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Noirs desseins des Fldr

Redigé par Rucibigango Jean Baptiste
Le 3 septembre 2014 à 10:03

Le 13 mai 2012 à Kamalanga, un village situé à 3 kilomètres de la localité est-congolaise de Bunyakiri, dans la province du Sud-Kivu, au milieu de la nuit, des rebelles rwandais des FDLR [Forces Démocratiques de Libération du Rwanda], comme ils se disent, surgissent de la forêt tout proche. Munis de machettes, de gourdins et de couteaux, ils attaquent et s’acharnent, en particulier, sur les fillettes et les femmes dont la plupart sont tuées sur place après être systématiquement violées, les (...)

Le 13 mai 2012 à Kamalanga, un village situé à 3 kilomètres de la localité est-congolaise de Bunyakiri, dans la province du Sud-Kivu, au milieu de la nuit, des rebelles rwandais des FDLR [Forces Démocratiques de Libération du Rwanda], comme ils se disent, surgissent de la forêt tout proche. Munis de machettes, de gourdins et de couteaux, ils attaquent et s’acharnent, en particulier, sur les fillettes et les femmes dont la plupart sont tuées sur place après être systématiquement violées, les survivantes emmenées en captivité dans la forêt.

La décapitation d’une fillette par un milicien Interahamwe. Dessin extrait du livre : « Bras de fer franco- rwandais- rétrospective », Kigali, juillet 2007.

A l’aube, le lendemain, les Casques bleus des Nations Unies basés dans cette localité, qui ne sont pas intervenus durant toute la nuit, dénombrent là 32 cadavres et plus de 200 blessés graves, sans compter les huttes brûlées et des biens pillés, y compris le bétail appartenant à ces humbles villageois. Au milieu des tas de cadavres, l `on a pu distinguer une fillette d’environ 3 ans morte le sexe déchiré par des viols successifs. Ici des sexes d’hommes en folie avaient suffi à détruire la vie d’une enfant.

Même si la guerre civile couvait depuis longtemps dans les deux provinces du Kivu, au Nord et au Sud, c’est dans la foulée du génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994 que cette région se voit précipitée dans la tourmente. La guerre y prend un nouveau visage, celui de la barbarie pure, de la cruauté gratuite, avec pour visées principales les femmes mutilées, le clitoris coupé, la vessie éclatée et des seins sectionnés au couteau. Les viols auxquels les maris, les voisins, les enfants sont souvent obligés d’assister, se déroulent sans autre motivation que faire souffrir, humilier et terroriser.

A l’Est de la RDC, le corps de la femme est devenu le champ de bataille d’une guerre de « basse intensité » ! Il se passe là-bas quelque chose que l’on ne peut plus taire, regarder sans frémir et sans se révolter. Quelque chose qui, au tréfonds de nous récuse un fonds commun d’humanité avec ceux qui font « cela ».

Cet article s’inspire d’un ouvrage de référence qui s’intitule « L’Homme qui répare les femmes » , édité en 2012 à Bruxelles, par le groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité [GRIP]. Avec ce livre, ses deux co-auteurs souhaitent dénoncer et amplifier les horreurs intolérables qui, à l’instar du génocide contre les Tutsi du Rwanda en 1994, sont commis presque quotidiennement, spécialement contre les enfants et les femmes, dans l’Est de la RDC et qui pourraient avoir des implications dans l’ensemble des Grands Lacs. Colette Braeckman est une journaliste de notoriété internationale, chargée de l’actualité africaine au journal Le soir de Bruxelles. Docteur Denis Mukwege, diplômé de la faculté de médecine de l’université officielle du Burundi (UOB) en 1983, est médecin-chef de l’hôpital de Panzi à Bukavu. Alors que les viols et les mutilations étaient devenus monnaie courante, il se spécialise, au cours de ses études post-universitaires en France, dans une prise en charge holistique des victimes des violences sexuelles. Dès 2008, son action est couronnée de nombreux prix, dont celui de la fondation Olof Palme-du nom d’ancien premier ministre suédois assassiné par un agent du régime sud- africain d’Apartheid, et celui de la commission des droits de l’homme des Nations Unies, grâce auxquels il réussit à faire connaître au monde la barbarie sexuelle commise dans l’Est de la RDC.

La naissance d’une vocation

Lorsque ses études achevées à l’UOB, le jeune médecin Mukwege se retrouve en poste à Lemera au Sud-Kivu, d’où il est originaire-dans un hôpital fondé en 1930, géré par les protestants, installé au pied des hauts plateaux où vivent les éleveurs Banyamulenge. Ses consultations aussi bien de ces pasteurs apparentés aux Tutsi du Rwanda et du Burundi que des cultivateurs venus d’un peu partout dans la plaine de la Ruzizi et des habitants du moyen plateau, habités par une autre peuplade-ces villages de montagne où l’on cultive de la même manière qu’au Rwanda, sur d’étroits lopins de terre taillés dans les flancs des collines, le préoccupent.

A Lemera, chargé d’assurer la permanence des consultations, Dr Mukwenge découvre une réalité horrible qu’il n’avait jamais imaginé auparavant. A plusieurs reprises, les femmes que l’on lui amène en urgence sont inanimées, couvertes de sang. Bien souvent, portées à dos d’homme sur des brancards, les malheureuses ont rendu l’âme durant le trajet. Et, lorsqu’elles respirent encore, toute intervention s’avère inutile […].

« Lorsque j’étudiais à Bujumbura, avoue-t-il, j’étais loin de m’imaginer les conditions dans lesquelles vivaient les femmes de la compagne : mariées trop jeunes, astreintes à des tâches manuelles harassantes, avec des grossesses à répétitions, sur des corps déjà épuisés. A cette époque, ajoute-t-il, mes aînés m’expliquaient que les femmes atteintes de « bwaki », avaient le bassin étroit, ce qui les empêchait d’accoucher normalement. » Op. cit., p.21. Avec les longues marches qu’elles devaient accomplir, à leur arrivée à l’hôpital, la rupture utérine avait déjà eu lieu. Elles saignaient à blanc et il ne pouvait plus rien faire. Plus tard, en 1998, lorsque Mukwege achève sa spécialisation en obstétrique à Angers en France, il ne s’interroge pas très longtemps à propos de son avenir : « Dès que j’ai eu terminé, dit-il, j’ai fait mes valises. »Op. cit, p.22.

Dr Denis Mukwege
Quant à son épouse, Madeleine Mapendo Kaboyi, avec laquelle il s’était marié en décembre 1983, elle s’était habituée à la douceur de vivre en France et la perspective de départ lui faisait mal. En 1988, en effet, l’ex-Zaïre du Maréchal Mobutu amorce son déclin. Il persiste apparemment encore aujourd’hui. Les institutions financières internationales ont tenté d’imposer la rigueur et le premier ministre Kengo wa Dondo, sous leur incitation, a sabré dans les dépenses de l’Etat, congédié 40.000 enseignants, aboli la gratuité de l’enseignement et imposé la politique de recouvrement des soins de santé, car il importait avant tout de rétablir l’équilibre monétaire.

Frappée de plein fouet par les mesures d’austérité, la population se révolte : les travailleurs multiplient des journées de ville morte, les grèves dégénèrent en émeutes plus ou moins sanglantes et les écoles ferment. Dans les centres médicaux, les patients renâclent à devoir payer le matériel médical, les médicaments, le fil et les aiguilles des chirurgiens et à rétribuer eux-mêmes le personnel soignant. La situation socio-économique du pays paraît globalement très chaotique et les militaires non payés ponctionnent régulièrement les populations en multipliant des barrages routiers et en procédant aux pillages massifs des magasins privés ainsi que des administrations publiques.

En fin de compte, le couple Mukwege-Mapendo Kaboyi finit par se mettre d’accord : tous partiraient ensemble, y compris les 3 trois enfants dont le cadet était né en France. Une seule précaution était toutefois prise : la famille prendrait des billets d’avion aller-retour car on ne savait jamais…

Dr Denis Mukwenge parcourut les 110 kilomètres menant de Bukavu à Lemera, plus au sud, les yeux fermés comme du temps de son enfance et de son adolescence. Mais, tout de même, il prit une précaution supplémentaire de laisser sa femme et ses enfants sous la protection de ses beaux-parents dans un milieu urbain à Bukavu, et les rejoignait un week-end sur deux, ainsi que durant les vacances scolaires, à Pâques et à Noël.

Dès son arrivée à Lemera, il prit en charge la formation des accoucheuses. Il s’agissait de leur apprendre le b. a. – ba de l’obstétrique, et il put constater qu’elles étaient très réceptives et travaillaient très soigneusement. Après une année, il a décidé d’aller plus loin et d’ouvrir une école technico-médicale de Lemera avec l’aide financière des infirmières et des médecins amis qu’il s’était fait lors de son séjour à Angers. Avec de l’argent patiemment collecté par les amis français, il fut en mesure d’acheter du ciment et des tôles pour la construction des ateliers de formation mixte des infirmiers et des infirmières professionnels, les briques étant produites directement sur place par la main-d’œuvre locale peu onéreuse.

Mais le problème de longues marches qui épuisaient les malades des hauts plateaux, de surcroît sous-alimentés et souffrant des anémies chroniques et du paludisme subsistait. Pour leur éviter le désastre qui les faisait arriver mourants à Lemera, l’unique solution consistait à décentraliser les soins médicaux. Soucieux de les rencontrer et de mieux connaître leur environnement, le médecin se mit à parcourir à pied les moyens et les hauts plateaux, une région splendide et isolée, l’une des moins connues du pays. « Sur des kilomètres, précise-t-il, il marchait sans rencontrer personne, sans que rien ne l’arrête. Il n’y avait que les oiseaux exotiques, les eaux fraîches des nombreux cours d’eau ; les paysages étaient magnifiques… ».

Vus de la plaine de la Ruzizi, ces plateaux barrent l’horizon de leur masse opaque et semblent inaccessibles, les décrit- elle si merveilleusement, à son tour, Colette Braeckman. Op. cit. p.26. Les Banyamulenge en avaient fait, depuis des siècles, leur forteresse inexpugnable, à partir de laquelle ils avaient résisté héroïquement aux différentes forces hostiles au cours de leur histoire ou opposé une neutralité bienveillante.

Au début des années 1990, lorsque Dr Mukwege parcourt ces vastes étendues quasi-vierges, il est frappé par le calme de leurs habitants et leur relative prospérité : « Ils vivaient en symbiose avec leurs vaches et m’accueillaient avec sympathie. Ils faisaient du feu pour moi, m’offraient du lait, me proposaient des pommes de terre. Jamais je n’ai vu un Munyamulenge mendier. Ils n’étaient pas vraiment riches, mais se suffisaient à eux-mêmes. Lorsqu’ils avaient besoin d’argent, pour un deuil, un mariage, un traitement médical, ils avaient toujours la possibilité de vendre une vache ou un taureau.

Leur autonomie financière était assurée...Lorsqu’ils se présentaient à l’hôpital, ils étaient les seuls à s’acquitter de leur facture, sans problème… Les femmes n’étaient jamais atteintes de maladie sexuelle transmissible, cela n’existait pas chez eux. » Op.cit., p.28. Avec eux, Dr Mukwege trouvait que son travail avait un sens, que les choses avançaient, qu’il formait à son hôpital des collaborateurs sincèrement motivés pour améliorer le sort de leurs concitoyens, et considérait qu’il y avait là des raisons d’espérer.

Le contexte géopolitique sous-régional explosif

Le 1er Octobre 1990 éclate la guerre civile rwando-rwandaise depuis la frontière sud-orientale d’Uganda. Des jeunes gens de la seconde génération des réfugiés tutsi, en majorité, mais aussi issus de l’émigration hutu en quête du travail en Uganda, retenus là depuis des décennies par les politiques discriminatoires successives des présidents Grégoire Kayibanda et Juvénal Habyarimana, entament les hostilités sous la bannière du Front Patriotique Rwandais [FPR], un mouvement de libération rassembleur qui lutte, en particulier, pour obtenir le rapatriement des plus anciens réfugiés d’Afrique. Par manque d’espace, nous ne revenons pas ici sur les détails de ce conflit, mais uniquement sur ses plus importantes implications géopolitiques régionales.

Plus tard, en 1993,sous la pression de la communauté internationale, Etats-Unis, Nations Unies, OUA, France et Belgique notamment, le FPR d’un côté, le gouvernement rwandais et les principaux partis d’opposition de l’autre, avaient fini par signer un accord de paix impliquant la formation d’un gouvernement d’union nationale, un parlement de transition et la fusion de 2 armées, incluant le FPR, et bien entendu le rapatriement des réfugiés. Présenté comme une victoire de la diplomatie internationale, l’accord de paix d’Arusha [Tanzanie] sur le Rwanda paraissait, cependant, en réalité, très fragile. D’ailleurs, en connaissance de cause, l’un de ses cosignataires, l’ex-président Juvénal Habyarimana qualifierait cet accord, bientôt, de « chiffons de papier ».

L’intégration du FPR dans la future armée nationale signifiait aussi la mise à l’écart de la coopération militaire française. De plus, certains trafics et dessous de table profitables allaient devenir impossibles : à l’époque, l’existence de plantations de cannabis dans la forêt de Nyungwe était un secret de Polichinelle tandis que les livraisons d’armes françaises au Rwanda étaient tellement importantes que les observateurs militaires occidentaux, autres que français, se demandaient si une partie de cet arsenal impressionnant n’était pas, au départ du Rwanda, renvoyée vers des pays sous embargo, comme l’Irak ou l’Afrique du sud. Op.cit., p.30.

Ce furent probablement là les motifs majeurs qui incitèrent le gouvernement français d’époque et ses forces armées à soutenir, sans réserve, jusqu’au bout, la dictature sanglante de Juvénal Habyarimana et, plus tard, le gouvernement intérimaire génocidaire [GIR], qui mit en exécution le projet de génocide contre les Tutsi, et, enfin, à lancer l’opération fort controversée « Turquoise »de sauvetage des génocidaires militairement défaits et dispersés par l’armée patriotique rwandaise [APR]- branche armée du FPR.

Presque simultanément, les réfugiés burundais, qui s’étaient installés dans les camps au sud du Rwanda et sur la frontière congolaise- à la suite d’assassinat du président Melchior Ndadaye et des événements particulièrement sanglants au Burundi qui s’ensuivirent- aiguisèrent une détestation des Tutsi que leurs voisins hutu extrémistes rwandais ne demandaient qu’à partager. Ibidem, p.31.

Depuis les hauteurs de Lemera, Dr Mukwege et les siens percevaient, avec angoisse, la montée de ces extrémismes, la radicalisation de l’opinion, et ne tardèrent pas à découvrir que le génocide contre les Tutsi du Rwanda, d’avril à juillet 1994, la dissémination des armes et des génocidaires dans Les Grands Lacs, allaient embraser toute la région.

Les troupes des ex-FAR et les hordes pléthoriques des miliciens Interahamwe du GIR avaient passé plus de temps et dépensé beaucoup plus d’énergie à participer aux tueries des civils Tutsi, sans défense, aux viols indiscriminés des femmes de tous les âges et aux pillages qu’à combattre réellement les rebelles du FPR, pourtant moins nombreux que les ex- FAR du GIR mais beaucoup plus disciplinés. Les Français qui s’étaient portés à leur secours, voyant que le territoire occupé par les ex- FAR et les miliciens se réduisait à une peau de chagrin, mirent fin précipitamment à leur présence à l’expiration du mandat leur confié par les Nations Unies en automne 1994.

C’est ainsi que les génocidaires demeurés sous leur protection se décidèrent à franchir la frontière congolaise, rejoignant leurs compagnons, soldats et miliciens, qui avaient déjà gagné Goma début juillet 1994. Abasourdis par leur traversée en masse de la frontière, Mukwege et ses compatriotes constatèrent qu’ « ils arrivaient depuis Kamanyola, les postes frontières de Ruzizi I et Ruzizi II. Soldats, véhicules militaires, personnalités officielles, bétail, villageois, intellectuels et paysans, c’était tout un pays qui migrait, qui débarquait chez nous avec armes et bagages. Ce qui me stupéfiait, c’est que les militaires ne traversaient pas en cachette, ne donnaient pas l’impression de fuir. Au contraire, ils débarquaient en bon ordre, encadrés par les officiers, et ils avaient gardé leurs armes et leurs uniformes… ». Op .cit., p.32.

C’étaient là, conclut Colette Braeckman, les effets de l’ « opération Turquoise ». Mais, après quelques jours, leurs protecteurs issus des unités d’élite de l’armée française, qui étaient venues se battre la fleur au fusil pour reconquérir Kigali, durent déchanter et se contenter de secourir des bébés qui tétaient encore le sein inerte de leur mère morte, gisant dans la lave à Goma ; ramasser et brûler les corps en décomposition, afin de limiter la propagation des épidémies. Parmi les commandos français soudain transformés en croque-morts, la révolte gronde et certains, en état de choc, sont évacués d’urgence, tellement les conditions d’hygiène avaient basculé en quelques heures et il leur semble qu’à l’explosion du choléra endémique, à Katale et Mugunga, s’est ajouté la malédiction divine.

Rien que dans la ville de Goma au pied du volcan Nyiragongo, où l’herbe est rare et l’eau potable fait défaut et où viennent s’agglutiner les réfugiés sur les rives du lac Kivu, le Comité International de la Croix Rouge [CICR] dénombrera 30.000 victimes et un nombre indéterminé de victimes congolaises qu’aucune agence humanitaire ne s’avisera de décompter.

La genèse des FDLR

Durant 2 ans, de septembre 1994 jusqu’en octobre 1996, un million et demi de réfugiés rwandais prennent ainsi, vaille que vaille, racine au Nord et au Sud-Kivu, installés dans d’immenses camps qui s’égrènent tout le long de la frontière rwando-congolaise, devenue une poudrière, placés sous l’autorité du HCR et d’innombrables ONG qui s’y déploient en brassant l’aide internationale, sans déceler les germes d’un nouveau conflit. En effet, alors que le droit international stipule :

(i) que les centres d’accueil des réfugiés doivent être installés à plus de 50 kilomètres des frontières de leur pays d’origine ;

(ii) que les auteurs de crimes de sang ne peuvent prétendre au statut de réfugié ;

(iii) que les hommes en armes doivent être désarmés et séparés des civils non combattants. Aucune de ces dispositions n’est respectée. Op.ci., p.36.

Au contraire, on sentait que, parallèlement à l’autorité du HCR, les camps étaient régis par une organisation secrète parallèle qui échappait à tout contrôle. Même affaiblie, cette organisation a perduré par la suite ; ceux qui deviendront les rebelles des FDLR exerçaient leur emprise incontestable sur les réfugiés sous le regard et la responsabilité théorique du HCR, mais ce dernier ne tenta jamais la moindre pression. Personne n’a voulu tenir compte du fait que les structures d’encadrement des réfugiés fonctionnaient comme du temps du génocide, qu’elles s’étaient perpétuées en exil.

Durant 2 ans, la situation a continué à pourrir. A l’époque, rares sont les ONG qui se posent des questions sur cette situation étrange ; seules MSF et International Rescue Committee décident de quitter les camps, estimant que « les extrémistes y ont pris la réalité du pouvoir » au détriment du HCR. Par la suite, les éléments armés des ex-FAR ou miliciens consolident leur autorité et leur influence en procédant au recrutement des jeunes gens ; en organisant des entraînements para- militaires à leur intention ; en imposant l’impôt de guerre évalué de 10 à 15% du revenu moyen du réfugié, que celui-ci devait obligatoirement s’acquitter et le « baby boom »aux femmes- résultat de leur désœuvrement-afin d’enfler la démographie du « hutu power »et de rétablir « la loi du nombre »,pour poursuivre et achever ce qu’ils appelaient, par euphémisme, « gukora »,littéralement l’exécution au finishing du génocide contre les Tutsi.

Le déclin démographique devint progressivement une véritable obsession pour les FDLR, elles qui misaient sur la masse des réfugiés pris en otages pour se constituer des boucliers humains et s’en servir comme de la chair à canon : les mauvaises langues rapportent que lors de leur exode à travers les forêts congolaises, à Tingi Tingi notamment, elles auraient ordonné aux réfugiés, à chaque tombée du crépuscule, une pause obligatoire, pour s’accoupler et se reproduire, toute autre activité ayant cessé ; la reproduction en séries étant devenue leur atout stratégique de premier plan.

Quant au retour au Rwanda, il était quasiment impossible : les réfugiés tentés par le rapatriement étaient considérés comme des traîtres, jugés sommairement et exécutés. C’était notamment le cas de quelques très rares survivants du génocide issus des mariages des parents mixtes hutu-tutsi, plus nombreux en réalité, qui avaient survécu miraculeusement au génocide, qui avaient choisi de les suivre et que les FDLR considéraient a priori comme des témoins gênants.

Invariablement ils étaient tous assassinés après les avoir fait subir des sévices raffinés et leurs corps finissaient dans les fosses communes, souvent par familles entières. Par cette extermination systématique et privilégiée, les FDLR tenaient, à tout prix, à annihiler la vision unitaire des peuples du Rwanda et des Grands Lacs, d’après certains observateurs.

La paranoïa des FDLR atteignit les points culminants lorsque, plus tard, celles-ci s’attaquèrent violemment aux vertes collines du Masisi où vivent, en symbiose relativement parfaite, des pasteurs hutu et Tutsi Banyarwanda, ultérieurement presque tous ruinés par des incursions des rebelles des FDLR. Bientôt, s’ouvrirent dans les camps de véritables boucheries où l’on abattait le bétail volé à ces éleveurs.

Il se trouvera même des ONG « bien intentionnées » qui fourniront aux FDLR du matériel de découpe plus hygiénique et plus performant. Et c’est en vain que la confédération des éleveurs du Nord-Kivu (COGENOKI) a demandé à ces organisations internationales, qui encadraient les réfugiés, les dédommagements pour 30.000 têtes de bétail enlevées et abattues. Bien entendu, le surplus des ventes de la chair volée, moins cher que sur les marchés locaux, renflouait les caisses des FDLR.

On peut dire et généraliser que, en outre, pendant tout le temps que dure l’exil, les FDLR gonflent exagérément les chiffres en rapport avec les effectifs réels des réfugiés ; les poussent aux exactions, afin de prélever leur dû sur l’aide internationale et les pillages, pour se constituer continuellement un trésor de guerre et de génocide. Les économistes progressistes appellent ce phénomène : « l’accumulation primitive du capital ».

La sur- évaluation à 245.000 réfugiés rwandais « recensés officiellement », selon RFI, actuellement en RDC, dont 199.000 au Nord- Kivu, 42.000 au Sud-Kivu et 9.000 au Katanga, Kasaï Oriental, Maniema et Kinshasa, procède elle aussi de la même logique aberrante de manipulation des chiffres par les FDLR.

En réalité, 100.000 réfugiés rwandais, de toutes les ethnies confondues, depuis 1998, dument enregistrés par le HCR, sont encore éparpillés dans le monde. Cela dit, les réfugiés non- présumés génocidaires de 1994 sont continuellement, financièrement pressurisés par les FDLR, en contrepartie de leur « protection ».

Par ce procédé, l’accumulation des moyens financiers s’accompagne aussi, implicitement, de la finalité de criminaliser un maximum de gens, parce que si tout le monde est criminel, personne n’est plus coupable.

Enfin, à Tingi Tingi, lorsque la plupart des réfugiés cessèrent d’être exploitables et corvéables, leurs notables militaires et miliciens organisèrent un véritable pont aérien entre Tingi Tingi et Nairobi et se sauvèrent en laissant derrière eux d’inoffensifs réfugiés sans secours humanitaire, autre que celui leur apporté providentiellement par l’APR après être parvenue, dans sa progression, dans cette localité, et les fit rapatrier par des avions-cargos, affrétés par le gouvernement rwandais. Lire infra.

Mais d’autres réfugiés, qui avaient des casiers judiciaires chargés au Rwanda se dispersèrent dans la forêt vierge ou se recherchèrent de nouveaux pays d’asile, en reprenant d’épuisantes nouvelles longues marches vers le Congo Brazzaville, le Gabon, le Cameroun et la Centrafrique, et s’exilèrent plus loin encore. Ce sont ces derniers qui posent de réels problèmes de rapatriement, aujourd’hui, au gouvernement d’union nationale du Rwanda.

Avec le temps, la plupart des reclus de justice se sont reconstitués en principales sources de ravitaillement en fonds de génocide ou d’épuration ethnique des FDLR restées sur place en RDC ; créent pour elles de véritables « lobbies » ; jouent les rôles de leurs porte- parole et assument la réalité de leur diplomatie internationale et de leur direction politique- cas, par exemple du colonel- pilote Jacques Kanyamibwa, un ancien de Tingi Tingi qui, à partir de son exil doré à Toulouse en France se répand, souvent, en tapages médiatiques sur les antennes des radios étrangères.

C’est à leur intention que nous publions, en encadré, la clause de cessation du statut de réfugié au Rwanda, afin qu’ils puissent se ressaisir et les amener à comprendre que le facteur temps est fondamental pour la consolidation d’un climat de paix durable dans la région, et cela ne peut se fonder sur la stratégie du pire qu’ils prônent, qui serait probablement l’antichambre de leur déchéance définitive.

« 

LA CLAUSE DE CESSATION DU STATUT DE REFUGIE

Les Accords de Paix d’Arusha signés le 4 août 1993 entre le gouvernement rwandais, d’époque, et le Front Patriotique Rwandais/FPR consacre, dans le préambule, le rapatriement des réfugiés rwandais et la réinstallation des déplacés [référence faite au protocole d’Accord sur le rapatriement des réfugiés rwandais et la réinstallation des personnes déplacées, signé à Arusha, le 9 juin 1993].

Dans le même préambule, le texte reconnaît que l’unité des Rwandais ne peut être réalisée sans une solution définitive au problème des réfugiés rwandais dans leur pays et que ceci constitue un droit inaliénable et un facteur de paix, d’unité et de réconciliation nationale.

C’est cet accord qui a inspiré au gouvernement rwandais l’abolition du statut de réfugiés rwandais et des personnes déplacées, sans émettre aucune réserve. À partir de juin dernier, en accord avec la communauté internationale et, en particulier, le HCR, cette clause a été mise systématiquement en pratique, avec seulement une réticence de certaines autorités congolaises- on devine pourquoi.

 »

La situation réelle des véritables réfugiés

Dans les camps retranchés, militarisés, où la plupart des réfugiés persistaient à cultiver l’idéologie génocidaire sous l’emprise des mêmes leaders,- demeurés inchangés et irréductibles-, qui les avaient précédemment conduits à commettre le génocide au Rwanda, il existait une catégorie particulière de réfugiés paisibles- peut-être la majorité silencieuse, qui avait choisi de s’intégrer pacifiquement en milieu congolais de leur exil en attendant éventuellement la solution à leur problème de rapatriement.

Ceux-ci, indique Dr Mukwege, paraissaient très « physiques » et très « manuels » et proposaient leurs services aux villageois congolais. Ils cultivaient du riz, des haricots, en échange d’un régime de bananes, d’un peu d’argent. Avec le temps, cette main- d’œuvre hutu, écrit-il, a commencé à être utilisé aussi dans la construction des maisons et dans l’agriculture intensive. Très costauds en général, ces gens représentaient une force de travail moins chère et très performante. « Quand ils cultivaient, ils étaient comme des bulldozers. » Op.cit., p.38.

Autour de Nyangezi, une localité au Sud de Bukavu, leur prospérité était manifeste. Ils avaient même organisé de petits commerces, car même s’ils étaient payés en nature ou en espèces par les villageois congolais, ils continuaient en même temps à bénéficier de l’aide alimentaire distribuée dans les camps. Bien souvent, ils vendaient sur les marchés les rations qu’ils avaient reçues. Au lendemain des distributions, les Congolais leur rachetaient la farine de maïs, l’huile et d’autres produits. Ibidem, p.38.
Durant 2 années de leur cohabitation avec les Congolais, Mukwege n’avait jamais eu connaissance de tueries et de massacres, et les femmes congolaises ne subissaient de leur part des violences sexuelles.

En outre, Dr Mukwege note que les accouchements étaient très nombreux parmi ces réfugiés et que leur taux de natalité était très élevé. Phénomène normal, puisqu’ils étaient bien nourris et n’avaient pas grand-chose à faire. La reproduction fonctionnait très bien et, ajoute-t-il, tous ces facteurs réunis contribuaient à une véritable explosion démographique. En plus des commerces qui prenaient de l’ampleur. Ibidem, p. 38. En définitive, c’est pour rapatrier ces réfugiés modérés et laborieux, que l’APR se sentait motivée d’intervenir massivement au Congo.


Le cheminement de la libération du sous-continent congolais

Comme nous l’avions vu [cf. supra], les Banyamulenge constituent un peuple de bergers habitués à voyager seuls sur des distances énormes. La guerre, par conséquent, ne leur fait pas peur ; elle appartient à leur culture. Au XIXè siècle, en effet, leurs familles qui avaient émigré sur les hauts plateaux du Sud-Kivu avaient gardé pour tradition d’envoyer leurs fils parfaire leur éducation à la cour du mwami du Rwanda-éducation dont la formation militaire constituait l’élément primordial.

Mais dans les années 1990, c’est de bien autre chose qu’il s’agit, d’un réflexe existentiel. A l’instar des Tutsi du Nord-Kivu, les Banyamulenge avaient, en effet, constaté que l’implantation des camps des extrémistes hutu rwandais et burundais avait accru la xénophobie anti-tutsi globalement et ils entreprirent de s’organiser afin d’acquérir le pouvoir de se défendre. A leur tour, les Banyamulenge devinrent des victimes des exactions des ex-FAR et des miliciens qui, après bien d’autres appellations, se rassembleront sous le sigle unique, générique des FDLR et opèrent en liaison avec quelques éléments des extrémistes locaux Bembe et Fulero [au pluriel Babembe et Bafulero], et avec l’administration zaïroise et les forces armées mobutistes, en sigle les FAZ- forces armées zaïroises.

La Région des Grands Lacs proprement dite

Le 9 septembre 1996, les populations dites « autochtones » organisent une journée « ville morte » à Uvira pour exiger le départ des « étrangers » et pillent certains magasins et boutiques appartenant aux Banyamulenge. D’après Amnesty International, des dizaines de personnes, des Banyamulenge pour la plupart, sont victimes d’exécutions extrajudiciaires ou auraient « disparu ». Simultanément, à Bukavu, le 18 septembre, une marche dite « de la colère » débouche sur des pogroms au cours desquels des dizaines de Tutsi sont tués. Au même moment, plus de 1.000 réfugiés arrivent au Burundi et au Rwanda.

Le 8 octobre, le vice-gouverneur du Sud-Kivu, Lwabandji Lwasi, annonce la création d’un « corridor humanitaire » pour évacuer les Tutsi vers le Rwanda. « Ceux qui ne quitteraient pas la région seraient considérés comme étant des rebelles dans la semaine en cours », insiste-t-il. Le 10 octobre, le président Pasteur Bizimungu du Rwanda annonce en réplique, à Cyangugu, que son pays est prêt à offrir l’asile aux femmes et aux enfants, mais que les hommes banyamulenge « doivent se battre […] pour défendre leurs droits en tant que Zaïrois ». Et comme l’on sait les autorités rwandaises, Bizimungu et Kagame en tête, n’étaient pas des hommes à proférer des menaces en l’air.

Auparavant, durant l’été 1996, on avait signalé au Dr Denis Mukwege des mouvements inhabituels : des hommes lourdement armés, montant depuis la plaine de la Ruzizi en direction des Monts Mitumba, les services secrets de Mobutu, SARM, une unité d’action et de renseignement militaire est envoyée sur les hauts plateaux. Elle sera décimée et un colonel sera tué. L’ « opération chirurgicale » promise contre les Banyamulenge par le vice-gouverneur Lwabandji ne verra jamais le jour.

Ce sont plutôt les soldats d’élite du régime mobutiste qui payeront une lourde facture en termes de vies humaines, lorsque, s’engageront, en finale, dans les hauts plateaux d’Uvira des combattants d’APR [armée patriotique rwandaise], entrés clandestinement dans ces lieux et préparant la libération des camps des réfugiés rwandais pris en otages par les FDLR et préparant, déjà, la libération de l’ensemble du sous-continent congolais, officiellement sous le direction de l’AFDL [alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre] – un mouvement de libération qui s’avérera, cependant, plus tard, composite, éphémère, hétéroclite et inefficace.

L’AFDL avait été fondée à Lemera, localité du Sud-Kivu, le 18 octobre 1996, soit plus d’un mois après le début de la « rébellion banyamulenge ». Le document fondateur est signé par les représentants des 4 formations politiques embryonnaires :

(i) le parti de la révolution populaire [PRP représenté par Laurent-Désiré Kabila] ;

(ii) le Conseil national de résistance pour la démocratie [CNRD, représenté par Kisase Ngandu] ;

(iii) le Mouvement révolutionnaire pour la libération du Zaïre [MRLZ, représenté par Masasu Nindaga]. Celui-ci très populaire parmi les jeunes combattants, « Kadogo », originaires du Kivu, sera exécuté extra- judiciairement près de Pweto, en novembre 2000, sur un ordre de L-D Kabila, malgré, paraît-il, l’opposition plus ou moins affirmée par son fils, futur président Joseph K. Kabila. La liquidation physique de Masasu est similaire à celle de Léonard Mitudidi. Lire Infra.

(iv) et l’Alliance démocratique des peuples [ADP, représentée par Déogratias Bugera, un architecte de formation, originaire du Nord-Kivu].

Ce document ne disait pas grand-chose, si ce n’est que l’organe de décision est un conseil d’allure collégiale composé par des représentants des 4 partenaires, qu’un bureau de liaison doit être créé et que Laurent- Désiré Kabila est porte- parole de l’AFDL. Mais, ultérieurement, dans une interview au journal Le Monde du 13 novembre 1996, Kabila déclarera qu’ « il est d’une certaine manière le président de l’AFDL ».

Parmi les composantes de l’Alliance, le PRP et Kabila ne sont pas des inconnus. L’un des chefs de la rébellion muleliste [1964-1965], Kabila avait été responsable chargé de relations extérieures et du commerce du gouvernement provisoire du Conseil national de libération [CNL], section Est à Albertville [actuel Kalemie] en juillet 1964, puis devient le vice-président du conseil suprême de la révolution [CSR] en 1965.

C’est à cette époque qu’il déçoit lamentablement Ernesto Che Guevara.

« 

 « À l’aube du 24 avril 1965, Ernesto « Che » Guevara traverse le lac Tanganyika avec une dizaine de révolutionnaires cubains et accoste sur la vie congolaise. Dans la clandestinité, « Tatu » - c’est son nom au Congo-vient soutenir le mouvement insurrectionnel nationaliste lumumbiste, mené, entre autres, par L-D Kabila ».
Le « Che » est vite dégoûté et frappé par la désorganisation, l’indiscipline, les désertions, la zizanie, les pratiques de sorcellerie « dawa » comme principale méthode de combat, la disparition par noyade, jusqu’ici mal élucidée, sur le lac Tanganyika, de Léonard Mitudidi, véritable idéologue du front de l’Est de la rébellion et éminent patriote congolais, et les nombreuses trahisons qu’il découvre parmi les chefs rebelles congolais.

 »

Photo de couverture du « Journal du Congo » d’Ernesto « Che » Guevara

Sur cette déception, le « Che » renoncera définitivement à la lutte de libération panafricaine et portera ses efforts à l’Amérique Latine, notamment à la Bolivie, où il meurt lâchement assassiné en 1966, Cf. Ernesto Che Guevara, Journal du Congo, souvenirs de la guerre révolutionnaire [2009] – avec le prologue de sa fille, Dr Aleida Guevara March.

Après son lâchage par le gotha des combattants internationalistes cubains et par un groupe de guérilleros rwandais « Inyenzi », également très aguerris, placés sous le commandement de Joseph Mudandi, L-D Kabila se replie provisoirement en Tanzanie, d’où il reviendra en 1967, à Hewa Bora dans la zone de Fizi.

Quant aux guérilleros « Inyenzi », ceux-ci, de leur côté, s’étaient repliés vers la forêt de Nyungwe via Uvira [RDC], Cibitoke et Mabayi [Burundi] après avoir essuyé, pratiquement seuls avec des Cubains, l’assaut d’ une très puissante contre- offensive des troupes de Moïse Tschombé, combinée avec l’appui des soldats Blancs sud- africains du lieutenant- colonel Mike Hoare [au total, 2.400 hommes] qui leur firent infliger de très lourdes pertes- notamment lors de la bataille de Force- Bendera, près du barrage hydro-électrique de la Kiyimbi, au Katanga.

Finalement, en 1968, les guérilleros « Inyenzi », jusque là pratiquement invaincus, se rendirent aux forces armées burundaises, FAB, du colonel Michel Micombero exécutant une décision votée par la Tripartite [Burundi, Congo et Rwanda], ancêtre de la CEPGL. Mais léguèrent, cependant, une belle tradition de résistance contre l’oppression, ancrée dans la mémoire, à la jeune génération montante des réfugiés rwandais des années 1960-1980, dont moi-même, l’auteur de cet article. Qui en garde un souvenir inoubliable- de ces années sinistres où nous étions nulle part et nous ne représentions rien, précédant de quelques temps l’avènement du Front Patriotique Rwandais/ FPR-Inkotanyi, à l’horizon de la décennie suivante.

L’action politique- nouvelle manière- de L-D Kabila à Fizi en 1967 prétendument d’inspiration marxiste – léniniste serait fondée sur l’analyse critique de ce qu’il perçoit comme étant erroné dans les précédentes rébellions. Cf. PRP, Makosa saba katika mapinduzi ya kwanza [« Les 7 erreurs de la révolution antérieure »] – Editions Africa – Bruxelles, n. d ., pp.-141-142. Mais elle n’est jamais allé au-delà d’un petit maquis périphérique. Quelques actions dispersées telles que des enlèvements d’étrangers, surtout visant des touristes américains, et des attaques à Moba [ex- Baudouin-ville] et à Kalemie, sont de peu de valeur opérationnelle et ne gênent pas le régime Mobutu.

Au cours de cette période, L-D Kabila survit économiquement de divers expédients, notamment du trafic d’or. Lire les détails notamment dans Wilungula B.Cosma, Fizi 1967-1986, Le Maquis Kabila (1997) et J.-Cl. Willame, L’Odyssée Kabila-Trajectoire pour un Congo nouveau ?[1999]. En 1970, le maquis du PRP perd définitivement du terrain et disparaît complètement en 1986 même si cela ne signifie pas la cessation de toute activité politique pour L-D Kabila lui-même.

Le président Yoweri Kaguta Museveni fera plus tard la lumière sur la manière dont Kabila est entré en scène lors de l’insurrection déclenchée par l’AFDL. Après la prise du pouvoir par la NRM [« National Resistance Movement »] à Kampala, en 1986, L-D Kabila serait venu le voir, introduit par un agent de renseignement tanzanien, pour lui demander de le soutenir. Kabila serait revenu le voir au lendemain de la victoire du FPR à Kigali, en juillet 1994, apparemment pour lui réitérer la même demande.

Comme tant les président Nyerere et Museveni connaissaient Kabila, il n’est pas surprenant qu’ils l’aient recommandé aux autorités rwandaises et ensuite à l’AFDL pour en devenir le responsable chargé de relations publiques. Mais on verra que l’ambition d’habile Kabila ne se limitera pas à ce poste technique.

Laurent –Désiré Kabila

Nous avons déjà vu que, sans armée nationale, entièrement dépourvu d’administration efficace et honnête, avec des dirigeants foncièrement corrompus et de très mauvaises communications entre la capitale et les provinces, l’Etat zaïrois avait virtuellement disparu. Or, la géopolitique a horreur du vide, qui est alors comblé par d’autres acteurs internes auxquels s’ajoutent, presque inévitablement, des intervenants extérieurs. En plus, le régime Mobutu était ouvertement impliqué dans les guerres civiles et rébellions de toutes sortes dans les pays voisins.

En particulier, Kinshasa soutenait le gouvernement de Khartoum contre la rébellion du SPLM pro-américain, dirigé par John Garang au Sud-Soudan, soutenu par l’Uganda, l’Ethiopie, l’Erythrée et, dans une moindre mesure, par le Kenya également tradionnellement pro-américain. En outre, le territoire zaïrois servait d’arrière-base aux factions extrémistes, génocidaires – contre Kigali et Bujumbura, sans citer l’aide massive que le gouvernement zaïrois accordait si généreusement à l’UNITA en Angola.

Dans ce contexte d’un conflit plus large, des alliances conjoncturelles apparaissent le long de 2 principaux axes : d’un côté la France, pratiquement seule et isolée diplomatiquement qui soutient « les forces négatives » ;et de l’autre, les Anglo-saxons, solidaires avec l’alliance progressiste qui aspire au changement alternatif, voire à « la renaissance africaine », selon l’expression du président Bill Clinton des Etats-Unis.

En général, cependant, les analystes exagèrent de manière démesurée, sciemment ou non, le rôle joué par chaque partenaire de la coalition anti-Mobutu et sur les profits réciproques de l’opération. L’implication de l’armée burundaise au Zaïre, par exemple, semble s’être limitée à la sécurisation de sa frontière occidentale avec ce pays.

La moindre participation burundaise s’explique par 3 raisons objectives : l’embargo auquel le Burundi est soumis depuis le coup d’Etat de Pierre Buyoya ; l’incapacité temporaire de déploiement de 20.000 hommes de son armée, FAB à l’étranger, et le harcèlement auquel il doit résister contre 3 mouvements rebelles soutenus-plus ou moins ouvertement-par la Tanzanie.

L’Angola n’interviendra que tardivement, vers la fin de l’année 1966, pour apaiser ses inquiétudes en matière de sécurité. Mais la position de Luanda, bien que tardive, est déterminante pour élargir les ambitions de la rébellion à l’ensemble du Zaïre. Le corps expéditionnaire angolais des FAA [forces armées angolaises] capture la localité congolaise de Tshikapa, le 23 avril 1966, poursuit en prenant Kikwit au Bandudu à l’étape suivante et participe, enfin, activement, à la grande bataille de Kenge [environ à100 km à l’Est de Kinshasa] face à l’UNITA déployée massivement en renfort pour soutenir des unités d’élite des FAZ, dont toute la DSP- division spéciale présidentielle.

Quant à l’Uganda, le président Museveni tente d’abord, en premier temps, d’agir comme médiateur et de promouvoir une solution négociée. A cette fin, il réussit à réunir, le 16 novembre 1966 à Kampala, les délégations rwandaise et zaïroise, auxquelles il soumet une proposition en 12 points, afin de mettre fin au conflit.

Mais d’après les sources bien documentées, il semble que le refus du régime de Kinshasa de tenir un dialogue franc avec les pays voisins et les rebelles ait convaincu finalement les autorités ugandaises à soutenir, à leur tour, la rébellion, avec un objectif initial limité à la sécurisation de la frontière occidentale avec le Congo, où opèrent les rebelles d’ADF[« Allied Democratic Forces »], hostiles au régime de Kampala.

La progression de l’AFDL et de ses alliés au printemps 1997

Au-delà du soutien politique et diplomatique, il n’existe aucune preuve montrant que les USA, l’Erythrée, l’Ethiopie et la Zambie aient engagé leurs forces dans le conflit.
Par contre, le rôle du Rwanda est lui capital, pour la libération du Congo/ ex-Zaïre.

Dans une célèbre interview accordée par Paul Kagame, alors vice-président de la république et ministre de la défense, au Washington Post du 9 juillet 1997, il révèle que c’est le gouvernement rwandais qui a planifié la rébellion de l’AFDL, que l’APR a participé à la prise d’au moins 4 des plus grandes villes du Congo [probablement Bukavu, Lubumbashi, Mbuji Mayi et Kinshasa] et que le Rwanda a fourni l’entraînement et les armes aux troupes rebelles avant même le début de la campagne pour renverser la dictature du régime Mobutu. Cf. Pomfret, « Defense Minister Says Arms, Troops Supplied for Anti-Mobutu Drive », in The Washington Post, 9 juillet 1997.

Cependant, le Rwanda n’en a tiré qu’un seul bénéfice vraiment important : le rapatriement des réfugiés. Colette Braeckman note à ce sujet qu’au Nord-Kivu [notamment à Mugunga où s’étaient regroupés plus de 600.000 réfugiés des 2 Kivu] les assaillants avaient encerclé les camps des réfugiés en laissant une large issue de sortie du côté de la frontière.

Des centaines des milliers de civils s’engouffrent dans la brèche, craignant le pire. Mais rien ne se passe. Des militaires d’APR indiquent aux civils qu’ils ne peuvent s’attarder à Gisenyi, la première ville du côté rwandais, que la marche doit se poursuivre, en direction des collines dont ces réfugiés sont issus.

À chaque relais de l’eau potable est fournie aux marcheurs. Les hommes, cependant, sont relativement rares, ou très âgés. Sans poser de questions, les familles continuent alors à progresser vers l’intérieur du Rwanda, vers les collines où elles retrouvent la maison abandonnée en hâte 2 ans plus tôt.

L’exode- retour massif des réfugiés rwandais de 1994

En quelques jours, plus d’un million de réfugiés franchissent ainsi la frontière en sens inverse. En face de Goma, dans la ville frontière de Gisenyi, des membres du gouvernement au complet s’étaient déplacés pour accueillir les transfuges qui reviennent du Nord-Kivu et leur souhaiter la bienvenue. Op.cit., p.54.

Colette Braechman poursuit ainsi son récit d’exode- retour des réfugiés : Mais tous les réfugiés ne partent pas dans la même direction : les miliciens, qui tenaient les civils sous leur autorité ; les politiques, qui avaient reproduit dans les camps la même structure du pouvoir comme au Rwanda [pendant le génocide], n’entendaient pas rentrer au pays. Ils craignaient d’y affronter le regard des survivants.

Cette appréhension, très compréhensible, est encore plus accentuée par les rapports toujours alarmistes de plusieurs ONG. Certaines d’entre elles assuraient que les réfugiés rapatriés trouveraient la mort sitôt qu’ils auront franchi la frontière. En fait, certains « humanitaires » craignaient surtout de voir disparaître les camps et de perdre ainsi ce qu’ils appelaient, entre eux, cyniquement, leurs « parts de marché » et leurs « clients ». Ibidem, p.54.

En cela, leur attitude n’était guère différente de celle de véritables génocidaires ; elle persiste encore aujourd’hui dans l’esprit de la plupart des ONG locales et internationales, en particulier, européennes. Si on les écoutait, jamais le peuple rwandais ne recouvrerait ni la dignité à laquelle il aspire, ni la justice sociale et, à plus forte raison, l’unité nationale, ou le sens d’avenir communautaire paisible et prospère des peuples des Grands Lacs.

Pendant ce temps, pour la plupart des Kinois, c’était la répétition d’un air de l’orchestre du « Titanic »

Yoka Lye, dans son livre intitulé Lettre d’un Kinois à l’oncle du village [L’Harmattan, Paris, 1995] décrit bien l’illusion d’une capitale livrée à elle-même, dans l’attente de fin de règne du « dinosaure » [surnom que Colette Breackman donne à Mobutu, ndla], où « les travailleurs ne travaillent pas, les étudiants n’étudient pas, les ministres n’administrent pas, les élèves ne s’élèvent plus, les présidents ne présidents plus, les éducateurs n’éduquent pas ». On est tenté d’ajouter que les combattants ne combattaient pas.

Tout comme à bord du célèbre paquebot en détresse, « Titanic », le navire désemparé était en train de couler, mais l’orchestre continuait à jouer.
Au départ, les événements à l’Est donnent lieu à une montée du sentiment nationaliste exacerbé, combiné à une hystérie collective anti-Tutsi. À la fin du mois d’octobre 1966, les Tutsi à Goma sont victimes d’exactions commises par certains « autochtones ».

Ces troubles bénéficient de l’indulgence des autorités locales, quand ils ne sont pas incités par celles-ci. De nombreux Tutsi fuient vers Gisenyi, juste de l’autre côté de la frontière avec le Rwanda. À Kinshasa, le parlement de transition [HCR-PT] exige la rupture des relations diplomatiques avec Kigali et Bujumbura, la mise sous séquestre de la société Munyarwanda Telecel ainsi que l’expulsion des réfugiés.

Des pogroms anti-Tutsi se déchaînement ainsi que des pillages des entreprises et des maisons de résidence appartenant aux Tutsi. Lors des manifestations, des étudiants réclament la démission du premier ministre Kengo wa Dondo, dont la grand-mère serait originaire de Gitarama au Rwanda.

De nombreux Banyarwanda se cachent ou traversent, en catastrophe, le fleuve Congo pour se réfugier à Brazzaville, d’autres plus aisés s’exilent aux Etats-Unis, en Europe ou au Rwanda. Le 7 novembre 1996, un millier d’étudiants occupe le parlement et exigent à nouveau le limogeage de Kengo et le remplacement du général Eluki par le général Mahele, « le léopard, « le combattant » [sic] qui leur ramènerait la tête de Kagame. » Cf. Le Monde du 9 novembre 1996.

Entretemps, effectivement, la chute de Kisangani provoque également celle de Kengo. Il semble que le limogeage de Kengo faisait partie d’un plan secret concerté entre l’opposition et une aile modérée de l’armée. Sous l’égide de Mahele, l’accord prévoyait de prévenir un coup d’Etat par les extrémistes [les généraux Nzimbi et Baramoto] et de donner à l’armée les moyens nécessaires pour mener sa contre- offensive « foudroyante » contre les rebelles.

Sur ces entrefaites, Mobutu reviendra de sa villa cossue « Del Mare » sur la Côte d’Azur [France], pour la dernière fois, le 21 mars 1997. L’accueil qu’il reçoit est nettement moins enthousiaste que le précédent, en décembre 1996. C’était un signe qui ne trompe pas de l’approche inévitable de la fin de son long règne.

Le paradoxe de la libération du Congo Kinshasa

Après de longues années de la dictature Mobutu, la plupart des Rwandais si pas tous apparaissent aujourd’hui désabusés et convaincus qu’en suivant les conseils de la « région » et, en particulier, ceux du Feu Mwalimu Julius Kambarage Nyerere, dont la mémoire est, cependant, presque universellement respectée, leurs dirigeants ont fait le mauvais choix : ils cherchaient une personnalité congolaise susceptible de composer, de permettre l’entente cordiale entre leurs deux peuples qui avaient énormément souffert des effets désastreux de la décolonisation belge bâclée, des dictatures post-coloniales et des guerres civiles incessantes, plus ou moins larvées, et de toutes sortes d’oppressions, et ils sont tombés, au contraire, sur un partenaire chef d’Etat congolais « imprévisible », une sorte d’opportuniste de gauche et par-dessus tout excessivement ambitieux, populiste, despote, violent, peut-être pire que son prédécesseur.

Comment se peut-il qu’ils aient commis la même erreur qu’Ernesto Che Guevara, plusieurs années plus tôt ? Lire supra. S’interrogent-ils la plupart des intellectuels qui connaissent les aléas de l’histoire tourmentée du Congo contemporain.
Depuis la chute de Goma, le 31 octobre 1996, L-D Kabila, comme porte-porale et figure de proue de l’alliance, avait rejeté tour à tour toutes les propositions pour une paix négociée : Aux sommets de Nairobi -1,2 et 3, et puis, en janvier 1997, avec la médiation de l’algérien Sahnoun, représentant spécial de Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies et, plus tard, le 4 mai 1997, lors de la rencontre Mobutu-Kabila à bord du navire sud-africain Outeniqua, organisée par le président Nelson Mandela lui-même, dans le port de Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. Or, sans pourparlers bilatéraux-au moins, en apparence- un mouvement de libération si populaire ou si puissant soit-il ne peut espérer, à court ou à moyen terme, une reconnaissance internationale. Ainsi, les malentendus s’accumulent et ternissent l’image de l’AFDL et de ses alliés dans l’opinion publique tant régionale qu’internationale. Ce qui constitue pour le Rwanda et l’Uganda et leur principal allié international, conjoncturel, les USA, un embarras potentiel dont ils ne pourraient se remettre que très difficilement en usant d’intense diplomatie.
De surcroît, en mars 1997, à Lubumbashi, alors que les plans pour la campagne du plateau des Bateke, devant précéder et ouvrir le siège et la chute de Kinshasa, ne sont même pas encore mis au point, le vieux maquisard rusé et dissimulateur, déjouant un projet de loi visant à asseoir une gestion collégiale du pays à la libération, s’ « autoproclame » président de la république, sème le colonel rwandais Murokore chargé de sa garde personnelle et s’isole de Déogratias Bugera, responsable du bureau politique de l’alliance et de Claude Dusaidi, son principal conseiller diplomatique rwandais auquel il ne parle plus. Or, la communauté internationale à la tête de laquelle se trouvent les Etats-Unis, souhaitait que le « casting » initial soit rectifié. Op.cit., p.71. Pire, il semble qu’en secret, L-D Kabila pactise, déjà, avec les ex-FAR et les miliciens Interahamwe, qui ne sont pas vaincus définitivement, sans compter d’innombrables bandes des rebelles Maï Maï, incontrôlables, ses alliés objectifs-en sachant bien qu’en cas de rupture de coopération militaire avec le Rwanda et l’Uganda, il ne peut compter que sur ces « forces négatives » comme sa principale force militaire opérationnelle.
Le 17 mai 1997 intervient finalement la chute de Kinshasa. Par une tactique de diversion d’anthologie, quelques bataillons d’APR menés par le général James Kabarebe, déployés en amont du fleuve Congo, réussirent à serrer l’étau au Nord-Ouest de cette capitale de 4 millions d’habitants et à s’emparer de ses derniers bastions de défenses- les camps Kokolo et Tshatshi- en évitant de provoquer « le bain de sang » et « une gigantesque catastrophe humanitaire » redoutés par la communauté internationale. Mais, moins de 2 semaines plus tard, un décret constitutionnel accorde les pleins pouvoirs au président L-D Kabila qui, à partir de cette date exerce un pouvoir personnel, sans partage.

La prise du pouvoir par l’AFDL avec le soutien d’une formidable coalition régionale crée ainsi une situation complexe. Non seulement parce que l’AFDL elle-même est une alliance de circonstance et donc fragile, mais aussi parce que ses sponsors n’adhèrent pas automatiquement aux mêmes objectifs.

En particulier, pour la communauté rwando-phone congolaise et le Rwanda, les 2 principaux problèmes qui constituaient la cause immédiate de la guerre n’ont pas été résolus. Il s’agit du statut des « populations à citoyenneté douteuse »- une expression codée désignant cette communauté. Et, effectivement, la xénophobie des Congolais dits « autochtones » contre leurs concitoyens rwandophones devient plus forte que jamais.

En plus, des poches de résistance des Ex-FAR et des miliciens Interahamwe subsistent et restent actives dans les 2 provinces du Kivu, et semblent être régulièrement ravitaillées en armes et munitions par des officiers kabilistes de la nouvelle armée congolaise, et à l’intérieur même du Rwanda, les préoccupations sécuritaires n’ont pas disparu.

Avec le retour massif des réfugiés qui avaient subi l’encadrement idéologique des FDLR, dans les camps, on avait l’impression qu’à partir d’automne 1996, le problème d’insécurité s’était simplement déplacé, du moins en partie, d’extérieur à l’intérieur du pays.

La persistance de ces problèmes contribue à une extension régionale de la bipolarisation ethnique qui avait révélé son potentiel de destruction au Burundi, en octobre 1993, et au Rwanda, d’avril à juillet 1994.

Le retournement spectaculaire de L-D Kabila et de Yerodia Ndombasi Abdoulaye, ce dernier principal idéologue du nouveau régime congolais, provoque une véritable ethnogenèse autour du thème d’un conflit quasi-atavique entre les « Bantous » et les « Hamites » [ou les « Nilotiques »] [sic], qui semble embraser tous Les Grands Lacs, dont la dérive ethnique infecte même l’Uganda, pourtant réputé être dirigé par un chef d’Etat foncièrement unitariste, progressiste et panafricaniste sincère [Yoweri Kaguta Museveni].

De surcroît qui n’a pas changé d’idéologie depuis le temps, où jeune étudiant à l’université de Dar Es Salaam, il est devenu un disciple fervent du Mwalimu Julius K. Nyerere, d’Eduardo Mondlane, fondateur du Frelimo, et de son professeur en sciences politiques, l’antillais panafricaniste convaincu, Georges Padmore, et plus tard de Samora Machel, et dont on sait sa totale aversion de toutes les formes des chauvinismes.

En dépit de tout cela, à la fin du mois de juillet 1997, les rebelles de l’ADF déclarent qu’ils veulent sauver l’Uganda du « tutsisme » [resic]. Cf. UN DHA, Nairobi, 31 juillet-1er août 1997.

Photo représentant des rebelles burundais ou ugandais, rodés dans la perpétration des crimes contre l’humanité.
En bref, en l’absence d’un Etat de droit/rule of law, le nouveau régime congolais, en plus d’être confronté à de nombreuses contradictions internes sociales, ethniques et de très mauvaise gouvernance, contribue à recréer un environnement géopolitique à nouveau explosif, qui produit un effet boomerang contre son propre territoire, redevenu la proie de ce que le professeur Filip Reyntjens de l’université d’Anvers en Belgique appelle, à juste titre, « La première guerre mondiale africaine ».

Le 27 juillet 1998, le président L-D Kabila, dès son retour de Cuba où il était allé solliciter une aide militaire complémentaire, la situation prend un tour irréversible. Il annonce publiquement sa décision de mettre fin à la mission de coopération militaire avec le Rwanda et révoque le général James Kabarebe qui occupait jusque là, à Kinshasa, les fonctions de chef d’état-major. En bon ordre, les officiers et les hommes de troupe de l’APR s’embarquent pour Kigali laissant la RDC en climat d’extrême tension.

En moins d’une semaine, le 2 août 1998, la situation bascule. A Goma, la 10è Brigade des forces armées congolaises, forte de 15.000 hommes, récuse l’autorité de Kinshasa ; à Bukavu, la 12è Brigade, composée de 25.000 hommes, se mutine à son tour. La deuxième guerre du Congo commence. Mais, par manque d’espace, nous n’en analysons pas tous les détails. Pour plus amples informations, voir, en particulier, E. Havenne, La deuxieme guerre d’Afrique centrale et S. Marysse, L’Afrique des Grands Lacs . Annuaire 2000-2001, Paris, L’Harmattan, 2001, pp.143-174.

En bref, dans le courant de la soirée du 2 août 1998, Sylvain Mbuki, commandant de la 10è Brigade des FAC, lit un message sur Radio Goma, annonçant qu’il accuse Kabila d’abus de pouvoir, de népotisme et de corruption, et appelle la population congolaise à poursuivre ses activités normales. Le lendemain, un officier supérieur des FAC parlant au nom de la 12è Brigade basée à Bukavu, reprend pratiquement la même déclaration en faisant savoir, sur les ondes de la Radio Maendeleo, que sa Brigade se joint à la révolte.

Le 12 août, la nouvelle rébellion reçoit un nom : le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) et un coordinateur exécutif apparaît en la personne d’Arthur Z’Ahidi Ngoma, un ancien haut fonctionnaire de l’UNESCO à Paris. Cependant, dès le début, il est clair que le Rwanda soutient la rébellion du RCD. Tout comme le Rwanda, l’Uganda justifie à son tour son intervention sur le terrain au Congo par un impératif de sécurité le long de sa frontière occidentale. Par l’intermédiaire d’ambassadeur R.E. Gribbin, les Etats-Unis acceptent la légitimité de la logique de sécurité nationale des 2 pays.

Cet argument est présenté dans les médias, fin août 1998, lorsque le ministre rwandais des affaires étrangères du Rwanda, à l’époque Patrick Mazimpaka, accuse L-D Kabila d’organiser un génocide contre les Tutsi congolais et avertit que le Rwanda se trouve entraîné dans la nouvelle guerre, pour prévenir et empêcher l’éventualité de ce génocide, et assure à l’ambassadeur Gribbin que « le Rwanda se retirera dès qu’un régime responsable sera mis en place [à Kinshasa] ». Cf. R.E. Gribbin, in the After-math of Genocide, p.279.

Les combattants d’APR se retirant de Pweto, le 28 février 2001. Photo de J.A. / L’Intelligent no 2099- du 3 au 9 avril 2001.

Tandis que la nouvelle rébellion du RCD s’étend rapidement dans l’Est du Congo, une opération aéroportée coordonnée par l’APR avait été lancée le 5 août au Bas-Congo. L’APR réquisitionne des avions-cargos à l’aéroport provincial de Goma et embarque, incognito, ses troupes à Kitona, à plus de 2.000 kilomètres de ses bases- arrière.

C’est une opération extrêmement audacieuse et très risquée, mais qui réussit parfaitement. Non seulement elle fixe les réserves des FAC dans l’Ouest du Congo, alors que celles-ci sont nécessaires dans l’Est pour contrer la progression de la rébellion du RCD, mais en plus elle menace directement Kinshasa, à près de 350 kilomètres de Kitona. Plus encore, le port international de Matadi et le barrage hydro-électrique d’Inga, sources d’approvisionnements vitales pour la capitale, sont menacés.

Le commando d’APR à la tête duquel se trouve le général James Kabarebe s’empare rapidement, successivement du contrôle de Banana, Muanda, Boma. Matadi tombe le 9 août, puis Inga 2 jours plus tard.

La ville de Kinshasa, privée d’électricité, plonge dans les ténèbres dès le coucher du soleil. En représailles, L-D Kabila et Yerodia Ndombasi organisent une « autodéfense populaire » qui fait d’innombrables victimes, en particulier, parmi les civils Banyamulenge, et appellent au secours l’Angola, le Zimbabwe et la Namibie.

Le 22 août 1998, plusieurs bataillons angolais entrent au Congo par Cabinda et, soutenus par l’aviation [Mig-21 et Antonov banalisés pour le combat], des chars T-54 et une redoutable artillerie lourde de fabrication soviétique, écrasent les forces insurgées, qui battent en retraite, se retirent par air ou en passant par le territoire angolais contrôlé par l’UNITA. Pour le Rwanda, l’issue finale de l’opération sur Kitona, puis sur l’ensemble du Bas-Congo, était de contenir les FAC et leurs alliés angolais, zimbabwéens et namibiens à l’Ouest de la RDC, afin de permettre au RCD d’occuper et de verrouiller les 2 provinces du Kivu, le Nord Katanga, une partie du Kasaï Oriental ainsi que toute la Province Orientale et fut, à cet égard, un succès.

Quant aux vrais motifs d’engagement du Zimbabwe, ceux-ci paraissent très controversés.
À la fin de la guerre précédente, la RDC avait une dette très importante envers le Zimbabwe et les Zimbabwéens s’inquiétaient de son remboursement si L-D Kabila venait d’être renversé.
En outre, des acteurs commerciaux zimbabwéens avaient fait des efforts exceptionnels pour pénétrer le marché congolais et investir, notamment, dans les mines, en partie au détriment des entreprises sud-africaines.

La décapitation d’un civil congolais sans défense par un soldat zimbabwéen, avec une machette. Une nouvelle coopération militaire bilatérale macabre.

Une famille de Rwandophones congolais en détresse, menacée collectivement d’exécution, après celle dont le père avait été déjà victime.
Eux aussi risquaient de perdre gros si le pouvoir changeait de mains à Kinshasa. Enfin, Robert Mugabe voyait dans la nouvelle crise congolaise l’occasion rêvée de rétablir son leadership régional sérieusement ébranlé par Nelson Mandela, Y.K. Museveni et Paul Kagame, éminents leaders de la « renaissance africaine » et préjugés pro-américains, d’après Mugabe.

D’autres réalignements furent davantage plus surprenants et étonnants. Ainsi, les Maï Maï à l’Est, qui avaient combattu L-D Kabila avant même que celui n’arrive au pouvoir. Selon la même logique, un glissement encore plus spectaculaire amène les ex-FAR et les milices Interahamwe dans le camp de Kabila. Pourtant, à peine un an plus tôt, l’AFDL et ses alliés rwandais avaient infligé des pertes très importantes aux extrémistes Hutu des FDLR. De manière inattendue, les FAR sont ramenées depuis les pays voisins, Congo-Brazzaville, Centrafrique et Zambie, réarmées, ré-entraînées et déployées sur les fronts Nord et Est. Un rapport des Nations Unies note que « les changements d’alliances en RDC et aux alentours ont tourné, contre toute attente, à l’avantage des anciennes forces gouvernementales rwandaises », parce que les ex-FAR et les milices Interahamwe sont « maintenant devenues une composante importante [des FAC] ».

Les auteurs du rapport d’une commission d’enquête des Nations Unies trouvaient profondément révoltant que cette relation nouvelle ait conféré une certaine légitimité aux Interahamwe et aux ex-FAR. Cf. International Crisis Group, Scramble for the Congo. Anatomy of an Ugly War, 20 décembre 2000, p.19.
Mais, à notre connaissance, il n’y a jamais eu aucun suivi à ce rapport précis et indigné des Nations Unies.

La poursuite d’horribles mutilations sexuelles des femmes par les FDLR
L’oppression en général de la femme congolaise n’est pas arrivée avec les retombées négatives du génocide contre les Tutsi en 1994 au Rwanda et l’exode consécutif des réfugiés Hutu.

Traditionnellement, les hommes du Kivu ne sont généralement pas tendres avec leurs femmes. Ils traitent celles-ci avec machisme, les voient, sans émotion ni solidarité, coltiner de très lourdes charges sur les dos pendant des journées entières, en corvées de bois de chauffage et des cuissons, et d’eau potable. C’est d’ailleurs dans l’épaisseur des forêts ou aux abords des points d’eau que les guettent leurs prédateurs des FDLR.

En plus, fréquemment, les plus âgées parmi ces femmes sont répudiées sans ménagement par leurs maris qui se comportent en « sugar daddies », subornant des mineures pour échanger des faveurs ou des rapports sexuels contre quelques « cadeaux » retirés sur les maigres revenus des familles. Aucune loi régissant la famille n’est mise en pratique pour protéger les femmes mariées.

Le Dr Tina Amisi, un collègue du Dr Mukwege, a relevé 48 cas de fistules obstétriques sur 138 cas examinés au Kasaï-Oriental. Presque sur toute l’étendue de la RDC, le nombre de femmes qui souffrent de problème de fistule demeure à peu près constant en raison des mariages précoces des jeunes filles, qui entraînent ensuite des accouchements prématurés ou difficiles, et des complications obstétricales par manque d’un traitement médical approprié. Mais, bien évidemment, ces oppressions-là n’ont aucune commune mesure avec celles que les « forces négatives » et, en particulier les FDLR, infligent continuellement aux femmes congolaises.

Même si, au détour des pages de leur ouvrage collectif précité, Colette Breackman et Dr Denis Mukwege chargent aussi les militaires congolais d’ex-AFDL, d’ex-CNDP ou, accessoirement, du M23 dont on dit qu’ils étaient soutenus par Kigali, et bien entendu des FAC futures et actuelles FARDC gouvernementales, ce sont les mutilations commises par les FDLR que leur ouvrage met exergue : « Sur un point, écrivent-ils, il y a unanimité : les atrocités commises par les rebelles hutu dépassent ce que la région a jamais connu. » Op.cit., p.87.

C’est au début des années 2000, après avoir combattu aux côtés des forces gouvernementales congolaises qui les avaient bien accueillies que la plupart des FDLR – qui avaient fui du territoire de la RDC en 1997- sont revenues dans les 2 provinces du Kivu. Voir supra.

Photo de couverture du livre de Colette Braeckman en collaboration avec Dr Denis Mukwege
Souhaitaient-elles, s’interrogent les 2 co-auteurs, se rapprocher des frontières du Rwanda d’où elles sont originaires ? C’est d’autant plus probable que certains de leurs militants n’hésitent pas à faire des aller-retour vers leur pays d’origine et que d’autres rêvent encore d’une très hypothétique reconquête. Mais d’autres raisons encore ont poussé ces hommes à s’enkyster au Nord et au Sud-Kivu : la forêt leur offre nourriture et cachettes, l’exploitation artisanale des gisements de coltan et de cassitérite les possibilités de faire du commerce et s’acheter des complices, et des protecteurs dans les rangs de l’armée congolaise régulière.
Les 2 co-auteurs ajoutent qu’endurcis par les crimes qu’ils ont commis pendant le génocide au Rwanda, par la vie dans les camps puis par la traque dont ils ont été l’objet à travers toute la RDC, ces hommes s’attaquent aux femmes congolaises avec une particulière violence. Ibidem, p.88.
Les 2 co-auteurs ajoutent encore que, pour ces « forces négatives », il n’y a pas d’âge pour ne pas commettre des forfaits criminels.
Tous, quel que soit l’âge qu’ils avaient en 1994, ont été marqués par le génocide. À cette époque, en effet, même les enfants, drogués au chanvre, intoxiqués par la haine ethnique, encouragés par leurs parents, ont participé aux massacres : ils repéraient les cachettes des fuyards, dénonçaient leurs voisins, espionnaient l’avancée du FPR et, à la fin, prenaient leur part lorsque les victimes étaient dépouillées de leurs biens et de leurs vêtements. Dans les camps de réfugiés, ces jeunes ont continué à recevoir un entraînement militaire et un encadrement psychologique. Et par la suite, ces hommes recrus de violence, ces adolescents qui n’avaient connu d’autre école que celle de la forêt, ont combattu aux côtés des Maï Maï ou des forces gouvernementales congolaises, souvent placés en première ligne.
La plupart de ces hommes, en général, ont développé des sentiments de haine et de mépris à l’égard des Congolais, reprochant aux autorités de les avoir utilisés comme supplétifs puis de les avoir abandonnés, sans même payer les salaires qui avaient été convenus. Cette détestation seule suffirait déjà à expliquer la cruauté des traitements infligés aux femmes congolaises. Ibidem. Cette analyse offre un avant-goût des scènes horribles de mutilations sexuelles des femmes et des filles de tous les âges qui jalonnent cet article.

Les actes d’une cruauté inouïe

Dr Denis Mukwege estime qu’il ne s’agit pas seulement de brutalité à l’état pur. Dès 2002, raconte-t-il, alors que les villages du Sud-Kivu se vidaient, que les populations éperdues se réfugiaient en forêt ou essayaient de s’abriter dans les villes, il a commencé à analyser les blessures des femmes qui se présentaient à sa consultation. Certaines d’entre elles avaient le clitoris sectionné, les seins coupés ; d’autres avaient été mutilées par des lames de rasoir, des coups de feu tirés dans le vagin, des brûlures, des coups de baïonnette.

Comme si leurs bourreaux manifestaient une véritable haine à l’encontre de l’appareil génital de la femme ! Il n’y avait aucun désir de jouissance, rien d’autre que la destruction, conclut-il.

Un jour, on lui présenta à l’hôpital une femme qui semblait avoir perdu la raison. Lorsqu’elle se mit à raconter ce qu’elle avait vécu, le médecin et ses assistants ont eu du mal à réaliser de quoi elle parlait. Elle tentait de leur dire qu’à la suite d’un raid d’hommes armés sur son village, ses 4 enfants avaient été emmenés. Elle- même avait dû suivre, considérée comme une prisonnière, une esclave sexuelle.
Peu de temps après l’enlèvement, on lui présenta un plat étrange, qu’elle fut forcée d’avaler. A la fin, ses geôliers lui déclarèrent qu’on lui avait fait manger 3 de ses propres enfants !

Comment expliquer de tels actes ? Mukwege répond que le seul but est de faire régner la terreur. Des histoires semblables, poursuit-il, toutes les familles se les racontent et le message passe : « si vous ne respectez pas ce que l’on vous impose, voilà ce que vous devrez subir ! » Après une aussi terrible leçon, les gens, terrorisés, sont ainsi incapables de réagir et de se défendre.

Tous les récits recueillis par le gynécologue se ressemblent : la plupart des femmes ont été violées par plusieurs hommes d’affilées, 3 ou 4 en moyenne. Nombre d’entre elles ont été emmenées en forêt et ont été contraintes de devenir, sous la menace des armes, des esclaves sexuelles, porteuses de bagages ou cuisinières. La plupart du temps, celles qui ont réussi à revenir se sont révélées porteuses du VIH Sida, contaminées par leurs ravisseurs, sans aucun moyen de se faire soigner avec des anti- rétroviraux.

Un autre fléau collectif frappe ces malheureuses femmes, mais il est rarement cité dans la région et porte le nom de fistule. Lire supra. On sait que la fistule traumatique vésico-vaginale ou recto-vaginale désigne la perforation de la membrane qui sépare le vagin de l’appareil urinaire ou digestif. Cette grave maladie se répand également parmi les femmes violées, avec une ampleur très inquiétante. Elle est responsable d’écoulements vaginaux d’urine ou de selles, avec, souvent, dégagement des odeurs pestilentielles qui imprègnent l’atmosphère. On dit que les femmes atteintes de fistule ne peuvent pas participer aux activités quotidiennes d’autosubsistance, sont tenues à l’écart de la vie sociale et considérées par presque toute leur communauté comme des pestiférées.

Débordé, épuisé, Dr Mukwege décide finalement de faire appel à l’expertise étrangère. Il sait qu’en Afrique, il n’existe qu’un seul centre spécialisé dans la réparation de fistules, en Ethiopie. Il fait le voyage à Addis-Abeba, invite des spécialistes éthiopiens à séjourner à l’hôpital de Panzi, pour dispenser une formation aux praticiens locaux congolais. Il put ainsi décentraliser ses services d’obstétrique, avec un nombre accru d’infirmiers, des accoucheuses et des sages-femmes relativement bien formés, afin que ceux-ci puissent, au plus tôt, être dispersés sur 6 zones de santé et accueillir les victimes en première ligne.

Mais, plus tard, alors que la situation semble s’améliorer, il n’est pas à l’abri du désespoir et de nouvelles désagréables surprises : « Il m’est arrivé trop souvent, rapporte-t-il, de réparer des femmes, de les guérir complètement, et de les voir revenir 3 mois plus tard, violées à nouveau, détruites une fois de plus. L’autre jour encore, une femme qui avait été violée pour la troisième fois m’a crié que plus jamais elle ne retournerait à Bunyakiri » Op. cit. , p.109. Lire supra, au début de cet article.

Bunyakiri est une localité congolaise au Nord de Bukavu, au Sud-Kivu, située à lisière du parc national de Kahuzi-Biega, repaire et sanctuaire privilégiés depuis de nombreuses années des FDLR, à partir desquels elles opèrent et se retirent impunément, souvent en complicité avec des FARDC, au vu et au su de la MONUSCO- mission des Nations Unies déployée en RDC.

Les FDLR devenues comme l’hydre de la légende

En mythologie classique gréco-romaine, l’hydre est décrite comme étant un serpent fabuleux dont les 7 têtes repoussent au fur et à mesure qu’on les coupait. Au sens figuré, l’hydre est un mal qui semble se développer continuellement en proportion des efforts qu’on fait pour le détruire ; un mal monstrueux. C’est également le cas, nous l’avons déjà vu, du phénomène des FDLR.

En 1996, l’AFDL avait été fondée dans le but primordial de démanteler les structures des FDLR, dans les camps, qui continuaient à prendre en otages les véritables réfugiés, à rapatrier ceux parmi eux qui le désiraient sincèrement, et à sécuriser la frontière rwando-congolaise transformée en poudrière. Deux ans plus tard, le RCD, a été mis sur pied essentiellement pour le même objectif. Même après les Accords conclus à Sun City et le retrait officiel de l’APR, en 2002, ainsi que l’intégration des rebelles du RCD au sein des forces gouvernementales, les FDLR n’ont pas été délogées de leurs sanctuaires. Sans compter les nombreuses fois où des opérations conjointes menées par les armées régulières rwandaise et congolaise avaient réduit à « moins de 1.000 hommes » les effectifs opérationnels des FDLR, d’autres ayant été rapatriés au Rwanda ou dispersés en petits groupes, qui ne représentaient plus une menace réelle pour les 2 pays. Mais, en dépit de tout, les FDLR renaissent de leurs cendres, irrésistiblement, comme la fameuse hydre de la légende.

Qui est derrière la pérennisation de la présence des FDLR en RDC ?

Un militaire congolais des FARDC interrogé à Bukavu en 2002 par Mukwege se souvient qu’après avoir escorté un milicien des FDLR jusqu’à la frontière, il aurait retrouvé le même homme dans un carré minier, 3 mois plus tard. Et un curé de paroisse aurait identifié, à plusieurs reprises, des hommes qu’il était certain d’avoir vu traverser la frontière « pour être remis entre les mains des autorités rwandaises », etc…

De quelles autorités rwandaises s’agit-il ? Sait-on qu’au Rwanda la moindre donnée administrative est, depuis longtemps, informatisée ? Les personnes ressources ayant fourni ces informations ne sont pas nommément identifiées. Ces affirmations, qui ne sont pas documentées, sont par conséquent peu crédibles sous la seule réserve que des FDLR rentrant au pays ou en sortant illégalement-mais ça nous paraît quasi impossible-pourraient transiter par la frontière des 8 autres pays voisins avec lesquels la RDC partage une frontière commune qui, elle, constitue une véritable passoire.
S’il est un fait que, malgré les poursuites contre les FDLR, celles-ci semblent indestructibles et appelées sans cesse à se reconstituer, la responsabilité ne relève pas, en aucune manière, du gouvernement rwandais qui s’efforce de les rapatrier chaque fois que c’est possible. A qui alors incombe cette pérennité ?

A Nzibira, un coin perdu dans le territoire de Walungu, dans une petite clinique décentralisée que l’un des prix internationaux attribués à Dr Mukwege a permis de financer, Salomon, un médecin est catégorique. Aucune initiative de la « communauté internationale » ne trouve ici grâce. Les villageois qui, autrefois, comptaient sur l’aide humanitaire sont aujourd’hui rongés par le doute et la misère. Ils assurent que les Casques bleus, qui passent là dans leurs 4×4 immaculées de blanc, ne les protègent guère, et ils s’interrogent : « Que transportent ces hélicoptères onusiens qui se posent régulièrement dans les clairières de la grande forêt ? ». Salomon se fait encore plus précis lorsqu’il affirme en citant les villageois congolais : « Le Comité international de la Croix-Rouge [CICR] nous paie 7 dollars pour transporter des caisses jusqu’à la forêt et nous précise qu’il nous suffit de les déposer et de partir, nous nous demandons ce qu’elles contiennent et à qui ses colis sont destinés. Se pourrait-il que nos ennemis soient approvisionnés sinon entretenus par une « communauté internationale » qui n’aurait pas intérêt à ce que la région se pacifie vraiment ? » Op.cit, p.116.

Des soldats des ex- FAR et miliciens Interahamwe supplétifs de l’armée régulière congolaise, faits prisonniers à Kisangani lors de la seconde guerre africaine du Congo. Photo de l’Agence Reuters.
Or, déployée dès mars 2001 et renforcée, en particulier, en 2002, la MONUSCO avait pour mandat premier de protéger les populations civiles et d’aider l’armée congolaise à désarmer et rapatrier les rebelles des FDLR. Plus de 10 ans plus tard, Dr Mukwege constate qu’on est loin du compte : « Au Nord et au Sud- Kivu, il se passe quelque chose que nous ne comprenons pas. Au lieu de s’interposer, la MONUSCO joue un rôle d’observateur, et cela alors que les viols se commettent souvent à quelques mètres des positions des Casques bleus. Tout se passe comme si on ne voulait rien voir, rien savoir. A la fin, on s’interroge pour savoir si ces gens [la MONUSCO] sont là uniquement pour prendre des photos et publier des rapports […]. Tous les 3 mois, nous sommes endeuillés par un événement macabre […]. »Et de poursuivre : « Assurer que c’est au Congo que l’ONU a déployé la plus grande de ses opérations de paix, cela ne veut rien dire. […]. Ibidem, p. 138. Quant aux FARDC, elles-mêmes ne sont pas à l’abri des accusations très graves des paysans de Walungu : « L’un dernier, racontent-ils, lorsqu’elles ont été constituées en régiments, les troupes ont été retirées du milieu. Cette vacance a permis aux rebelles [des FDLR] de revenir et de se réimplanter. »Ibidem, p.116.

Tout le monde connaît, du reste, le cas du colonel congolais qui se faisait appeler « Foca Mike » [en réalité Albert Kahasha]. Il avait amorcé, vers 2009, une attaque contre les FDLR mais, alors qu’il commençait à enregistrer ses premiers succès, qu’il faisait des prisonniers et filmait les opérations afin de convaincre de son efficacité et de sa transparence, il a été rappelé à Kinshasa, où il a été blâmé et sanctionné. Il fit défection par la suite. Pis, à la base, il semble que les ravisseurs des femmes congolaises opèrent en réseaux avec des intermédiaires congolais. Florence, une femme également de Walungu, qui a été longtemps captive des FDLR précise : 

« Les jeunes gens que vous voyez passer à moto, casque enfoncé, visage dissimulé, ne sont pas seulement des types qui gagnent leur vie en allant en forêt rechercher le coltan pour l’apporter aux comptoirs établis en ville. Parmi eux, il y a aussi des garçons qui travaillent pour [les FDLR]. Ils essaient de retrouver les fugitives, ils tentent de repérer où se trouvent les enfants nés du viol. Les Interahamwe considèrent en effet que ces enfants leur appartiennent et ils ne les perdent jamais de vue. » Op. cit., p. 123. Dans le cas de Florence, les violeurs n’ont pas retrouvé l’enfant fait avec eux. Ils se sont vengés en massacrant froidement sa grand-mère, sa sœur ainsi que l’enfant de cette dernière. Quant à son amie, Daniela, également ancienne captive des FDLR, qui avait réussi à leur rééchapper, a vu toute sa famille exterminée. Au total, 28 personnes tuées également de sang froid, au cours d’une nuit.

Vers l’extinction de la population de Shabunda

Shabunda est une localité au Sud-Kivu où les viols commis par les FDLR ont été les plus nombreux et aussi les plus récurrents.
Le nombre de veuves, de victimes de violences sexuelles ainsi que des risques que courent les enfants de moins de 5 ans qui n’ont plus accès aux ressources alimentaires et dont la vie est menacée, y est le plus élevé du Congo.

 « Que se passera-t-il, s’interroge le Dr Mukwege, le jour où l’on se réveillera, où l’on constatera que la moitié de la population de Shabunda aura disparu ? » Pour lui, il ne fait pas de doute que le viol est réellement une arme d’extermination massive : « Si l’on s’acharne ainsi sur l’appareil génital de la femme, ce n’est pas sans raison, cela entraîne aussi une dépopulation. Non seulement parce que la femme risque d’être emportée par des maladies infectieuses, qu’elle ne pourra plus avoir d’enfants, qu’elle sera contaminée par le Sida et le transmettra […] mais aussi parce qu’à côté d’elle, les hommes deviendront des victimes. » Et, plus loin, on peut lire in extenso :

Un soldat d’ex- FAR et un milicien Interahamwe des FDLR non loin de Pinga, au Nord- Kivu, aujourd’hui. Photo de Jeune Afrique no 2778- du 6 avril 2014.
« Lorsqu’un homme a été témoin du viol de son épouse, il est ensuite frappé d’impuissance sexuelle. Il m’est arrivé de recevoir en consultation des hommes qui, depuis l’épisode du viol, n’avaient plus eu de rapport sexuel avec leur femme. Cette dernière croyait qu’elle ne leur avait pas pardonné. En réalité, lorsque je m’entretenais avec eux, ils me confiaient : Docteur, même si je fais un effort, je suis incapable d’avoir une relation sexuelle avec mon épouse. Dès que j’essaie, les scènes auxquelles j’ai assisté arrivent dans ma tête […]. Non seulement cet homme-là a un problème avec son épouse, mais par rapport à lui-même, il se sent dévalorisé, frappé d’impuissance. Il me dit aussi : Je ne sens plus que je suis un homme […]. A mes enfants, qui ont assisté au viol de leur mère et à mon humiliation, puis-je encore dire que je suis un père ? ». Op. Cit. p. 142.

Des tas d’hommes humiliés publiquement ont ainsi perdu toute volonté de vivre, de se reproduire et de se défendre. Dr Mukwege rapporte qu’un homme originaire de Shabunda se présenta, un jour, à sa consultation et lui avoua qu’il ne pouvait pas en payer les frais alors qu’il avait un emploi. Il lui expliqua que dans une carrière où il creusait et ramassait du coltan, il ne gagnait rien avec son travail. En fait, la carrière était contrôlée par les FDLR, qui lui avaient même donné la feuille de route lui permettant de voyager et d’aller se faire soigner […]. Pour lui, il était hors de question de résister : « Je travaille pour rien, parce qu’ils sont plus forts que moi », finit-il en conclusion. Op. cit., p. 144.

D’autres personnes détruites mentalement, moralement, physiquement, par les FDLR Interahamwe ou les ex- FAR, finissent par des suicides. C’est le cas notamment d’une jeune fille, violée à Bunyakiri, plus tard recueillie dans une communauté de religieuses, qui voulait se supprimer, elle et son bébé âgé de 3 mois qui était né à la suite du viol. Ibidem, p. 144. Les sœurs protectrices étaient embrassées et ne savaient pas quoi faire pour prévenir et éviter l’éventualité de ce double suicide. Au bout de leur désespoir, elles se sont adressées, mais en vain, au Dr Denis Mukwege. Celui-ci n’indique pas quelle en fut l’issue finale. Mais on devine qu’elle fut fatale.

Conclusion

Le 28 février 2001, sac au dos et leur AK-47 en bandoulière, le dernier bataillon de l’Armée Patriotique Rwandaise [APR] quitte Pweto, dans l’extrême Sud-est du Katanga, avec pour consigne de se replier sur la localité de Pepa, à 200 kilomètres au Nord- Est de leurs positions d’origine. Ce retrait constituait en fait la première tentative d’application des accords de Lusaka, signés en juillet 1999 par les belligérants impliqués dans le conflit en RDC.

« Général » Victor Byiringiro

Alors que depuis plusieurs mois les gouvernements semblaient avoir abandonné aux militaires le soin de faire la guerre en RDC, les diplomates avaient subitement repris du service. Facilitée par la disparition subite de Laurent-Désiré Kabila [le 16 janvier 2001], la reprise du dialogue a été largement soutenue par les Nations Unies. Réunis par l’ONU à la mi-février, la même année, pour trouver une solution négociée à la crise qui ravageait l’ex-Zaïre, les représentants des Etats enlisés dans le bourbier congolais s’étaient mis d’accord sur un plan de retraits progressifs et graduels de leurs forces armées intervenant au Congo, dont la première étape consistait à retirer leurs forces de par et d’autre de la ligne de front sur une profondeur de 15 kilomètres, au plus tard le 15 mars 2001. Dans la foulée, selon la résolution 1341 du Conseil de sécurité, le retrait total des forces étrangères devait intervenir le 15 mai 2001.

Simultanément, L’ONU avait invité le Rwanda à préparer un plan de désarmement et de démobilisation des milices hutu [lire plutôt des FDLR, ndla] qui poursuivaient leurs attaques contre le territoire national rwandais, ce qui avait conduit l’APR à intervenir en RDC. Enfin, la résolution 1341 évoquait le déploiement de la Mission des Nations Unies au Congo [MONUC], future MONUSCO, chargée de contrôler le suivi du retrait de toutes les forces étrangères et d’assurer la protection des populations civiles congolaises.

En fait, en septembre 2002, le dernier soldat d’APR se retirait définitivement du territoire de la RDC. Ensuite on ne vit jamais de militaires rwandais déployés au Congo, sauf lors des opérations conjointes autorisées par le gouvernement de la RDC, Kimya 1 et 2 d’une durée extrêmement limitée, entre 2009 et 2012.

L’APR plia bagage sans avoir bradé un seul km2 du territoire congolais, contrairement à ce que les ONG avaient braillé dans les médias. Outre que la guerre au Congo coûtait cher au pays [environ 14% des dépenses publiques en 2001 derrière le secteur d’éducation en termes des priorités], le retrait anticipé du Rwanda fut salué comme une preuve de bonne volonté par l’ensemble de la « communauté internationale ». Cependant, en acceptant de le faire, le Rwanda savait qu’il abandonnait définitivement le terrain. Car il n’était plus envisageable pour l’APR, futures RDF, de s’y redéployer à nouveau sans se discréditer auprès de la « communauté internationale ».

Certes, les conditions sécuritaires se sont, depuis lors, considérablement améliorées à l’intérieur du Rwanda et ce pays est, peut-être, le plus paisible d’Afrique, où nul n’est inquiété d’y vivre et d’y investir.

Dans le Nord-Kivu, la menace Interahamwe qui pesait sur le Nord-Ouest du Rwanda paraissait effectivement très affaiblie suite aux opérations d’APR consécutives à la seconde guerre africaine du Congo, et les redditions des miliciens et des ex-FAR s’étaient multipliées. Plusieurs dizaines d’éléments des FDLR ont par la suite déposé les armes. Parmi eux se trouvaient notamment le major Fréderic Itangayenda « alias » « Nindja », et plusieurs de ses subordonnés.

Mais, sans compter des centaines d’éléments miliciens et des ex-FAR de facto intégrés dans les forces armées régulières congolaises ou qui noyautent les différentes milices burundaises, au moins 3 groupes des rebelles des FDLR demeuraient actifs : Au Nord-Kivu, un groupe comptant 4.000 hommes ; un autre au Sud-Kivu ; le plus important étant un troisième groupe situé au Katanga, au Nord de Lubumbashi, qui constituait l’avant-garde des forces rebelles fidèles au pouvoir kinois dans cette province et paraît, de ce fait, régulièrement ravitaillé par les autorités congolaises. Dotés de moyens financiers et logistiques plus importants par rapport à leur situation antérieure, ces groupes, plus ou moins autonomes sont, en outre, doués d’une extrême mobilité et peuvent sillonner, en totale clandestinité, une vaste zone qui va de Lubumbashi à Dar Es Salaam via Kalemie, Bujumbura et Kigoma et compter sur des alliés objectifs installés au Burundi et en Tanzanie. C’est pourquoi, aujourd’hui, l’opinion publique rwandaise et les médias, surtout privés, commencent à dénoncer plus énergiquement la « passivité » des Nations Unies qui laissent faire et s’inquiètent d’une éventuelle attaque par contournement par le Sud, les FDLR pouvant tout à fait remonter vers le Burundi- ce faux jumeau du Rwanda en proie à l’insécurité et à la mauvaise gouvernance chroniques- puis ressurgir au Rwanda même en traversant la frontière poreuse de la Tanzanie Orientale, où le gouvernement de Jakaya Murisho Kikwete ne leur est pas hostile. Dans quel dessein ? Poursuivre et parachever le génocide à 100% et, éventuellement, étendre l’épuration ethnique régionale, déjà à l’œuvre notamment à Shabunda. Lire Supra. On ne leur reconnaît, en effet, jusqu’à ce jour- et jusqu’à la preuve du contraire- aucun autre projet de société ou programme politique alternatifs, si ce n’est que l’exécution du génocide au finishing. Ce scénario apocalyptique n’est pas impossible. En témoigne notamment une récente déclaration des représentants des FDLR invités par l’ONG pacifiste « San Egidio » en Italie, où ils ont réitéré leur stratégie du pire. En plénière de la réunion, leur porte-parole [le « général » Victor Byiringiro] n’a pas hésité à déclarer que « la condition sine qua non du retour de la paix dans la région est la suppression physique de 8 à 10 millions de Tutsi, sinon leur déplacement » vers un « ailleurs »qu’il n’a pas précisé, mais qu’on devine être probablement l’Abyssinie mythique. Affaire à suivre.
En ce qui concerne les violations des droits de l’homme et, en particulier, de flagrants viols massifs des femmes congolaises par « les forces négatives » constituées principalement par les FDLR, là aussi, les observateurs sont formels : Il ne faut plus rien –ou presque –attendre des Casques bleus de la MONUSCO pour assurer la protection des populations civiles. Car, dans un conflit où armée régulière, milices extrémistes et groupes « maffiosi » se côtoient en parfaite anarchie, une force internationale chargée de maintien de la paix, ne peut travailler qu’en prenant un minimum de risques. Alors que faudrait-il faire pour faire face à cette situation devenue, dans tous les cas de figure, intolérable ? Ici, il faut absolument revenir aux suggestions constructives du Dr Denis Mukwege, qui est habituellement considéré comme un homme de foi, de paix et de vérité, dont le profil préfigure, peut-être, l’avenir merveilleux des pays des Grands Lacs malgré la grisaille quotidienne actuelle, dans cette région. En conclusion, il suggère ceci principalement :
(i). – La dissolution partielle de la MONUSCO : « La Mission des Nations Unies au Congo, forte de 18.500 hommes, qui dispose d’un budget annuel de 1,2 milliard de dollars, se contente surtout de faire de l’observation. On pourrait laisser les Casques bleus au Kivu, comme observateurs, mais leur budget et leurs effectifs devraient être diminués de moitié. Les moyens ainsi dégagés pourraient être octroyés à l’armée congolaise. »Op. Cit. , p. 96.

(ii).- La réforme profonde et la professionnalisation des FARDC : Il part du principe suivant : Les FARDC sont issues du principe d’intégration des effectifs pléthoriques évalués à plus de 300.000 hommes déclarés « officiellement », dont des « fantômes »,des soldats morts au combat ou inexistants et dont les chefs revendiquent la présence pour percevoir et empocher leurs soldes, mais l’armée régulière intègre aussi de nombreux criminels de guerre et de génocide parmi lesquels, on l’a vu, des ex-FAR et Interahamwe. Comment peut-on demander à tous ces gens-là, démunis de tout, qui ont pratiqué la violence durant des années, de se transformer soudain en protecteurs des populations civiles ? Dr Mukwege suggère de mettre sur pied une armée réduite en nombre, réellement performante, constituée par de jeunes auxquels on aura inculqué le civisme, le patriotisme et le devoir de protéger les civils. Tous les autres seraient encouragés à cultiver, en coopératives, du riz et des haricots, denrées de la chaîne alimentaire essentielles pour les Congolais des 2 Kivu. Il assure que « si un soldat constate qu’il peut obtenir 10 tonnes de paddy et gagner 6.000 dollars par an, il ne tardera pas à quitter l’armée ». Ibidem, p. 96.

(iii) – Créer des forces de défense locales qui devraient « responsabiliser » les gens par rapport à la sécurité de leur propre communauté, avec un encadrement assuré par l’État, pour éviter que ces forces livrées à elles-mêmes, ne puissent commettre des dérives. Au Rwanda, ajoute-t-il, cela fonctionne normalement et les forces de défense locales, éduquées au civisme et à la culture de la paix, ont permis d’impêcher toutes les velléités de violences entre Hutu et Tutsi. Ibidem, p. 102. Cela pourrait servir de modèle à suivre, si toutefois la plupart des congolais parviennent à se débarrasser de leur ethno- centrisme et xénophobie primaires anti- rwandais, pour apprendre de l’expérience rwandaise et s’en approprier les avantages évidents, qui ont permis de créer une nouvelle nation libre, stable et émergente régie par l’État de droit, à partir du néant. Lire infra.

(iv) – Aider les victimes à revendiquer leurs droits : L’aile de l’hôpital de Panzi sur laquelle règne la juriste Yvette Kobo est, peut-être, plus active que les salles de consultations en obstétrique. Une femme avocate compulse les dossiers des consœurs clientes, victimes des viols commis par les FDLR et les Maï-Maï. Elle porte, courageusement, des plaintes contre leurs ravisseurs connus, témoigne devant un tribunal et réclame des réparations en nature ou en espèces en faveur des victimes. Elle ne réussit pas toujours ; mais, au moins, elle démontre que les femmes martyrisées n’entendent plus demeurer passives et aspirent à défendre leurs droits bafoués.

(v) – Interdire la xénophobie anti-rwandaise ambiante en RDC et développer les coopérations transfrontalières entre les 2 pays. « La frontière, écrit-il, doit fonctionner comme une veine qui bat ».Op. cit., p. 151.

Au-delà des tensions politiques momentanées, Dr Mukwege relève le mouvement singulier des Congolais qui décident de vivre au Rwanda : les villes rwandaises de Kamembe et de Ruhengeri sont actuellement habitées par des Congolais en masse qui, néanmoins, poursuivent leur vie professionnelle à Bukavu ou à Goma tout en préférant vivre au Rwanda pour leur sécurité, le bénéfice de consommation d’eau et d’électricité stable. Les populations transfrontalières rwandaises et congolaises maintiennent un climat d’entente et de bon voisinage qui facilite les échanges dans presque tous les secteurs vitaux. Ainsi, conclut-il, avec une pointe d’optimisme et d’espérance pour l’avenir paisible et merveilleux des peuples des Grands Lacs, dans son ouvrage édifiant, ce médecin honnête, courageux et visionnaire.

Mais, tout d’abord, il faut absolument conjurer les menaces périlleuses que, à nouveau, les FDLR et leurs alliés objectifs font peser sur la région et rétablir un climat de paix propice à une saine coopération régionale et à l’essor économique et social, et faire taire tous ces bruits des bottes qu’on entend si souvent actuellement. Et pour cela, toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté, dans cette région, doivent se rassembler et travailler en synergie, pour contrer les noirs desseins des FDLR et de toutes les « forces négatives » qui lui sont alliées, avant qu’il ne soit bientôt trop tard.


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