Jacques Chirac en 2002.

Le 4 août dernier les Rwandais ont voté pour Paul Kagameà 98,66 %, avec 96,42 % de votants. En toute logique mathématique : ils avaient dit « oui » à 98,9 % au Référendum d’origine populaire de 2015, qui lui permettait de se représenter à un troisième mandat.

Pour la « Communauté Internationale », l’inattendue et éclatante victoire de l’actuel occupant de l’Élysée s’explique par le contexte : il fallait absolument sortir de la sempiternelle opposition gauche/droite, devenue stérile, et barrer la route au Front national de Marine Le Pen, présente au second tour comme son père en 2002.

Par contre, pour ladite « Communauté internationale », le score de 98,6 %, avec 96,42 %de votants, obtenu par le Président Paul Kagame s’expliquerait par le caractère dictatorial du régime de Kigali. Un « score à la soviétique ». Alors qu’il s’agit, mutatis mutandis, d’un score à la Macron en 2017 ou, mieux, d’un score « à la Chirac » en2002. Le principe est simple et universel : à situation exceptionnelle, solutions exceptionnelles. Et un homme d’État à la hauteur pour incarner et porter ces solutions. En effet, le Front National a été présent au second tour des Présidentielles pour une deuxième fois en 15 ans, c’est que l’avertissement de 2002 était passé par pertes et profits.

En 1959, le Rwanda aurait pu sortir de la domination coloniale par le haut. Dans l’unité nationale et la souveraineté retrouvée. Le régime de la démocratie « ethnique », issu de « Révolution assistée » par l’Occident, a conduit une nation multiséculaire à son anéantissement en 1994. Mais, pour ne pas rater, une fois de trop, la bonne sortie et le « retour à soi » par le haut, le pays de Gihanga a choisi de renouer avec ses racines. Il a opté pour des solutions rwandaises aux problèmes rwandais : les solutions endogènes sont les outils de la démocratie (à dominante) représentative et « le partage équitable du pouvoir » est inscrit dans la Constitution.

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Ce n’est que dans le cadre de ce modèle politique endogène que les Présidentielles rwandaises peuvent être objectivement perçues et judicieusement décryptées. En replaçant la pratique électorale dans la cohérence du système national.

Dans une démocratie à la française, le devoir du citoyen est de voter. « Après quoi, comme il est normal et sain, il retourne à ses préoccupations personnelles qui ont leur grandeur » (Michel Debré, Ces princes qui nous gouvernent : lettre aux dirigeants de la nation, 1957). Cette insuffisance de la pratique citoyenne et l’exaspération face aux promesses non tenues, malgré les alternances gauche/droite successives, sont à l’origine d’un des grands maux des démocraties occidentales, l’abstentionnisme.

En France l’abstention ne cesse de monter même aux Présidentielles : 16,03 % au second tour 2007 à 25,44%en 2017 en passant par 19,52% en 2012. Le record d’abstention avec 69,8%est atteint au Référendum de 2000 sur le passage du septennat au quinquennat.

Dans une Démocratie (à dominante) participative, ce n’est pas l’alternance au pouvoir qui prime : c’est la participation réelle du peuple à la chose publique. Le rwandais est citoyen sur toute l’année et son réflexe citoyen quasi conditionné. Dans ce cas, accomplir le simple devoir de vote va de soi et l’abstention est quasi inexistante. Par ailleurs, en l’absence de clivages idéologiques et/ou catégoriels au sein de la société rwandaise, la campagne présidentielle se déroule dans un climat apaisé et l’électorat n’est pas idéologiquement « prédéterminé » dans son vote : les électeurs sont invités à voter et ils votent « pour » le meilleur candidat et non « contre » l’un ou l’autre candidat, qui serait de son camp. Seul critère qui vaille : les résultats et/ou la crédibilité du candidat. Un électorat non éparpillé donc.

Ce qui explique le score très élevé pour le candidat Paul Kagame : un candidat « bien au-dessus du lot », qui a fait ses preuves et qui est de loin le plus crédible pour continuer à consolider les résultats extraordinaires au premier rang desquels le modèle politique endogène, qui a permis de recouvrer la dignité dans l’unité et la souveraineté nationale.

Le score de 2017 est d’autant plus élevé que les 8 principaux partis qui participent au « Forum national de Concertation des Formations Politiques » ont tous, contrairement aux Présidentielles précédentes, rejoint le FPR pour désigner Paul Kagame comme candidat. Comme ils avaient tous appelé à voter « oui » au Référendum de 2015. Et comme ils vont, dans le cadre du « partage équitable du pouvoir », continuer à travailler ensemble pour consolider les résultats exceptionnels engrangés en seulement 23 ans.
La France, elle, a besoin que la refondation de la vie politique portée par le Président Emmanuel Macron et son nouveau parti, « la République en marche », réussisse.

Et pour bien entrer dans les mœurs politiques, le nouveau modèle de partage ou plutôt de départage du pouvoir a besoin de temps, de beaucoup de temps. Une gageure au pays des très destructeurs clivages idéologiques et catégoriels, qui viennent de très loin et qui fonctionnent aujourd’hui en mode de réflexe conditionné. Il faut ajouter à ce handicap un autre : le mandat présidentiel est passé de 7 ans à seulement 5 ans en 2000 et le nombre de mandats a été limité à deux en 2008. Et, dans les deux cas, pour des raisons politiciennes.

*Twahirwa André est africaniste et élu local en Île-de-France


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