Avant de s’envoler le week-end dernier pour une visite d’Etat en Indeavec François Hollande – notamment pour y vendre des réacteurs nucléaires EPR –, Ségolène Royal a passé une partie de la semaine au Sénat, qui examinait en première lecture son projet de loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », deuxième grand texte porté par le ministère de l’Ecologie après la loi sur la transition énergétique.
Les sénateurs voteront mardi, avant une seconde lecture à l’Assemblée nationale. Ils ont amélioré le texte sur plusieurs points, notamment en autorisant la France à ratifier le protocole de Nagoya sur le partage équitable des bénéfices issus de l’exploitation des ressources naturelles (engagement international pris voilà 25 ans). Ils ont aussi adopté un amendement supprimant l’avantage fiscal de l’huile de palme par rapport aux autres huiles végétales.
Mais ils ont rejeté d’autres points, comme l’interdiction de la pêche au chalut en eaux profondes ou celle de la chasse des pinsons à la glu (dont le héraut en slip et pelle délecta les réseaux sociaux). Rejet, aussi, de l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes, nuisibles pour les abeilles, entre autres, et dont les effets toxiques sur l’homme inquiètent de plus en plus. Libération s’est entretenu avec la ministre de l’Ecologie vendredi soir, à l’issue des débats au Sénat. L’occasion, aussi, d’évoquer d’autres dossiers brûlants, comme le scandale du diesel, qui commence à faire suffoquer Renault.
Le projet de loi sur la biodiversité, tel qu’il est après examen par le Sénat, permettra-t-il réellement de protéger celle-ci, et nous avec, puisque nous en faisons partie ?
Oui, je pense. D’abord, il y a eu un débat parlementaire et des votes sur des sujets extrêmement novateurs comme l’open data pour la biodiversité que j’ai fait voter, la question de la lutte contre la biopiraterie, ou la croissance bleue qui représente 400 000 emplois en France. C’est une réelle avancée. Après le passage du texte à l’Assemblée en mars dernier, certains craignaient que ce soit la guerre de tranchées, il allait y avoir des obstructions, etc. Or, cela n’a pas été du tout le cas. Il y a donc réellement une prise de conscience très forte, les mentalités évoluent. C’est une très bonne chose et je sens là l’influence de la COP21 [la conférence de l’ONU sur le climat de décembre 2015, ndlr], aussi.
Deuxièmement, l’Agence française pour la biodiversité (AFB) va être votée et va donc être créée grâce à cette loi. Cela veut dire que la cause de la biodiversité devient aussi importante que celle du climat et de l’énergie, elle y est même intégrée. Je sens qu’il y a la même appropriation par l’opinion de ce sujet, même s’il y a encore du travail. Il n’y a pas si longtemps, les gens ne comprenaient pas le concept de « transition énergétique ». « COP21 », encore moins. Après la loi de transition énergétique [promulguée le 17 août 2015, ndlr], le concept s’était installé. Et la COP21 est désormais comprise, les sondages le prouvent. Sur la biodiversité aussi, qui apparaissait comme un mot un peu technique, une prise de conscience extrêmement rapide est en train de se faire.
Vraiment ? On a plutôt l’impression que tout le monde s’en moque, y compris les médias et les politiques. L’hémicycle du Sénat était vide…
Non, ce n’est pas vrai ! Là, nous sommes vendredi soir, et beaucoup sont pris. Mais sinon, au cours des deux premières journées de discussion, il n’y a jamais eu autant de sénateurs présents pour un texte de cette nature. Les sénateurs étaient eux-mêmes surpris. Même en soirée et la nuit, mercredi et jeudi, il y a eu beaucoup de monde dans l’hémicycle, plus qu’à l’Assemblée.
Quand je parlais des abeilles il y a six mois, on me regardait un peu avec commisération. Maintenant, le sujet est pris très au sérieux. Il est porté au plus haut niveau des Etats. Regardez aux Etats-Unis, toutes les interventions faites récemment par Barack Obama sur les « plans abeilles », les « plans pollinisateurs »… Ce n’était pas le cas il y a six mois.
Comment expliquez-vous que ce projet de loi ait pris plus de trois ans de retard, alors que le sujet est fondamental ?
Parce que c’est un sujet difficile, où il y a eu beaucoup de conflits entre chasseurs, agriculteurs et écologistes. Il y a eu de tous côtés des positions apparemment irréconciliables, qui entraînaient pas mal de blocages. Donc il a fallu travailler pour rapprocher les points de vue, comme je l’ai fait pour la transition énergétique entre les pro nucléaire, les antinucléaire, etc. A chaque fois, je prends le temps d’expliquer et la tension baisse. Il faut, par exemple, expliquer que lutter contre les pesticides néonicotinoïdes, ce n’est pas lutter contre les agriculteurs, au contraire, puisque s’il n’y a plus de pollinisateurs, il n’y a plus de fruits et légumes !
Pourquoi ne pas interdire tout simplement ces néonicotinoïdes, puisqu’on sait qu’ils sont très toxiques et dangereux, y compris pour la santé humaine ?
D’abord parce que pour interdire, il faut des bases scientifiques solides.
Celles-ci s’accumulent…
A ma demande, l’Agence française de sécurité alimentaire et sanitaire (Anses) a fait un rapport qui recommande de restreindre leur usage, notamment pour ce qui concerne les semences d’hiver [en étendant un moratoire partiel déjà en vigueur en Europe, ndlr]. Suivons déjà les rapports de l’Anses. Si on fait des choses trop radicales, elles perdent de leur crédibilité. Mais je pense que l’interdiction des néonicotinoïdes, on y arrivera un jour. A condition de savoir par quoi on les remplace. Aujourd’hui, ce n’est pas très clair. Il ne faudrait pas qu’on les remplace par des substances plus toxiques. Même chose pour le bisphénol A. Il va falloir avancer.
Repenser le système agricole ne permettrait-il pas de se passer de toute substance toxique ?
Oui, mais il ne faut pas voir les choses de façon trop radicalisée. Le Sénat a quand même voté un amendement dans lequel figure le mot « néonicotinoïdes », où l’Anses est citée, où il y a déjà l’hypothèse d’interdire des substances. C’est une avancée forte qui va permettre d’agir au plan européen.
Les ONG réclament plus de moyens pour l’Agence pour la biodiversité que les quelque 280 millions d’euros prévus, faute de quoi elle ne servirait pas à grand-chose, selon eux. Estimez-vous aussi qu’il en faudrait davantage et si oui, où les trouver ?
La question de l’Agence ne doit pas se résumer à un budget. Cette agence regroupe des moyens et des expertises et elle devra créer des partenariats avec les collectivités. Je viens de donner une mission à Emmanuel Delannoy [directeur de l’institut Inspire, ndlr] pour trouver des solutions de financement innovantes. Le programme d’investissement d’avenir a été ouvert à la biodiversité pour la première fois en 2015 et 2,2 millions d’euros ont déjà été mobilisés pour soutenir les PME et les start-up innovantes de ce que j’appelle la « Green Tech ».
La notion de compensation écologique inquiète, en particulier la création de « réserves d’actifs naturels », qui mènerait à une sorte de « droit à détruire » la nature, pourvu qu’on paie. Comment garantir que la compensation ne servira pas, de facto, à légitimer de nouveaux Notre-Dame-des-Landes ?
Il faut saisir cette occasion donnée par la loi biodiversité pour justement mieux encadrer la compensation écologique. La notion nouvelle de « réserves d’actifs naturels », introduite par amendement parlementaire, doit être examinée avec précaution et devra tirer toutes les conclusions des expérimentations que j’ai mises en place. Si cela permet de clarifier les compensations écologiques de manière concertée et d’accompagner les maîtres d’ouvrage pour mieux gérer cette compensation, alors c’est une bonne disposition. Le Sénat a d’ailleurs ajouté la notion de garanties financières pour le maître d’ouvrage, la transparence et le suivi régulier.
La Cour des comptes a publié jeudi un rapport regrettant que la lutte contre la pollution atmosphérique ne soit « pas encore une priorité nationale ». Elle déplore l’application trop limitée du principe « pollueur-payeur », fait valoir que l’écotaxe aurait « eu des effets importants sur la pollution » et préconise de rééquilibrer plus rapidement la fiscalité sur le diesel. Que répondez-vous ?
J’ai pris de nombreuses mesures depuis un an et les effets sont là : la prime à la conversion des vieux diesels est un succès et elle a été renforcée cette année. Pour la première fois depuis dix ans, les immatriculations de voitures diesel sont en baisse très sensible. La pollution de l’air est devenue un sujet majeur de société, à juste titre d’ailleurs, quand on voit les dangers qu’elle représente pour la santé publique. Pour inciter les élus à agir, j’ai fait voter dans la loi de transition énergétique des outils nouveaux comme les zones à circulation restreinte et j’ai renforcé l’obligation d’exemplarité des pouvoirs publics qui devront s’équiper de véhicules propres.
Des aides sont proposées aux territoires à énergie positive pour s’équiper en véhicules propres et bornes de charge et 20 « villes respirables » ont été retenues pour mettre en place en cinq ans des équipements innovants efficaces pour réduire la pollution.
Quatre-vingt-dix-neuf projets de transport public ont été finances grâce au soutien de l’Etat. Et concernant la gestion des pics de pollution, le nouvel arrêté qui encadre les mesures d’urgence est prêt à être signé. Désormais, les élus pourront décider de limiter la circulation aux véhicules les plus propres, identifiés grâce au certificat qualité de l’air disponible en mars. Les décisions seront maintenues durant tout l’épisode de pollution. Enfin, je suis intervenue pour que la fiscalité cesse de favoriser le diesel, en programmant la réduction de l’écart avec l’essence.
Renault vient d’être épinglé pour d’importants dépassements de seuils de pollution sur plusieurs de ses moteurs diesel, mais les médecins alertent sur la nocivité de ce dernier même à des niveaux inférieurs aux normes. Ils évoquent un scandale sanitaire du même ordre que celui de l’amiante. Pourquoi attendre pour l’interdire progressivement ? Le poids des lobbies est-il trop fort ?
Nous sommes très actifs sur le contrôle des émissions polluantes des véhicules diesel. Les contrôles sur les 100 véhicules suite à l’affaire Volkswagen nous donnent un outil pour discuter avec les constructeurs automobiles des progrès qu’ils doivent effectuer. Ceci en toute transparence. La fiscalité évolue, et les transports publics devront également s’équiper de bus propres d’ici à 2025.
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) vient elle aussi de lancer un cri d’alarme, jugeant « préoccupant » le contexte en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. S’entêter dans la voie du nucléaire alors que les coûts s’envolent, qu’Areva est en faillite et EDF en difficulté, n’est-ce pas une fuite en avant risquant de coûter très cher aux Français, financièrement et sanitairement ?
Ne caricaturez pas à ce point. Ce n’est pas un cri d’alarme, c’est l’exercice régulier de l’ASN, autorité de sûreté qui permet justement d’agir. Quant à la filière nucléaire, la loi de transition énergétique est claire et donne maintenant une visibilité et un fort encouragement de diversification vers les énergies renouvelables.
Mais les arbitrages concrets tardent à être pris. Les acteurs de la transition énergétique pointent le retard pris par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), sans laquelle les objectifs inscrits dans la loi resteront lettre morte. Le gouvernement craint-il de dire combien il compte faire d’éolien, de solaire, et donc combien il compte fermer de réacteurs ?
Le travail est en cours et les premières consultations sont lancées. La stratégie bas carbone, secteur par secteur, est réalisée. Les 400 territoires à énergie positive pour la croissance verte sont identifiés et soutenus. Les appels d’offres sur le renouvelable sont lancés et déjà attribués pour plusieurs d’entre eux. C’est un travail considérable et la programmation pluriannuelle de l’énergie, avec toutes les actions concrètes présentes et à venir, mûr.
avec Liberation
AJOUTER UN COMMENTAIRE
REGLES D'UTILISATIONS DU FORUM
Ne vous eloignez pas du sujet de discussion; Les insultes,difamations,publicité et ségregations de tous genres ne sont pas tolerées Si vous souhaitez suivre le cours des discussions en cours fournissez une addresse email valide.
Votre commentaire apparaitra apre`s moderation par l'équipe d' IGIHE.com En cas de non respect d'une ou plusieurs des regles d'utilisation si dessus, le commentaire sera supprimer. Merci!