ROYAUME-UNI • Margaret Thatcher et le lait renversé

Redigé par Charlotte Halle Ha'Aretz
Le 18 avril 2013 à 09:38

En 1971, Thatcher décide de mettre fin à la distribution gratuite de lait dans les écoles. Une mesure symbolique forte, qui sera le prémice à beaucoup d’autres - bien plus lourdes de conséquences, celles-là -, se rappelle l’éditorialiste.
Dessin de Faber, Luxembourg.
Avec nos coupes au bol et nos chaussettes remontées aux genoux, nous faisions la queue tous les matins en attendant nos petites bouteilles de lait.
Cela ne se passait pas seulement dans un couloir de style victorien de mon école (...)

En 1971, Thatcher décide de mettre fin à la distribution gratuite de lait dans les écoles. Une mesure symbolique forte, qui sera le prémice à beaucoup d’autres - bien plus lourdes de conséquences, celles-là -, se rappelle l’éditorialiste.

Dessin de Faber, Luxembourg.

Avec nos coupes au bol et nos chaussettes remontées aux genoux, nous faisions la queue tous les matins en attendant nos petites bouteilles de lait.

Cela ne se passait pas seulement dans un couloir de style victorien de mon école primaire de la périphérie de Londres, mais aussi dans toutes écoles primaires britanniques. Ce tiers de pint [env. 20 centilitres] quotidien était autrefois distribué gratuitement à tous les écoliers britanniques.

C’est le gouvernement travailiste d’après-guerre qui a instauré cette mesure - l’un des symboles de l’Etat providence, destiné à réduire les inégalités résultant de la pauvreté et la malnutrition.

En 1976, quand je suis entré à l’école, Margaret Thatcher avait été ministre de l’Education [de 1970 à 1974] au sein d’un gouvernement conservateur, et nous devions payer pour notre dose de calcium quotidienne. Tous les lundis matin, nous donnions des pennies dans des enveloppes en kraft au "responsable du lait". Il y avait dans notre classe quelques enfants dont les parents n’avaient pas les moyens de faire une telle dépense : nous n’en étions que trop conscients.

La honte qui s’est abattue sur ces enfants a fait prendre conscience à la nouvelle génération du fossé entre ceux qui avaient les moyens et les autres. Un fossé qui n’a fait que se creuser quand Thatcher a pris les commandes [du gouvernement] en 1979 et que le démantèlement de l’Etat providence s’est accéléré.

Dans la Grande-Bretagne de Thatcher des années 80, pour les ados dotés d’une conscience sociale, la Dame de Fer en est venue à représenter tout ce qui n’allait pas dans notre société de l’enrichissement rapide et de l’individualisme à outrance.

Nous nous sommes battus contre ses politiques : contre la privatisation de nos "joyaux de la couronne" - les entreprises nationales du gaz, des télécommunications et des chemins de fer, ainsi que les logements sociaux ; contre la répression imposée aux syndicats des travailleurs ; contre les coupes dans l’enseignement ; contre son incapacité à remédier au chômage des jeunes et à enrayer le racisme au sein de la police.

Tous en chœur, nous avons chanté des chansons populaires qui la tournaient en ridicule, interprétées par des artistes comme les The The, Paul Weller, Elvis Costello (en particulier son titre Tramp the Dirt Down), Billy Bragg, The Housemartins et The Smiths. Sur le premier album solo de Morrissey, il y avait une chanson intitulée Margaret on the Guillotine. Pour nous, la haine était palpable et virulente, et je pense d’ailleurs que son ampleur surprendrait la plupart des Israéliens.

Oui, Margaret Thatcher soutenait Israël et de nombreux membres de son gouvernement étaient juifs, mais chez moi, chaque nouvelle nomination d’un Juif à un poste haut placé était considérée comme une grande honte. Comment pouvaient-ils adopter et propager ses politiques impitoyables ? Pourtant, un samedi, lorsque notre rabbin a fait un sermon qui reprenait ces idées, plusieurs électeurs conservateurs de notre congrégation ont quitté la synagogue fous de rage. C’est un sujet qui divisait la communauté.

Aujourd’hui, longtemps après avoir quitté mon école primaire et ses petites bouteilles de lait tiède - un souvenir qui n’est pas particulièrement plaisant -, il est clair qu’un grand nombre des valeurs que Margaret Thatcher représentait sont maintenant fermement ancrées dans nos sociétés, bien au-delà des frontières britanniques. Finalement, il semble que le lait qu’elle nous a arraché était le cadet de nos soucis


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