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Rwanda : sur la piste des gorilles des montagnes

Redigé par nouvel obs
Le 29 avril 2018 à 09:52

Ce pays d’Afrique de l’Est au passé meurtri est devenu une nouvelle destination de voyage. Avec une attraction majeure : observer les gorilles dans les forêts du Parc national des volcans. Onéreuse, cette activité est le fer de lance de la politique offensive d’ouverture au tourisme du Rwanda.
Par Hubert Prolongeau

C’était un dimanche de 1990. Eugène Rutagarama se promenait avec son frère sur les pentes du volcan Sabyinyo à la recherche des gorilles, ces mastodontes qu’il rêvait de voir depuis toujours.

Devant eux, leur guide ouvrait le chemin sur les douces collines de ce Rwanda encore en paix. Soudain, apparut un "dos argenté", mâle dominant entouré de ses quatre femelles. Emerveillé, Eugène regardait l’animal s’ébrouer. Quand, tout à coup, le gorille bondit vers les trois hommes. Eugène plongea au sol, comme on lui avait dit de le faire.

Pétrifié, il leva pourtant les yeux et croisa le regard de la bête. Les yeux immenses, effrayants, passèrent en un instant du rouge sang à une couleur infiniment plus douce, oscillant entre le violet et le vert turquoise.

L’animal avait-il lu quelque chose en lui ? Sentit-il sa peur et sa totale soumission ? La bête fit marche arrière d’un pas lent et mal assuré. Quand elle fut suffisamment loin, ils se relevèrent, tremblants.

"Oui, on continue la visite"
Le guide leur demanda par politesse s’ils voulaient continuer la visite. Ils répondirent "oui". Durant l’heure suivante, plus rien ne se produisit. A nouveau, les jeux et les lentes ingestions d’herbes et de feuilles de la petite bande les fascinèrent. Le dos argenté, sachant son clan à l’abri, semblait se désintéresser totalement de ces humains. Mais Eugène savait, en redescendant par la forêt, que jamais il n’oublierait le regard du gorille.

Quatre ans plus tard, les Hutus ont tué environ un million de Tutsis. Eugène, qui se trouvait alors au Burundi, fut le seul dans sa famille à être épargné par les massacres. Dans ce cauchemar génocidaire, jamais il n’oublia les yeux pleins d’humanité du grand singe. Il jura même de consacrer sa vie à sauver ces animaux (lire "Le regard du gorille" d’Eugène Rutagarama, aux éditions Fayard).

Aujourd’hui, il peut mesurer le travail accompli et se félicite d’avoir participé à la préservation du patrimoine naturel du Rwanda, à la faveur de la création du Parc national des volcans, qui abrite les gorilles des montagnes.

20 ans aprés le génocide, le Rwanda se souvient
Un pays de collines et de lac

Le lac Burera encercle le parc national des volcans où quelques centaines de gorilles vivent (Sipa)

La forêt luxuriante couvre l’essentiel du pays. Les mille collines marient le vert de la forêt au rouge de la latérite, certaines sont couvertes de plantations de thé, d’autres abritent des bananeraies. Partout, des rivières et des lacs percent les terres.

Le plus grand des lacs, le Kivu, paraît presque une mer. Des buffles à larges cornes paissent sur les chemins et dans les prés, gardés par des enfants. Les maisons de brique ocre, couvertes de toits souvent encore en tuiles, se fondent dans un paysage qui dégage une impression d’éternité.

On peine à croire que la nature humaine se soit déchaînée avec autant de violence dans un cadre si paisible. Au Nord, se dresse une chaîne de volcans, dont le plus haut, le Karisimbi, culmine à 4.507 mètres.

C’est là qu’a été créé le Parc national des volcans et que le Programme international de Conservation des Gorilles (IGCP) a été mis en place. En effet, en 1990, l’espèce était en train de s’éteindre. Partagée entre le Rwanda, l’Ouganda et la République démocratique du Congo, la zone était la base arrière de conflits récurrents.

Cette même zone où avait été assassinée en 1985 la célèbre primatologue américaine Dian Fossey était confrontée aux guérillas, aux bombardements et aux contrebandiers. A l’époque, on ne comptait plus que 400 spécimens de gorilles des montagnes. Aujourd’hui, ils sont plus de 900 et les grands primates sont devenus le fer de lance d’un tourisme très élitiste, qui a aussi permis le redressement de ce pays meurtri.

Création du parc des volcans
Le Parc national des volcan est même devenu la principale attraction du Rwanda. (Sipa)

Dans un sourire, Eugène raconte les multiples obstacles qu’il a fallu franchir pour parvenir à la création du parc : arracher l’accord de trois nations instables en proie à de douloureuses guerres civiles, convaincre des hommes de pouvoir et des chefs de guerre de la nécessité de sauver les animaux, mettre en place un partage des ressources, régler des problèmes de territorialité autant que de susceptibilité.

Aujourd’hui, pourtant, le Parc national des volcans existe bel et bien, et il est même devenu la principale attraction du pays. Probablement la seule qui puisse repousser les ombres du génocide de 1994.

Se promener avec les gorilles est une des expériences les plus incroyables que peut offrir le tourisme en pleine nature. Depuis des années, des rangers ont habitué des familles de grands singes à accepter la présence humaine. Pendant des jours et des jours, ils les ont suivis et accompagnés, s’installant à côté d’eux, sans contact et sans agressivité. Quand ils sentent que la "famille " n’est plus du tout dérangée par la présence de l’homme, ils ouvrent aux touristes la possibilité de venir les voir, par groupes de huit maximum et seulement une heure par jour.

Le matin de la visite, ils vont repérer les familles présentes, lesquelles sont souvent au même endroit. Puis les rangers contactent les guides. Selon l’endroit où se trouvent les gorilles, il peut y avoir une demi-heure ou plusieurs heures de marche d’approche à effectuer dans une forêt où l’on croise aussi une foule d’oiseaux et de buffles sauvages, animaux d’ailleurs beaucoup plus dangereux que les primates.

Du tourisme de luxe...

Le Bisate Lodge, en plein coeur du parc, offre un hébergement luxueux. (Crookes and Jackson)

Et les voilà, boules noires dans les arbres ou corps posés au sol. Lentement, ils bougent, se lèvent, marchent les uns vers les autres. A condition de ne pas faire de gestes brusques, il est possible de s’en approcher très près, même si une distance de sécurité de sept mètres est exigée.

Selon les jours, le spectacle sera plus ou moins vivant : certains voyageurs arrivés à l’heure de la sieste ne voient que de gigantesques corps affalés. D’autres peuvent admirer l’art de vivre du dos argenté se faisant épouiller par ses épouses transies ou suivre des yeux les tout-petits montant et tombant des arbres, courant se réfugier dans le giron maternel.

Les plus audacieux s’approchent même de ces étranges bipèdes qui les observent. Enfin, les plus chanceux peuvent voir le grand mâle se lever et se frapper le torse en poussant de grands cris. Spectacle inoubliable, et frisson garanti.

L’expérience est enthousiasmante mais elle est très onéreuse : 1.500 dollars (environ 1.300 euros) de l’heure. A ce prix-là, certains touristes (peu, soyons honnêtes) reviennent un peu déçus. Paradoxalement, la rencontre est parfois trop facile. Là où ils avaient rêvé de vivre une "aventure " avant de trouver les animaux, des visiteurs débusquent parfois un groupe de gorilles au bout d’une petite vingtaine de minutes, ayant davantage l’impression de se trouver dans un parc d’attractions que dans la jungle.

D’autres regrettent d’avoir vu des tribus trop réduites. Les familles sont effectivement plus ou moins nombreuses : si certaines abritent une trentaine d’animaux, d’autres ne regroupent que sept ou huit individus.

...pour protéger la nature

Il faut parfois marcher des heures pour espérer voir les familles de gorilles. (Biosphoto)

Aujourd’hui, les autorités locales assument pleinement ce choix d’un tourisme cher. En effet, les coûts de conservation du parc et des tribus d’animaux, mais aussi l’envie de maintenir un impact réduit sur l’environnement, justifient, selon elles, ces tarifs très élevés.

Une stratégie efficace, semble-t-il, puisque le rythme des visites est en augmentation, les recettes étant passées de 201,6 millions de dollars en 2010 à 440 millions de dollars en 2017 (de 163 à 326 millions d’euros).

Le Pays des mille collines, qui a du mal à se dégager de son passé génocidaire, voudrait même devenir un leader du marché touristique africain. D’ailleurs, les initiatives se multiplient, comme adapter le Kwita Izina -la cérémonie annuelle où les bébés gorilles nés dans l’année reçoivent des noms donnés par des parrains - aux lionceaux du parc national de l’Akagera, situé dans l’est du pays.

Enfin, plusieurs chaînes de grands hôtels (Radisson Blu, Marriott, Hilton) vont ouvrir prochainement des établissements à Kigali, la capitale, tandis que de nouveaux lodges d’exception (Nyungwe House du groupe One & Only Resorts, le Bisate Lodge de Wilderness Safaris) accueillent déjà une clientèle de luxe dans les parcs nationaux et au bord des lacs.


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