La rencontre avec ces "cousins" de l’homme est le grand moment du safari au Parc national des volcans. Et rapporte bon an, mal an 10 millions de dollars au Rwanda.
Arrivés à 7 heures du matin à Kinigi, au pied des volcans rwandais cernés de brume, nous sommes partis en 4x4, accompagnés d’un guide, sur une piste cahoteuse jusqu’au point de départ de l’ascension. Nous avons rejoint un garde armé d’une kalachnikov destinée à effrayer le buffle solitaire ou les éléphants des montagnes qui pourraient croiser notre route.
Le but de notre voyage approche : rencontrer le groupe Kwitonda, une des 18 familles de gorilles, principale attraction du Parc national des volcans. Parvenus à 2.800 mètres d’altitude après trois heures de marche dans la jungle, nous croisons les pisteurs : ils ont repéré l’endroit où les grands singes s’étaient installés la veille pour dormir, et viennent de découvrir le lieu où ils se trouvent actuellement. Ils ne sont plus très loin. Nous nous approchons et, soudain, c’est le choc.
Une dizaine de gorilles - mâles, femelles, bébés et "ados" - nous regardent arriver sans broncher. Nous ne sommes plus qu’à 3 mètres d’eux. Certains sont dans les arbres au-dessus de nous, d’autres assis en face. Quelques-uns se déplacent lentement. C’est une scène incroyable, comme un face-à-face avec l’évolution, qui nous place devant ces gigantesques cousins au poil noir, long et soyeux. Pour annoncer que nous sommes là en amis, il faut pousser un grognement - "hun... hrrr..." -, qui n’a rien d’intuitif.
Une fois remis du choc de la rencontre, ce qui frappe d’emblée, c’est leur regard orangé et terriblement humain. Il y a le regard pensif et paisible du mâle dominant ; celui, attentif, de la femelle qui surveille de près son petit tentant de grimper à une liane, qu’elle finira par arracher pour lui signifier qu’elle considère cette tentative trop dangereuse ; celui, halluciné, du bébé agrippé au cou de sa mère, une feuille à la bouche, découvrant ces étranges créatures que sont les humains. "Croiser le regard d’un gorille est une expérience singulière qui laisse rarement indifférent, écrivent Florence Perroux et Sébastien Meys, auteur de Gorilles, portraits intimes (Editions Le Pommier).
Pour peu que l’on s’y attarde, une drôle de sensation vous envahit : l’idée curieuse que ce regard induit plus qu’il ne veut le laisser paraître. Quelles pensées insondables peuvent donc cacher ces faciès étonnamment humains ?" Paul Boury, associé du cabinet de conseil en lobbying Boury, Tallon et Associés, passionné de grands singes et de grands patrons, confirme : "Ce qui crée notre fascination pour les gorilles, c’est un désir d’altérité qui naît en nous, le souhait d’avoir un frère différent, mi-homme, mi-animal, comme le sont les sirènes."
Cette fascination pour nos "demi-frères" a fait du Rwanda une destination très tendance. Le Financial Times vient ainsi de publier dans son supplément How to Spend It le récit d’un week-end à la rencontre des gorilles. Chaque jour, 80 touristes venus du monde entier - principalement des Américains, des Anglais et des Australiens - vont vivre une expérience unique, chic mais chère. Pour observer les fabuleux animaux, il faut en effet débourser 750 dollars pour un "permis gorilles". Celui-ci ne coûtait "que" 500 dollars il y a seulement huit mois.
Le prix est d’autant plus élevé que la rencontre ne dure jamais plus d’une heure, afin de minimiser les risques de maladies pour les gorilles, très sensibles aux virus transmis par les humains. On demande d’ailleurs aux visiteurs de ne pas tousser ni éternuer pendant le rendez-vous...
Les gorilles font entrer près de 10 millions de dollars chaque année dans le pays, une manne financière qui encourage fortement les gouvernements du Rwanda, de l’Ouganda et de la République démocratique du Congo à protéger les quelque 800 "individus" nichés dans la chaîne de volcans Virunga. Les gorilles incitent aussi les touristes à faire la découverte d’un pays où ils n’auraient pas eu spontanément l’idée d’aller passer leurs vacances.
Tout le monde garde en mémoire l’épouvantable génocide qui, il y a moins de vingt ans, a fait 1 million de victimes. En trois mois, les Hutus ont massacré les Tutsis, avant que les rebelles au régime génocidaire ne reprennent les choses en main, menés par Paul Kagame, qui dirige désormais le pays d’une main de fer.
Aujourd’hui, les habitants du Pays aux mille collines vivent en paix, avec une volonté farouche de reconstruction qui force les observateurs à l’optimisme. Le souvenir du massacre est pourtant toujours vivace. Le long des routes, on voit parfois s’activer des Hutus ayant participé au génocide, condamnés à des travaux d’intérêt général. Dans de magnifiques paysages - mêlant savane, montagnes verdoyantes et immenses plantations de thé et de café, les seules ressources dont le pays dispose - s’érigent des mémoriaux du génocide.
Les gorilles du Parc national des volcans paraissent eux aussi paisibles, si paisibles que l’on serait presque tenté de se jeter dans leurs bras. Mais mieux vaut garder nos distances avec nos chers cousins, dont l’étreinte nous briserait. Ils semblent pourtant si proches.
Une équipe internationale de biologistes et de généticiens vient de démontrer qu’ils sont encore plus proches de l’homme qu’on ne le pensait jus qu’à présent. "Nous avons découvert que les gorilles partagent avec les humains de nombreuses modifications génétiques parallèles, en particulier l’évolution de notre ouïe, souligne Chris Tyler-Smith, l’un des coauteurs de l’étude sur les gorilles publiée en mars 2012 dans la prestigieuse revue Nature. Nos résultats jettent un doute sur le fait que l’évolution rapide des gènes de l’audition chez l’homme soit liée à celle du langage."
Le gorille entend très bien, mais il ne parle pas. Quel dommage ! Il aurait bien des choses à raconter. De génération en génération se serait peut-être transmise l’histoire de Paul Du Chaillu, naturaliste et explorateur franco-américain entré dans la légende comme le premier Occidental à avoir rencontré et occis, en 1856, un gorille en Afrique équatoriale. Dans son livre Voyages et aventures dans l’Afrique équatoriale, paru en 1863, il écrit vouloir "approfondir la nature de tous ces grands singes, dont le gorille est le type le plus terrible, et dont la ressemblance avec l’homme nous frappe d’étonnement et presque d’horreur".
La stupéfaction du naturaliste peut se comprendre. Le physique des gorilles est très impressionnant. Ils atteignent parfois 2 mètres de haut et leurs bras, d’une largeur de 30 centimètres, sont plus longs que leur corps. Les mâles peuvent peser jusqu’à 250 kilos et les femelles, jusqu’à 150 kilos. C’est une masse considérable qui se déplace à quatre pattes, grâce à des doigts assez robustes pour supporter le poids de l’animal, un herbivore qui peut ingurgiter quotidiennement 25 kilos de plantes.
Les gorilles des montages rwandaises sont polygames. Toutes les femelles sont à la disposition d’un "dos argenté" (silverback) - les gorilles "blanchissent" en vieillissant -, le mâle dominant du groupe, censé protéger toute la famille contre d’éventuels dangers. "De récentes études ont montré que les mâles adultes les plus gros possédant les crêtes sagittales [crêtes osseuses surmontant le crâne. NDLR] les plus grandes sont ceux qui possèdent les harems les plus importants", écrivent Florence Perroux et Sébastien Meys. Certains jeunes mâles de la famille craquent parfois et entraînent une femelle loin du regard du "boss", derrière des buissons.
Georges Brassens avait-il raison d’affirmer que "le gorille est un luron/supérieur à l’homme dans l’étreinte" ? Les partenaires de ces singes imprudents semblent en tout cas comblées, et ne peuvent parfois retenir des cris de plaisir. Le silverback court aussitôt corriger le jeune impétueux. C’est ainsi que l’on a vu passer un mâle piteux affichant une belle morsure à l’épaule. Si un simple avertissement ne suffit pas, une lutte acharnée s’engage, à l’issue de laquelle le roi sera démis ou bien le challenger, battu, obligé de quitter la famille.
La popularité des gorilles rwandais doit beaucoup à Dian Fossey, Américaine arrivée dans le pays en 1963 pour étudier les gorilles et les protéger farouchement des braconniers.
En 1970, son portrait à la une du National Geographic Magazine fit connaître son combat dans le monde entier, à une époque où les gorilles étaient massacrés pour leur viande, ou même pour leurs mains qui, une fois tranchées, faisaient des cendriers très recherchés. Aujourd’hui, on peut aller en pèlerinage sur sa tombe à Karisoke, à 3.000 mètres d’altitude, où elle s’était installée et où elle fut assassinée en 1985. Sur son tombeau figure une inscription : "La femme solitaire."
Solitaire ? Dian Fossey se sentait peut-être solitaire avec les humains, mais pas avec les gorilles. Signalés par des écriteaux qui portent leurs noms, ses singes préférés ont été mis en terre à côté de sa sépulture, certains tués par des braconniers. Sans elle, peut-être n’y aurait-il plus aucun gorille des montagnes dans le Parc national des volcans rwandais.
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