Connue pour ses déclarations choquantes, la magistrate suisse a affirmé le 5 mai, mais sans preuves, que les rebelles syriens avaient utilisé du gaz sarin. Des assertions qui nuisent beaucoup à l’opposition syrienne non-islamiste en quête de soutien occidental, selon ce site libanais.

Carla del Ponte lors d’une conférence de presse le 18 février dernier. AFP
Carla Del Ponte, membre de la Commission d’enquête indépendante des Nations unies sur la Syrie, a récemment accordé un entretien à une chaîne de télévision italianophone de son pays natal, la Suisse. L’ ancien procureur du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie, enquêtrice sur les crimes de guerre au Rwanda, a lancé qu’il y avait des "soupçons concrets, mais pas encore de preuve incontestable" que les rebelles syriens avaient utilisé du sarin, un gaz toxique.
Dans la soirée du 6 mai, la Commission d’enquête sur la Syrie a tenté de limiter les dégâts. "La Commission d’enquête indépendante internationale sur la République arabe de Syrie tient à préciser qu’elle n’est parvenue à aucune conclusion quant à l’utilisation d’armes chimiques en Syrie par l’une ou l’autre partie du conflit," a-t-elle annoncé dans un communiqué.
Reste à savoir pourquoi Del Ponte s’est laissée aller à de telles déclarations. Agée de 66 ans, la magistrate suisse a toujours nagé à contre-courant. Dans les années 80, elle s’était attaquée à Cosa Nostra, la sinistre mafia sicilienne, qui avait tenté de faire sauter sa maison à Palerme. Elle avait également accusé l’ancien dirigeant russe Boris Eltsine d’avoir été impliqué dans un scandale financier, et avait fait geler les comptes en banque de l’ancien Premier ministre [pakistanais] Benazir Bhutto, assassinée depuis.
Del Ponte a toujours aimé se livrer à des déclarations fracassantes, bien que nombre de ses interviews dans les médias aient ensuite porté préjudice à ses enquêtes. En 2004, alors qu’elle était encore procureur au TPIY, elle a dit aux journalistes qu’elle aurait voulu traîner Oussama Ben Laden et Saddam Hussein devant le TPIY.
Un an plus tard, elle a accusé le Vatican d’avoir aidé le Croate le plus recherché pour crimes de guerre, le général Ante Gotovina, à fuir la justice. Dans ses mémoires, publiés en 2008, elle a accusé les chefs de la milice séparatiste du Kosovo d’avoir participé à un trafic d’organes prélevés sur des prisonniers serbes. Mais son enquête sur la question n’a pas abouti à des preuves concluantes, et les accusés ont été acquittés.
Sa déclaration sur la Syrie a certes fait la une, mais elle a peut-être aussi fait davantage de victimes. Les décideurs qui redoutent, dans le conflit syrien, la menace que représentent pour eux les "islamistes et les djihadistes" ont paniqué à l’idée que ces "terroristes" aient mis la main sur des armes si dangereuses.
La Syrie n’est pas comme la Bosnie ou le Kosovo
Les seuls perdants dans l’affaire, ce sont les factions modérées et libérales de l’opposition syrienne, qui bénéficient déjà de moins de soutien que les groupes islamistes, justement parce que l’Occident a tendance à les mettre dans le même sac que les djihadistes. Le gouvernement de Damas ne doit sans doute plus se tenir de joie, tout comme les djihadistes et les groupes liés à Al-Qaïda, eux qui détestent l’idée que l’Occident intervienne en Syrie.
Enquêter sur les massacres et les armes chimiques en Syrie, ce n’est pas une question de courage ou de défi. Il s’agit avant tout de comprendre ce sur quoi l’on enquête.
La Syrie n’est pas comme la Bosnie ou le Kosovo, où l’on avait une milice séparatiste commandée par un chef clairement déterminé, et où il était facile de savoir qui était responsable d’un massacre ou d’un crime de guerre. La Syrie est une guerre d’ombres, de fantasmes et d’illusions. Le gouvernement ne respecte pas les vieilles lois de la guerre, il dispose de groupes paramilitaires pour s’acquitter de la sale besogne.
Les rebelles ne sont pas homogènes, sous un seul chef, unis par leurs idées et leur volonté, mus par une unique idéologie nationaliste. Les combattants ne communiquent pas par des réseaux invisibles pour prendre la décision unanime d’utiliser des armes chimiques.
Les rebelles syriens sont des gens aux affiliations diverses, qui entretiennent différents types de relations avec le gouvernement, suivent des idéologies variées. Ils sont peut-être d’Al-Qaïda, ou de quelque autre brigade islamiste, ou encore l’Armée libre syrienne, ou des groupes mercenaires criminels n’ayant d’autre idéologie que de gagner de l’argent en se chargeant du sale boulot pour d’autres factions politiques.
Del Ponte a fait référence dans sa déclaration à un témoignage, entendu lors de l’enquête, indiquant que les rebelles auraient utilisé du gaz sarin. Allez donc visiter les hôpitaux qui soignent les réfugiés syriens à Tripoli, dans le nord du Liban, et ils vous parleront "d’étranges cas d’intoxication".
Méconnaissance de la Syrie
Un infirmier syrien a expliqué à NOW il y a quelques mois qu’à la mi-2012, sa clinique à Tripoli avait pris en charge six personnes venues de Homs et souffrant d’une intoxication non identifiée. Il a ajouté que les médecins avaient prélevé des échantillons et les avaient envoyés à l’hôpital de l’Université américaine afin qu’ils y soient analysés, mais que les tests ne s’étaient pas avérés concluants parce que le laboratoire avait réclamé des échantillons du sol - ce qui est impossible tant que le gouvernement syrien n’autorise pas des inspecteurs à se rendre sur le terrain et à récolter les échantillons en question. Par ailleurs, ledit gouvernement est connu pour sa propension à manipuler les preuves.
Or, au lieu de mentionner la difficulté qu’il y a à se procurer des indices clés, Del Ponte a dit qu’elle soupçonnait les rebelles d’avoir utilisé des armes chimiques. De la part d’une magistrate de carrière et d’une diplomate suisse, c’est extrêmement irresponsable, et cela montre sa méconnaissance de la Syrie
.Ana Maria Luca
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