VENEZUELA • "Le président Chávez nous a montré l’exemple"

Redigé par Qué Pasa
Le 13 avril 2013 à 12:36

En plein centre de Caracas, 3 600 personnes squattent la "tour de David", un gratte-ciel inachevé qui aurait dû symboliser - avant l’ère Chávez - un Wall Street vénézuélien. Ces squatteurs se rendront aux urnes le 14 avril pour le scrutin présidentiel.
Dessin de Schrank, Royaume-Uni.
Signer la liste et aller voter. Le 14 avril, voilà ce que vont faire les Vénézuéliens qui vivent dans la "tour de David". Certains descendront à pied du 28e étage, car cet immeuble n’a pas d’ascenseur. Du 10e étage, (...)

En plein centre de Caracas, 3 600 personnes squattent la "tour de David", un gratte-ciel inachevé qui aurait dû symboliser - avant l’ère Chávez - un Wall Street vénézuélien. Ces squatteurs se rendront aux urnes le 14 avril pour le scrutin présidentiel.

Dessin de Schrank, Royaume-Uni.

Signer la liste et aller voter. Le 14 avril, voilà ce que vont faire les Vénézuéliens qui vivent dans la "tour de David". Certains descendront à pied du 28e étage, car cet immeuble n’a pas d’ascenseur. Du 10e étage, d’autres se feront emmener à moto-taxi, cet engin à trois roues qui monte et descend sur de larges rampes jusqu’à l’entrée principale.

"Nous allons tous voter pour Nicolás Maduro, comme l’a demandé le président Chávez. Ici, on établit une liste et, si c’est nécessaire, on va chercher les gens", raconte Diana, une habitante de l’immeuble, où cette forme de contrôle sert à "encourager" la participation civique.

Diana est l’une des 3 600 personnes qui vivent dans ce gratte-ciel à moitié construit, dans le quartier de La Candelaria, en plein centre de Caracas. La construction a commencé en 1990, lorsque le magnat David Brillembourg - qui a donné son nom à l’édifice - a voulu créer un Wall Street vénézuélien. Toutefois, en raison de son décès, en 1993, et de la crise financière qui a éclaté en 1994, les travaux ont été interrompus alors que 60 % seulement du bâtiment était achevé.

Le gouvernement n’a pas réussi à revendre la tour et, le 17 octobre 2007 quelques familles ont investi les lieux. "Ma fille avait 8 jours lorsque nous sommes arrivés. On dormait dans une tente, on avait froid et faim. Rien à voir avec ce que vous voyez aujourd’hui : on a tout déblayé, on a débouché les canalisations... Le sacrifice en valait la peine", explique une femme âgée de 40 ans que tout le monde appelle "la China". Elle fait partie des 16 gardiens de cette propriété de 121 000 mètres carrés qui a été transformée en coopérative et est dirigée par un ancien détenu, aujourd’hui pasteur évangélique, fidèle aux dernières volontés d’Hugo Chávez concernant cette élection présidentielle.

Le chavisme, un concept lui aussi inachevé

Sur cet immeuble de 191 mètres de haut, les antennes satellite côtoient les affiches qui rendent hommage au président défunt. Plusieurs habitants racontent comment, les yeux rivés sur leur télévision, ils ont attentivement écouté leur Comandante, qui, avant de partir à La Havane pour son dernier traitement contre le cancer [en décembre 2012], avait déclaré : "S’il devait m’arriver quelque chose, mon avis définitif et évident comme la pleine lune, c’est que vous devez élire Maduro comme président."

La "tour de David" ressemble à une petite ville, avec son coiffeur, des épiceries, deux crèches et un miniterrain de football. Lorsqu’on regarde ce gratte-ciel, il est impossible de ne pas y voir une métaphore du chavisme, un concept lui aussi inachevé.

De loin, cet édifice habité par des milliers de personnes ne se distingue pas des autres immeubles du centre de Caracas. Sur place, tous les habitants ont organisé les différents espaces, ils ont construit des cloisons en brique et posé du carrelage sur le béton froid. Pourtant, cette tour reste une construction inachevée où les cages d’escalier vides, qui sont comme des précipices, ont déjà coûté la vie à quatre personnes en cinq ans. Mais Dani Henríquez, l’époux de Diana et membre du comité directeur, raconte que, "l’année dernière, un véhicule est tombé du septième étage". "Malgré une chute de 25 mètres, il n’y a pas eu de victime. Un véritable miracle."

Les histoires comme celle-là renforcent l’idée quasi mystique selon laquelle les habitants de cette tour remplissent une mission particulière, assimilée au chavisme. "Ils font tout leur possible pour établir une sorte de religion civile autour de la figure d’Hugo Chávez. Pour eux, sa maladie a été une agonie et il ressuscitera le 14 avril s’ils votent pour Maduro", assure Margarita López Maya, docteur en sciences sociales et professeur à l’Universidad Central de Venezuela.

"Le président Chávez nous a montré l’exemple. Il nous a ouvert les yeux, nous a fait sentir que nous avions de l’importance. Il a ordonné à ses ministres de nous aider et de trouver une solution à nos problèmes", explique Dani. Diana et lui n’avaient que deux enfants lorsqu’ils sont arrivés. "Le petit dernier est né ici", sourit Dani, entouré de ses trois enfants. Diana examine ses longs ongles rouges et, tout en donnant du riz et de la viande à son fils de 8 mois, elle continue son histoire. "Nous n’avions pas de logement, une des sœurs de Dani qui habitait déjà là nous a amenés ici. Au début, j’étais paniquée par l’altitude. Un jour, je suis allée jusqu’à l’héliport, au sommet de la tour, et on pouvait voir tout Caracas, la ville semblait minuscule."

Nous sommes les vrais révolutionnaires

Avant de vivre dans ce logement, Diana a été l’un des dix membres de l’équipe d’entretien, qui reçoivent un salaire au même titre que les gardiens des cinq postes de sécurité installés dans la tour. Chaque famille paie 150 bolivars [environ 18 euros] par mois. Par ailleurs, des places de stationnement sont à louer dans ce bâtiment qui n’est jamais vraiment devenu un immeuble - et encore moins un immeuble de luxe. Les affaires semblent tourner, mais le montant des bénéfices (comme beaucoup de choses ici) reste une information secrète. "Nous sommes les vrais révolutionnaires. Nous vivons la révolution et nous construisons un nouveau mode de vie, comme Chávez nous l’a appris", affirme Dani d’un ton convaincu.

La veille du décès du Comandante, le viol d’une jeune fille - qui aurait eu lieu dans le parking de la tour de David - a suscité de nouvelles plaintes de la part des opposants à l’immeuble. Et ce n’est pas nouveau : en avril 2012, l’enlèvement du responsable de l’entreprise Negocios de Costa Rica a entraîné la perquisition de la tour, lorsqu’il a été suggéré que l’un des appels exigeant une rançon avait été passé depuis le gratte-ciel.

Les accusations liées à toutes sortes d’infractions ne sont pas rares : pickpockets, trafic de drogue, vols. Pour cette raison, les chauffeurs de taxi évitent cette zone et les touristes sont informés du risque qu’ils courent s’ils s’approchent de l’édifice. Dani reconnaît que "certains ont peut-être des papiers trafiqués". Et de poursuivre : "On ne se livre à aucune discrimination entre les bons et les méchants, mais on exige les actes de naissance et les certificats qui attestent que l’Etat ne leur a pas attribué de logement. Si quelqu’un fait une erreur et salit notre nom, nous organisons une assemblée pour décider s’il faut ou non expulser cette personne. C’est le peuple qui décide. Nous ne sommes pas un repaire de délinquants."

Dans ce gratte-ciel de luxe inachevé, de nombreuses réalités très concrètes dépendent de l’avenir du chavisme. Les habitants ne s’inquiètent pas seulement de leur éventuelle expulsion, mais aussi de l’approvisionnement en eau, par exemple. "De l’eau est acheminée jusqu’aux appartements tous les quinze jours. Nous avons un groupe chargé de la pomper et de la faire monter par des tuyaux en caoutchouc", explique la China. Hidrocapital, la société qui fournit l’eau dans cette zone, exige une amende de 400 000 bolivars à cause de leur "piratage" du système ; c’est pourquoi ils espèrent que le nouveau gouvernement les aidera ou "annulera" cette dette.

Rien n’est moins sûr, étant donné que certains dirigeants chavistes ne sont pas d’accord avec cette méthode. C’est d’ailleurs curieux, car, au vu et au su des autorités, plus de 20 immeubles sont occupés dans la zone de 1,2 km² qui constitue La Candelaria. Dans l’ensemble de Caracas, ce chiffre atteint 200 immeubles.

L’avenir de la tour de David est aussi incertain que celui du chavisme. Dans un bâtiment qui rassemble autant de passion pour le chavisme et son défunt leader, on a du mal à comprendre le combat de Diana et Dani alors qu’ils vivent dans une habitation si précaire et qu’ils n’ont pas accès à une maison ou à un appartement, comme c’est le cas de 2 millions de familles vénézuéliennes qui n’ont nulle part où aller. "J’aime ce gouvernement parce qu’il va donner une maison à ma grand-mère ; la mienne finira par arriver. Je ne vais pas mentir, j’aimerais bien avoir un endroit à moi, savoir que je ne risque pas d’être expulsée à tout moment", avoue Diana. Et Dani de répliquer : "Moi, je ne veux pas partir."

C’est aussi dans ce pays, fait de contrastes, d’incertitudes et d’ironie, qu’une partie de l’essence est importée alors que le pétrole coule à flots. Et si, au cours des quatorze dernières années, les dépenses sociales ont considérablement augmenté, les assassinats ont également triplé.


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