Le ton est encore monté d’un cran entre le Rwanda et le Burundi en fin de semaine dernière, après la tonitruante sortie devant la commission des Affaires étrangères au Sénat américain de Tom Perriello et de Linda Thomas Greenfield, respectivement envoyé spécial des Etats-Unis pour les Grands lacs et secrétaire d’Etat adjointe pour l’Afrique, qui condamnaient très explicitement l’implication de Kigali dans la déstabilisation de son voisin burundais.
Les Etats-Unis ont précisément accusé le Rwanda de recruter et de former des Burundais réfugiés sur son sol afin de préparer une rébellion qui ira débarrasser le Burundi et l’Afrique de l’un des despotes les plus cruels.
Il n’en fallait pas davantage pour que Pierre Nkurunziza et sa meute de conseillers appellent leurs militants à descendre dans la rue par monts et par vaux, pour fustiger l’attitude belliqueuse du Rwanda et entonner des chants à l’honneur de leur armée et de l’invincible Burundi.
On ne pouvait évidemment que s’attendre à de telles manifestations spontanées de la part des suppôts du régime burundais, d’autant que même les Etats-Unis dont les services de renseignements sont aussi crédibles que l’Evangile, ont confirmé l’existence de ce que beaucoup savaient déjà, c’est-à-dire une rébellion armée et entraînée par le Rwanda pour ajouter du chaos au chaos en cours au Burundi.
Certes des notes confidentielles d’un groupe d’experts indépendants pour l’ONU recoupant des témoignages recueillis auprès de réfugiés burundais avaient fait état de cette rébellion en gestation depuis le territoire rwandais, mais jamais le régime burundais ne s’est senti aussi légitime et aussi victime des sournoiseries de la part de son voisin que quand la puissante Amérique a condamné, pour ainsi dire, le fauteur de troubles rwandais.
On peut d’ailleurs se demander si Washington ne s’est pas fourvoyé, ou n’a pas simplement jeté de l’huile sur le feu en donnant sans doute involontairement l’impression au boucher de Bujumbura, qu’il s’agit là d’un soutien tacite à sa dictature.
Que les Etats-Unis et la communauté internationale dénoncent et condamnent sans réserve les pays qui servent de tête de pont ou de pont arrière à la déstabilisation d’autres pays, est tout à fait normal et conforme à la Charte des Nations-Unies.
Mais lorsqu’il s’agit, comme dans le cas du Burundi, de citoyens contraints à l’exil définitif ou à la mort par un tyran monomaniaque et paranoïaque, la grille de lecture de la charte onusienne ne devrait plus être la même.
Paul Kagame aurait pu servir de cheval de Troie dans la lutte contre le têtu de Bujumbura
Pour sauver l’Irak d’un puissant dictateur, les Etats-Unis n’ont-ils pas escaladé les murs de l’ONU pour lancer des frappes chirurgicales et sans anesthésie sur Bagdad depuis la Méditerranée orientale ?
Une coalition internationale amenée par la France, la Grande Bretagne et les Etats-Unis, n’a-t-elle pas fait voter en catimini une résolution sous le Chapitre 7 de la charte des Nations-Unies qui l’autorisait à faire tomber un tapis de bombes sur la Lybie parce qu’elle soupçonnait Mouammar Kadhafi de vouloir massacrer les populations insurgées de Benghazi ?
Comparaison n’est pas raison, il est vrai, mais pourquoi dans le cas burundais, s’offusquer du fait que Kagame accueille et arme les réfugiés burundais ?
ONU apathique, UA complice
L’ONU ayant fait preuve d’apathie et l’UA de complicité passive vis-à-vis de Pierre Nkurunziza, il ne reste plus que les Burundais qui ont eu la chance d’échapper au marquage à la culotte des sécurocrates de Pierre Nkurunziza pour relever l’immense défi de ramener la paix et la tranquillité dans ce pays qui se rapproche dangereusement et de plus en plus du précipice, s’il n’y est pas déjà.
Et comme on sait que plus la guerre dure, plus elle est dévastatrice, les Etats-Unis et la communauté internationale devaient plutôt aider le peuple burundais en danger d’extermination à finir le « job » au plus vite, en fournissant des renseignements et en aidant financièrement les Burundais en rupture de ban avec le régime en place à Bujumbura.
Si par principe ils ne peuvent cautionner, encore moins soutenir ouvertement de telles actions de déstabilisation, ils devraient pouvoir « sous-traiter » avec un pays de la région qui pourrait servir de base arrière aux Burundais, civils et militaires actuellement en déshérence.
Le problème est que le cancer burundais a déjà gangrené politiquement tous les chefs d’Etat des Grands lacs y compris le « warrior » Paul Kagamé, et quasiment tous ont suivi les pas de Nkurunziza et ont « lessivé » leurs Constitutions pour les adapter à leurs ambitions personnelles.
Beaucoup d’entre eux admirent et soutiennent en sourdine le chef de l’Etat burundais dans sa résistance face aux pressions internationales et de Washington, et se trahiraient eux-mêmes s’ils venaient à conspuer ou à combattre celui par qui le glas de l’alternance a été sonné dans beaucoup de pays africains en 2016.
Quant à Paul Kagame qui fait l’objet aujourd’hui de critiques pour son soutien réel ou supposé aux rebelles burundais, il aurait pu servir de cheval de Troie dans cette lutte contre le têtu de Bujumbura s’il n’avait pas lui-même fait adopter une Constitution qui lui ouvre les portes de la présidence jusqu’en 2034 (même Nkurunziza n’envisage peut-être pas aller aussi loin dans ses ambitions personnelles) et s’il n’était pas Tutsi.
A présent, il faut craindre que l’implication réelle ou supposée de Kagame dans la situation burundaise ne soit utilisée par le président hutu du Burundi comme prétexte à l’ethnicisation du conflit, avec son lot de conséquences encore plus dévastatrices que la répression des opposants orchestrée par les alguazils de Nkurunziza.
Maintenant qu’il est fiché comme despote et agresseur, Paul Kagame qui menace de renvoyer les milliers de réfugiés burundais vers d’autres pays d’accueil arrivera, peut-être, par ce chantage qui ne dit pas son nom, à faire taire les critiques qui ne font qu’apporter de l’eau au moulin de Nkurunziza et reléguer au second plan ce qui aurait dû être le seul sujet de préoccupation de la communauté internationale, c’est-à-dire la paix, la sécurité et l’alternance au Burundi.
par Ahmadou Gadiaga
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