Réponse d’un Réfugié à la déclaration du Président de la République du Burundi

Redigé par Me Patrick NITEGEKA
Le 2 avril 2017 à 06:43

Faisant suite à vos appels au retour des réfugiés, je voudrais me permettre d’y répondre en tant qu’un des 414,794[1] destinataires. Mais permettez-moi Excellence, de débuter ma lettre par la présentation de mon “mea culpa” tel que me l’interpelle la Parole de Dieu[2].
Excellence,
Malgré mon passé en politique ;
Etant donné que j’ai été le seul représentant d’un mouvement de jeune de Bujumbura à défendre les manifestations pacifiques lors de la visite de la Délégation du Conseil de Sécurité, en Mars 2015 ; (...)

Faisant suite à vos appels au retour des réfugiés, je voudrais me permettre d’y répondre en tant qu’un des 414,794[1] destinataires. Mais permettez-moi Excellence, de débuter ma lettre par la présentation de mon “mea culpa” tel que me l’interpelle la Parole de Dieu[2].

Excellence,

Malgré mon passé en politique ;

Etant donné que j’ai été le seul représentant d’un mouvement de jeune de Bujumbura à défendre les manifestations pacifiques lors de la visite de la Délégation du Conseil de Sécurité, en Mars 2015 ;

Etant donné que je ne me suis limité qu’à vous suggérer – par la voie des médias – de ne pas briguer un autre mandat pour éviter tout conflit politique, alors que j’aurais pu faire mieux ou encore plus, pour éviter cette situation actuelle ;

Etant donné que, malgré que je n’ai pas participé aux manifestations, que ce soit directement ou indirectement[3] ; je m’y suis exprimé favorablement en Mars 2015, en tant qu’un des leaders de la jeunesse de Bujumbura ;

Ayant pris sufisamment de temps pour analyser ce conflit politique, chronologiquement et en toute lucidité ;

Considérant son évolution ainsi que ses conséquences sur la population burundaise en général et la jeunesse en particulier ;

De tout ce qui précède ;

1. Je me sens moralement coupable pour tout propos que j’aurais tenu, soutenant d’une manière ou d’une autre les manifestations pacifiques, vu qu’elles ont dégénéré, occasionnant des deuils dans les familles, des emprisonnements, des situations de réfugiés, de l’insécurité, ainsi que cette crise économique dont traverse le Burundi, actuellement ;

2. Ma foi et ma conscience m’instruisent de prendre ma plume et de présenter mon Mea culpa au Peuple burundais, à vous Excellence et plus particulièrement aux familles qui ont perdu les leurs ;

3. Je déclare qu’au cas où le Ministère public m’incriminerait pour l’un ou l’autre propos tenu ou action menée en lieu et place du mouvement que je dirigeais, je n’hésiterais pas à comparaître, dans le but de promouvoir l’état de droit, mais aussi du simple fait qu’à ma connaissance, ma conscience ne m’accuse d’aucun acte criminel.

Excellence, revenant à l’objet principal de ma lettre ;

Faisant suite à votre appel au retour volontaire des réfugiés, lors de votre discours du 1er Juillet 2016 ;

Faisant suite au discours du Président de l’Assemblée Nationale au Mont Sion de Gikungu, en date du 20 Novembre 2016, exhortant le Clergé, à “s’impliquer pour le retour des réfugiés burundais” ;

Faisant suite à la Déclaration de l’Ombudsman burundais à l’occasion des fêtes de fin d’année 2016, par laquelle il a lancé un appel aux réfugiés burundais à regagner leur pays ;

Faisant suite aux préoccupations du Médiateur dans le conflit burundais ;

Faisant suite à la récente visite du Ministre de l’Intérieur et de la Formation patriotique dans le camp de Nakivale en Ouganda ;

Et,

Etant donné que toute personne ayant un statut de réfugié n’a pas le droit de faire des activités politiques ;

Etant donné que par conséquent, un réfugié n’a pas de porte-parole ou de Parlement qui exprimerait son souhait ;

Etant donné que le retour volontaire du réfugié est une décision personnelle ;

J’aimerais vous répondre non seulement en mon nom propre, en tant qu’un des 414,794 réfugiés, mais aussi au nom du réfugié lambda qui partagerait mon opinion.

En effet, Excellence, aucune personne ne peut décider de quitter son pays natal, sa patrie, pour aller chercher refuge ailleurs sans raison valable. Certains d’entre vous ont été des réfugiés ; je présume que nous partageons cet avis.

C’est un secret de polichinelle que malgré vos appels au retour, le nombre de réfugiés burundais ne cesse d’augmenter, dépassant aujourd’hui les 414,000.

Les Nations-Unies viennent de déclarer que le nombre de réfugiés burundais pourrait atteindre les 500,000 en fin 2017[4].

L’on se demanderait alors la question de savoir, quelle est cet avantage d’être réfugié alors que la paix règne chez soi ? Je suis tenté de reprendre la question de Mgr Banshimiyubusa, à savoir : ”Pourquoi les réfugiés ont peur de rentrer ?” Et à moi d’ajouter : Est-ce vraiment suite aux rumeurs -comme le considère le Gouvernement- ou c’est suite aux persécutions qu’ils subissent et/ou aux menaces réels d’en subir ? La situation des réfugiés pourrait nous éclairer là-dessus.

De la situation des réfugiés burundais

Pour votre information, Excellence, les réfugiés burundais sont dans des catégories différentes. Certains sont des acteurs politiques, d’autres ne sont que des victimes du conflit politique et ne réclament que la paix et la sécurité pour regagner leur pays. Dans cette dernière y figurent beaucoup plus les femmes et les enfants.

Selon les statistiques du HCR[5], plus de 52% de toute cette population de réfugiés burundais sont des enfants ayant l’âge compris entre 0 et 17 ans, tandis que les femmes ayant un âge compris entre 18 et 59, constituent 22%. Ceci veut dire que seuls les victimes, sont au moins, plus de 51%, pour ne pas dire 70%.

Les acteurs politiques, qui ont pris part à ce conflit politique sont, eux-aussi subdivisés en catégories. Certains sont réfugiés dans des milieux urbains, en Afrique ou en Occident tandis que le reste se trouve dans une situation plus ou moins déplorable, dans des camps de réfugiés.

Et enfin, il y’a une autre catégorie de réfugié, n’ayant pris part à aucune activité politique, mais craignant de retourner au pays, pour le simple fait d’être “jeune de sexe masculin” et que ceux qui rentrent sont automatiquement considérés comme des rebelles. Cette catégorie constitue la très grande majorité, hormis les femmes et les enfants.

Le comble de malheur est que – le monde connaissant une crise mondiale des refugiés – le HCR et ses bailleurs ne peuvent plus assurer de bonnes conditions de vie aux réfugiés.

Pour le cas des réfugiés burundais ; sur un total de 214,5 millions de dollars requis par le HCR à ses bailleurs, il n’avait obtenu que 1,03% seulement[6], en date du 24 Mars 2017.

De tout ce qui précède, Excellence, admettons qu’il n’y a aucun avantage à souhaiter être réfugié lorsque la paix est garantie chez soi. Sûrement donc qu’il y’a une cause principale derrière ce phénomène croissant de réfugié dont l’identification est primordiale pour pouvoir y apporter une solution adéquate ; un préalable pour activer le retour volontaire des réfugiés.

Rumeurs et/ou faits réels ?

Excellence, dans vos discours officiels, vous considérez toujours qu’il n’y a pas de burundais qui auraient fui parce que le pouvoir ou le parti au pouvoir les menaçait de nuire à leurs droits fondamentaux ; qu’ils ont plutôt fui des rumeurs et histoires montées de toute pièce. Vous nous rassurez toujours qu’au Burundi, vous êtes dans la paix et la sécurité, que vous êtes dans la phase de recherche de la vérité et de la réconciliation, pour que chaque burundais rentre dans son pays natal.

Supposons, Excellence, que certains rapporteurs des Nations Unies ou ONG, que certains leaders ou membres des partis politiques ou de la société civile, peuvent abuser dans leur description de la situation des droits de l’Homme au Burundi pour inciter les burundais à fuir le pays, comme vous le présumez. Vu la fermeture de certains médias privés au Burundi et vu que la grande majorité de la population n’a pas d’autre moyen pour avoir connaissance de ce genre de rapport, admettons ensemble Excellence, par conséquent, qu’en aucun cas, ces rapports sans large diffusion ne peuvent être la cause principale de ce phénomène croissant de réfugiés burundais.

Supposons aussi que certains usagers “anonymes” des réseaux sociaux peuvent “monter des histoires de toute pièce” pour aboutir à leurs fins. Considérant que seul un nombre très réduit de burundais peut accéder à ces canaux d’informations, j’en déduis que ces “histoires montées de toute pièce” ne peuvent pas – à elle seules – inciter plus de 400,000 burundais à fuir le pays.

Excellence, de tout ce qui précède, nous pouvons en conclure que les rumeurs ne constituent pas la cause principale derrière ce phénomène croissant de réfugiés ; sans toutefois nier la place que les rumeurs occupent en général, dans la société burundaise.

Mais alors, si ce ne sont pas les rumeurs, que pourrait être la cause de cette situation accablante des réfugiés burundais ?

Permettez-moi Excellence, de vous éclairer par certains faits (révélés par les médias et/ou réseaux sociaux) qui d’après moi, retardent ou rendent presque impossible le retour volontaire des réfugiés au Burundi, avec toutes ses conséquences.

Je citerais entre-autres :

1. Des détentions arbitraires, disparitions forcées ainsi que des assassinats ;

2. Des autorités qui considèrent les réfugiés burundais comme des rebelles ;

3. L’existence des documents intitulés “liste de jeunes manifestants” ;

4. Des enquêtes judiciaires qui n’aboutissent pas ;

5. Des jeunes civils qui agissent en lieu et place des Corps de défense et de sécurité ;

6. Des membres des Corps de défense et de sécurité qui ne respectent pas les droits fondamentaux de l’individu et du citoyen et qui violent les articles 241 et 256 de la Constitution en tenant des propos ethnistes et/ou en demandant des rançons ;

7. De hautes autorités et autorités locales qui prônent des discours divisionnistes, contrairement à leur serment ;

8. L’espace politique verrouillé ;

9. Un mauvais climat des affaires suites aux intimidations des agents de l’Etat sur des hommes d’affaires, etc.

Excellence, les faits à eux-seuls ont une voix portant beaucoup plus loin que les rapports des ONG ou les discours officiels. Face à ces abus cités ci-haut, quelles garanties offrez-vous à ceux qui ne se sentent pas en sécurité ? Et quant à ceux qui aimeraient rentrer au pays, comment les garantissez-vous qu’au Burundi personne n’est au dessus de la loi ? Voilà, Excellence, les principales préoccupations auxquelles devrait se pencher le Gouvernement, si bien sûr il y a volonté politique.

Rassurez-vous Excellence, que le jour où le Gouvernement manifestera sa volonté politique d’imposer la Sécurité et la Justice pour tous, tel que la Constitution nous le garantisse, l’impact sera proportionnel. Même la Parole de Dieu nous révèle – dans le Livre des Proverbes – l’importance de la Justice dans la société[7]. Par-là Excellence, notez que votre mot d’ordre en faveur de l’état de droit, en tant que numéro un de la Nation, est un devoir sacré et un impératif pour que la société Burundaise retrouve son unité.

La balle étant dans votre camp Excellence, je ne peux rien d’autre que vous partager ma suggestion pour que vous parveniez à activer le retour volontaire des réfugiés burundais. Sous l’inspiration de Martin Luther King qui a dit, je cite “True peace in not merely the absence of tension ; it is the presence of justice”, il faut tout simplement que les initiatives du Gouvernement manifestent votre volonté politique de reconnaitre les droits fondamentaux de l’individu et du citoyen, sans distinction, tels que stipulés dans le point 1 du Titre II de la Constitution de la République du Burundi promulguée le 18 Mars 2015 surtout en ses articles 21, 23, 24, 25, 28, 31, 33, 38, 39,40, 42, 43, 47,48, 56, 60 et 61.

Entre-autres initiatives, il faudrait :

1. Restaurer l’état de droit, conformément à votre serment et en tant que garant de la Constitution et Commandant Suprême des Corps de défense et de sécurité ;

2. Proposer au Parlement de voter une amnistie unilatérale des jeunes ayant participé aux manifestations et des jeunes Imbonerakure ayant participé à la repression. Sinon, que le pouvoir judiciaire les poursuive mais dans le respect de la Constitution (art.38, 39,40, 42, 43, 48, 60 &61 de la Constitution) et qu’en aucun cas la vie d’un jeune ne soit plus en danger du fait qu’un agent de l’Etat, qui qu’il soit, le décide sans base légale ;

3. Doter le pouvoir judiciaire des moyens nécessaires (volonté politique) pour qu’il remplisse sa mission (art.38 & 60 de la Constitution) avec efficacité et en toute impartialité ;

4. Mettre en garde toute autorité qui assimilerait tout rapatrié à un rebelle et que des sanctions exemplaires soient appliquées, le cas échéant ;

5. Interdire et mettre en garde les jeunes civils qui agissent en lieu et place des Corps de défense et de sécurité dans les villages et qu’ils soient poursuivis, le cas échéant ;

6. Restaurer la discipline au sein des Corps de défense et de sécurité ;

7. Remplacer les Officiers supérieurs ayant commis des bavures par ceux reconnus pour leur intégrité et professionnalisme ;

8. Mettre en garde solennellement toute personne qui proférerait des discours éthnistes et que des sanctions exemplaires soient appliquées, le cas échéant ;

9. Rendre à la Justice son indépendance en nommant des magistrats ayant une intégrité et un professionnalisme reconnu ;

10. Instaurer un programme de réinsertion encourageant le retour des réfugiés, que ce soit des civils ou des militaires déserteurs, etc.

Bref, le Gouvernement devrait fournir des garanties formelles en ce qui concerne la sécurité des rapatriés et que ces garanties soient pleinement respectées. Les réfugiés qui rentrent dans leur pays ne devraient pas être pénalisés pour avoir quitté leur pays d’origine pour des raisons donnant lieu à des problèmes de réfugiés.

Ces initiatives démontreront votre volonté politique de rasseoir la paix, la justice et la sécurité pour tous, sans distinction. Comme résultat, le réfugié burundais n’aura plus peur pour sa sécurité, le rebelle burundais n’aura plus de cause pour sa lutte et même votre crédibilité vis-à-vis de vos partenaires sera renforcée.

Considérant toujours que vous avez une part de responsabilité non moins importante en ce qui concerne la promotion de la démocratie au Burundi, permettez-moi de vous suggérer certaines initiatives unilatérales de votre part qui garantiraient aux burundais des élections apaisées en 2020.

1. Pardonner et amnistier unilatéralement les hommes politiques et membres de la société civile qui sont poursuivis par la justice burundaise ; Mandela a dit, je cite “Courageous people do not fear forgiving for the sake of peace”.

2. Déverouiller l’espace politique pour les partis politiques reconnus au Burundi ;

3. Assurer la participation de toutes les parties prenantes, dans le choix de la nouvelle

Commission CENI.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Le peuple, ne souhaitant que la bonne gouvernance source de paix, de justice, de sécurité et de développement ;

Etant tous conscients qu’aucun régime n’est éternel ;

Je vous souhaite que le jour où vous passerez le témoin à votre successeur, vous lui léguiez une Nation unie et sur le train du développement. Le seul moyen pour y arriver, c’est de s’imposer en garant de la Constitution et d’offrir au peuple burundais des élections apaisées et transparentes. Que Dieu soit avec vous !

C’est par ce voeu que je conclus ma réponse à votre appel au retour volontaire des réfugiés. Je me suis gardé de m’exprimer sur les points comme “le 3ème mandat”, “les négociations d’Arusha”, Conseil national du dialogue interne”, “le gouvernement d’union national ou transition”, “les rebellions”, “la communauté internationale” (…) parce qu’ à mon humble avis, ceux-ci sont purement politiques et n’auront pas d’impact sur le retour volontaire des réfugiés.

Je ne saurais mettre un point final sans saluer la libération des jeunes manifestants et demander à ce que justice soit faite pour ceux qui sont disparus aussitôt après leur libération.

Disons non aux blessures du passé et construisons un Burundi prospère, sans impunité et sans abus du pouvoir ! Je présume que c’est le rêve que vous aviez lorsque vous êtes allés au maquis et c’est ce rêve qu’aura tout enfant du Burundi aussi longtemps qu’il ne sera réalité.

Excellence, puisse mon conseil vous plaire ![8]

[email protected]

P.S.

En ce qui me concerne, malgré les inquiétudes citées ci-haut et après une très longue délibération, j’ai pris la décision personnelle que je dois envisager à renoncer à mon Statut de réfugié et rentrer au pays, pour plus d’une raison. Je renoncerai à mon Statut de réfugié en date du 05 Avril 2017.

« 

Références

[1] Statistiques du UNHCR du 24 Mars 2017

[2] 1 Pierre 2 ; Luc 6:41-42

[3] J’ai suspendu mes activités politique depuis le 07 Avril 2015, le jour ou j’ai presenté ma demission dans la formation politique à laquelle j’appartenais et j’ai quitté le Burundi 4 jours après, soit le 11 Avril 2015.

[4] http://www.foxnews.com/world/2017/02/07/un-number-burundian-refugees-to-reach-500000-this-year.html, consulté le 22 Février 2017

[5] https://data2.unhcr.org/en/situations/burundi, consulté le 24 Mars 2017

[6] https://data2.unhcr.org/en/situations/burundi, consulté le 24 Mars 2017

[7] -“La justice élève une nation, mais le péché est la honte des peuples” (Prov.14:34)

– “Il n’est pas bon d’avoir égard à la personne du méchant, pour faire tort au juste dans le jugement.” (Prov.18:5)

 “La bonté et la fidelité gardent le roi, et il soutient son trône par la bonté.”( Prov.20:28)

– “Il n’est pas bon dans les jugements, d’avoir égards aux personnes. Celui qui dit au méchant : Tu es juste ! Les peuples le maudissent, les nations le maudissent. Mais ceux qui le châtient s’en trouvent bien, Et le Bonheur vient sur eux comme une bénédiction”. (Prov.24:23-25)

– “Ote le méchant de devant le roi, et son trône s’affermira par la jusctice.”( Prov.25:5)

 ”Un Roi affermit le pays par la justice, Mais celui qui reçoit des présents le ruine”( Prov.29:4) »

[8] Daniel 4:27


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