Témoignage : J’ai assisté au procès Octavien Ngenzi et Tite Barahira

Redigé par Martine Beckers
Le 7 juin 2018 à 05:15

Jeudi et vendredi 25 et 26 mai 2018. Je suis allée assister au procès en appel de Ngenzi et Barahira à Paris. J’avais déjà été en 2014 à Paris pour le procès de Pascal Simbikangwa (dont le pourvoi a été rejeté et qui a été condamné pour crime de génocide ce 26 mai !). A Bruxelles, j’avais assisté à une bonne partie des quatre procès qui y ont eu lieu. J’y suis allée en soutien symbolique aux parties civiles dans ce procès et en particulier auprès de Dafroza et Alain Gauthier*. Nous sommes dans le même dossier contre Fabien Neretse.

Paris, pour moi, la Belge, c’est avant tout la capitale de la culture française. Je suis partie de Bruxelles ce jeudi midi pour me retrouver sur l’île de la Cité, en plein soleil, entourée de groupes de joyeux touristes devant le gigantesque portail du Palais de Justice.

Le monde a brutalement basculé de la lumière vivifiante du marché aux fleurs à la lumière blafarde et l’ambiance lourde de la cours d’assise. Ma gorge se serre une nouvelle fois en repensant à ce qui s’y est passé, à ce que j’y ai entendu. Les parties civiles et leurs amis assistent à toute la durée de ce procès et si c’est indispensable et essentiel, c’est cependant pénible et épuisant moralement, émotionnellement, physiquement. J’admire leur force.

Ce jeudi et vendredi, on entendait quelques témoins arrivés en droite ligne du Rwanda pour y retourner aussitôt tambour battant. Ce sont des agriculteurs, ex-prisonniers, pitoyable et effroyable à la fois. On ne sait si l’incohérence de leurs explications et réponses est intentionnelle ou non. On ne sait d’où vient la peur visible de l’un, l’indignation et l’agacement d’un autre. L’un d’eux arrive en tenant son pantalon. L’interprète lui prête main-forte pour l’aider à boucler la ceinture. La présidente fait remarquer qu’on n’entre pas ainsi en s’habillant dans une salle d’audience. Visiblement, on lui avait prêté un costume deux pièces beaucoup trop grand. Un autre se plaint qu’il est vieux, malade et fatigué et ne se souvient plus de rien, et demande à s’asseoir. La présidente rassure l’un d’eux qui tremble de peur : « On ne vous juge pas ici, vous avez déjà été jugé et vous avez exécuté votre peine » ; un autre est agressif et demande : « Pourquoi vous me posez ces questions, j’y ai déjà répondu plusieurs fois, mes réponses sont les mêmes ». Les interprètes jouent parfois le rôle, malgré eux, d’assistants sociaux. Le contraste est profond : on passe de l’abyssale horreur du génocide raconté par les témoins comme des banalités au style policé de certains magistrats et avocats. Un avocat de la défense questionne un témoin en tournoyant nerveusement autour de lui comme s’il était un policier de série B qui questionnait un dangereux assassin.

Ce qui m’interpelle plus encore : comment des jurés arriveront-ils à faire le tri parmi ces informations contradictoires ? Et puis je me dis, qu’on-t-ils à perdre, ces témoins ? En levant haut la main, ils ont juré de dire « la vérité et rien que la vérité », mais d’évidence, la vérité est fluctuante et n’a aucune valeur pour eux.

Et pourtant... ceci n’est pas une mascarade, mais une tentative courageuse de faire la lumière sur la responsabilité des deux inculpés. Et pourtant, durant deux mois, des jurés seront inconfortablement assis, silencieusement serrés l’un contre l’autre, face parfois à des témoins d’un autre monde. Et pourtant, durant deux mois, des parties civiles écouteront sans oser broncher des témoins lâches qu’ils auraient peut-être envie d’étrangler… ou des témoins courageux qu’ils voudraient embrasser.

Et pourtant, alors que le soleil brille dehors, les magistrats, les avocats analyseront, prendront des notes des heures et des heures durant.

Comme lors des précédents procès auxquels j’ai assisté, j’ai été comme envoûtée et je n’en suis pas sortie indemne. C’est une épreuve fascinante. J’espère pouvoir revenir et surtout, j’espère que tous les humanistes, tous les défenseurs épris d’une justice équitable, toutes les personnes qui veulent défendre une cause juste aillent assister à ce procès pour soutenir le moral des parties civiles, pour montrer aux jurés, aux magistrats, aux avocats et aux témoins qu’on s’intéresse à leur travail, qu’on reste vigilant.


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